— Je ne resterai pas ici, répéta pourtant Hélène, tapant du pied.
Elle colla son oreille successivement aux murailles de son cachot. Elle entendit d’abord le clapotement des eaux du bassin, heurtant les flancs de la péniche. Puis enfin, elle saisit, très lointain, très indistinct, le bruit d’une conversation, l’écho d’une discussion joyeuse.
Alors la jeune femme frémit. Assurément, Fantômas et elle-même n’étaient pas seuls à se trouver à bord de la péniche. Celle-ci devait servir de repaire à toute une bande formée des complices de Fantômas. Les tas de charbon qui encombraient le pont ne devaient avoir d’autre but que de donner le change. Ils dissimulaient sans doute d’autres cabines plus spacieuses, des cabines dans lesquelles on faisait ripaille en ce moment, fêtant sans doute son enlèvement.
En un instant, Hélène imagina toute une organisation secrète, relative à la bande de Fantômas.
La péniche, aux dimensions modestes, semblait-il, lorsqu’on la considérait du quai, pouvait être en réalité fort grande. Qui pouvait indiquer sa profondeur réelle ? qui prouvait même, qu’allégée de son lest, elle n’était point capable de tenir la haute mer, de se transformer en un véritable cargo-boat ?
Hélène imaginant cela, se prenait à frémir plus encore. Si elle avait réellement deviné la vérité, il lui fallait s’attendre aux pires catastrophes.
Fantômas sur sa péniche, pouvait, à la faveur de la nuit, quitter le port sans être remarqué, gagner la haute mer, et là, mettre la voile.
— Où me mènerait-il ? pensa la jeune femme.
Mais Hélène ne chercha pas longtemps une réponse à cette angoissante question.
— Qu’importe les intentions du misérable, songeait-elle, puisque je suis résolue à ne pas les subir, puisque ce soir je me serai évadée !
Cette évasion, dès lors, occupait Hélène avant tout. D’abord, elle n’en concevait pas le plan ; puis, peu à peu, il naissait dans son esprit, il se précisait, il se matérialisait, et bientôt elle ne doutait plus de sa réussite.
Forcer la porte, arracher les serrures, gagner le pont de la péniche, sauter sur le quai et s’enfuir, il n’y fallait évidemment pas y songer.
La porte était robuste à déjouer toutes les tentatives, et Fantômas d’autre part devait avoir des factionnaires qui ne se feraient pas faute d’arrêter la fugitive.
Il n’était pas davantage plus rationnel d’essayer de défoncer une des cloisons qui séparait le cachot d’Hélène des autres cabines aménagées à l’intérieur de la péniche. Outre que l’entreprise apparaissait difficilement réalisable, il était encore à craindre que la cloison une fois éventrée, Hélène se trouvât en présence d’une bande d’individus qui la traiteraient sans pitié, ni miséricorde.
Que faire dès lors ?
Il régnait dans cette péniche une atmosphère glaciale et pénétrante, une atmosphère d’humidité qui entretenait un froid intense.
À deux reprises déjà, Hélène avait frissonné. Elle se rapprocha donc d’une petite cheminée et frileusement se chauffa au feu de charbon qui brûlait lentement.
Or, c’était en considérant ce foyer, en se penchant sur les rougeoiements des flammes, sur les étincelles qui montaient de l’écoulement des bûches, qu’Hélène, brusquement, formait un projet hardi.
— Je m’échapperai, répétait-elle. Je m’échapperai ce soir, j’en suis certaine…
La jeune femme avait soigneusement remonté sa montre, elle considéra l’heure : midi était depuis longtemps passé.
— Fort bien, dit-elle encore. J’ai douze heures devant moi, car je ne puis rien tenter avant minuit.
Et avec un sourire de véritable ironie, Hélène ajoutait :
— Suivant le conseil de Fantômas, reposons-nous, il me faut prendre des forces, si je veux réussir.
Nature indomptable, en vérité, nature d’énergie et de vaillance, Hélène s’imposait en conséquence une sieste tranquille. Les événements qui s’étaient déroulés, implacables depuis quelque temps, avaient en quelque sorte épuisé ses réserves nerveuses, et elle était très lasse.
Elle s’étendit sur un divan, et ferma les yeux, elle attendit le sommeil, en attendant la nuit.
