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Et, dès lors, le vieux savant et M me Verdon ne voyaient plus que les sommets du Casque-de-Néron tels que la nature les avaient dessinés, tels que jusqu’alors ils avaient toujours apparu, sans que jamais personne ait pu soupçonner qu’un géant monstrueux avait eu l’idée de venir s’en servir comme d’un lit de repos !

Or, cette vision depuis longtemps avait cessé, la montagne avait repris son aspect normal, que le professeur Marcus et M me Verdon étaient encore plongés dans la stupéfaction la plus profonde.

Ils n’échangeaient pas une parole, et, chose curieuse, l’un et l’autre paraissaient également atterrés.

Enfin le géologue se leva.

Sa voix était changée, son front était devenu grave et soucieux, son regard très troublé…

Il articula lentement :

— Veuillez m’excuser, madame, de vous avoir importunée si longtemps de ma présence, il importe que j’aille me préoccuper de mes bagages. Le train qui les amène de Grenoble doit être arrivé, je vais jusqu’à la gare.

Il ne parlait point de la vision, il ne regardait même plus dans la direction du Casque-de-Néron.

M me Verdon le laissa partir, se contentant d’acquiescer par un léger hochement de tête.

Elle articula cependant :

— Il importe que je me préoccupe de votre installation, monsieur. Je m’en vais veiller à ce que tout soit prêt pour ce soir.

Les deux interlocuteurs, dès lors, se séparaient.

Lorsqu’ils furent hors de vue l’un de l’autre, tous deux eurent une attitude véritablement extraordinaire.

Le professeur Marcus, qui jusqu’alors était resté très calme, marchait à grands pas, frappant le sol du talon dans le petit sentier qui le conduisait de la propriété de M me Verdon à la gare de Domène.

Il ne se tenait plus courbé.

Il avait redressé sa taille, et, s’avançant avec une merveilleuse assurance, cependant que ses yeux lançaient des éclairs, il grommelait, serrant les dents :

— Qu’est-ce que cela signifie, et comment se fait-il, non seulement qu’on puisse le voir, mais qu’on puisse le voir aussi gros ?…

Si quelqu’un avait deviné la pensée du professeur Marcus, il ne se serait pas lassé de l’interroger…

Assurément, pour penser de la sorte, le vieux savant devait en savoir long sur le géant apparu au Casque-de-Néron, mais, peut-être, n’aurait-il pas voulu dire ce qu’il savait…

Quant à M me Verdon, à peine était-elle rentrée dans sa maison, qu’elle courait à sa chambre et ouvrait un tiroir.

Elle en sortait une photographie, celle d’un tout jeune homme, qu’elle considérait longuement en se pinçant les lèvres.

Elle ne paraissait pas autrement émotionnée, mais plutôt perplexe.

— C’est curieux, se demandait-elle, quelle ressemblance extraordinaire ! Ce pauvre malheureux a déjà eu une mort bien étrange, on dirait que le sort s’acharne à faire du mystère et de l’invraisemblable autour de lui. Mon Dieu, mon Dieu ! Qu’est-ce que cela signifie ?

M me Verdon se promenait d’un pas nerveux dans sa chambre, les bras croisés, la poitrine haletante.

Tout son corps de vieille tressaillait ; elle était réellement troublée, elle articula lentement :

— Il va falloir que je sache si d’autres gens ont comme moi, comme le petit Louis Férot, aperçu cette extraordinaire vision. Il faut surtout que j’en parle à Gauvin, le notaire, car Gauvin, lorsqu’il est revenu de Paris, m’a dit qu’il avait vu, bien vu et même reconnu le cadavre !…

Chapitre XVIII

Le cadavre géan

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Quarante-huit heures s’étaient écoulées.

Par un brouillard intense comme il en règne parfois dans les régions montagneuses au début du printemps, un homme descendit du train venant de Paris, à la gare de Grenoble, où il arrivait vers sept heures du matin.

Dès que ce voyageur, qui avait grelotté pendant quinze heures dans son wagon et subi un ennuyeux changement de train à Lyon vers quatre heures, fut sur le quai de la gare, il se mit à faire les cent pas pour se réchauffer les pieds, tandis qu’il relevait le col de son pardessus.

Puis, s’étant enquis auprès d’un employé d’un renseignement qui sans doute lui tenait à cœur, il parut fort désappointé d’avoir une réponse négative.

Cet homme avait demandé :

— À quelle heure le train pour Domène part-il d’ici ?

Ce à quoi le facteur de la gare lui avait rétorqué :

— Le train de Domène, monsieur, ne part point d’ici pour cette bonne raison que cette localité n’est point desservie par le chemin de fer du P.-L.-M. mais bien par la Société des chemins de fer sur route Dauphinoise. Sortez de la gare, suivez l’avenue pendant trois cents mètres ; vous arriverez à la place Grenette et là, on vous indiquera l’horaire du train qui doit vous conduire à destination.

— Merci, fit l’homme, qui, fronçant les sourcils, toussant, crachant, enfonça son chapeau sur ses yeux d’un coup de poing, et partit à pied dans la direction qu’on lui avait indiquée.

— Drôle de citoyen ! pensait l’employé, qui le considérant avec un air méprisant, ajoutait à mi-voix :

— Encore un mange-bénéfice qui vient de voyager aux frais de la Compagnie !…

Ce personnage, en effet, qui était descendu d’un wagon de première classe, avait remis à la sortie de la gare un coupon de circulation gratuite.

Sans se douter cependant que sa personne n’inspirait point l’estime et le respect à l’employé de la gare, le voyageur arrivé de Paris s’acheminait à pas pressés dans la direction de la place Grenette.

Il y trouva les renseignements voulus et apprit, non sans regret, qu’il allait lui falloir attendre une heure et demie avant d’avoir un train susceptible de le conduire à Domène.

— À quelle distance en sommes-nous ? demanda-t-il.

Le chef de la station des chemins de fer sur route le renseignait :

— Quinze kilomètres, monsieur.

— Et votre tortillard, poursuivit le voyageur, met combien de temps pour effectuer ce trajet ?

— Une petite heure et quart.

L’homme calcula :

— Une heure et demie d’attente… un heure et demie de trajet… j’ai tout avantage à m’y rendre à pied !

Et dès lors, ayant arrêté cette décision, avant de se mettre en route, il entrait dans un petit restaurant et se faisait servir un solide déjeuner froid afin de se lester l’estomac.

Quiconque l’aurait vu dans ce petit établissement modeste, dégustant rapidement, mais sans nervosité, deux œufs au jambon, une tranche de viande froide qu’il arrosait d’un petit vin clair du pays, ne se serait certes pas douté de la personnalité de ce consommateur.

Il était cependant populaire, célèbre, il avait un nom qui inspirait la confiance et le respect, on savait que chaque fois qu’il y avait quelque part, un risque ou un danger, une audace quelconque à manifester, on l’y trouvait.

Cet homme là, en effet, c’était Juve !

Le policier, sitôt échappé de la bande sinistre des apaches dans laquelle il était si extraordinairement tombé, n’avait eu en effet qu’une idée, poursuivre son enquête, et s’efforcer de savoir, en venant à Grenoble, pour quel mystérieux motif l’infortuné Daniel avait été assassiné.

Juve avait quitté Paris rasséréné, satisfait d’avoir des nouvelles de Fandor, rassuré également au point de vue du coup de téléphone de Bouzille aux termes duquel le cadavre de Daniel aurait disparu de la morgue.

Il avait poussé un profond soupir en voyant comme précédemment, gisant étendu sur les dalles de la salle frigorifique la dépouille mortelle de celui que la nature, aidée du maquillage, avaient si bien fait ressembler à son ami Fandor, au point que lorsqu’il l’avait vu pour la première fois, dans le train d’Amsterdam à Bruxelles, Juve s’y était trompé, et s’était trompé à nouveau à la morgue !…

Le policier, désormais, enfonçait ses deux mains dans ses poches, lâchait les boutons de son pardessus et sortait de Grenoble par la route de Gières conduisant à Domène.

Il passait de nombreux tramways électriques conduisant à Uriage, et Juve aurait pu les prendre, pour s’épargner une partie du chemin.