Hélène ne bougea point de toute la journée. Elle ne tournait même pas la tête lorsqu’à sept heures du soir, un homme masqué, un homme qu’elle ne connaissait point, venait après avoir respectueusement frappé à sa porte, lui apporter un somptueux repas qu’il dressait sur une table soigneusement recouverte d’une vaisselle d’un art merveilleux.
Hélène ne touchait pas au repas. Simplement, lorsque ce geôlier avait disparu, elle prenait quelques-uns des mets et les jetaient dans le feu, pour faire croire qu’elle avait en réalité dîné.
— Inutile, murmurait la jeune femme, que Fantômas sache que je n’ai pris aucune nourriture. Cela pourrait attirer l’attention.
Une heure plus tard, le geôlier venait desservir la table dressée.
— Le Maître, disait-il d’une voix lente, m’a prié de vous demander, mademoiselle, si vous n’aviez besoin de rien. J’ai ordre de me tenir à votre disposition et vous n’auriez qu’à frapper trois coups contre la muraille pour me voir accourir.
L’homme n’obtenait aucune réponse, il s’éloignait après un grand salut.
Or, ce geôlier avait à peine disparu, qu’Hélène, qui avait hâte d’être seule, se redressait rapidement.
— Ainsi, soupirait-elle, par surcroît, il importe, si je veux m’évader, que j’agisse sans aucun bruit. Puisqu’il suffit de frapper sur la cloison pour être entendue, je dois m’en souvenir et ne pas m’exposer à une surprise qui pourrait ruiner mes projets.
Hélène, cette remarque faite, ne semblait pas d’ailleurs vraiment inquiète.
Qu’avait-elle donc imaginé pour s’enfuir ?
À quel procédé pensait-elle avoir recours, procédé qui devait être, elle le reconnaissait d’elle-même, complètement silencieux ?
Hélène posait sa montre sur la table desservie. Elle regardait fixement la marche lente, invisible presque, des aiguilles. Elle attendait évidemment une heure donnée pour agir. Et c’était en vérité en frémissant qu’elle se forçait ainsi à attendre, à attendre toujours.
Le temps passait cependant, interminable et monotone.
Or, à dix heures et demie, la jeune femme, brusquement, se départait de son immobilité.
— Fuyons, murmurait-elle. Coûte que coûte, fuyons…
Hélène se leva. D’un geste décidé, elle commençait à s’apprêter pour sa fuite, dont elle semblait désormais préparer, avec minutie, les moindres détails.
Hélène commençait par se débarrasser des vêtements d’apparat qu’elle portait encore. Dans une armoire du salon, elle avait vu des vêtements plus simples, qui allaient lui permettre d’avoir une plus grande liberté de mouvement. Fébrilement, elle s’en revêtit.
Dans le désir encore de passer inaperçue, dans le but secret de se défigurer aussi – la précaution pouvait n’être pas inutile – Hélène prenait ses lourds cheveux, les nattait, et les tordait sur sa tête en un chignon qui ne rappelait que de loin la jolie coiffure qu’elle portait d’ordinaire.
C’était seulement quand tous ces préparatifs étaient terminés, qu’Hélène entreprenait réellement la tâche périlleuse qu’elle s’était imposée.
La jeune femme, en vérité, devait se montrer en cette occasion la digne épouse de Fandor, la digne compagne du plus rusé des reporters policiers.
Hélène, pour échapper à sa prison, avait recours au procédé le plus simple et le plus certain à la fois.
Tout simplement, la jeune femme enfonçait dans les charbons ardents de son foyer la tige d’un tisonnier. Elle laissait la barre de fer rougir, puis, quand elle était arrivée à un degré de chaleur extrême, elle s’en servait pour tracer dans l’une des parois de sa cellule, un large sillon.
Hélène, en réalité, dessinait sur le bois, du bout de son tisonnier rougi à blanc, une large entaille qui, petit à petit, devait s’agrandir.
Certes, le travail qu’entreprenait ainsi la jeune femme devait être long et difficile. Mais il n’en était pas moins vrai que, forcément, il devait aboutir.
Hélène, à l’aide de son tisonnier rougi, devait, sans faire le moindre bruit, parvenir à percer le bordage de la péniche, et, ce qui était le mieux, à détacher de ses flancs une sorte de panneau, un carré de bois, qui, arraché, lui laisserait la place suffisante pour passer, pour s’enfuir…