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Il débarquait à la gare de Lyon à la première heure, et, dès lors, voulant à toute force s’introduire dans le frigorifique, il imaginait, avec beaucoup d’audace, de se faire passer pour un ouvrier chargé de réparer l’installation de l’appareil à entretenir le froid.

Certes, Fantômas avait tout d’abord été fort troublé de reconnaître Bouzille en gardien de la morgue.

Mais cette rencontre l’avait fortifié dans sa conviction qu’il n’allait pas tarder à découvrir Fandor.

Et le bandit, en effet, avait reconnu le journaliste dès qu’il voyait les trois corps étendus sur leur chariot respectif face au public.

Mais si Fantômas avait reconnu Fandor, ce qui n’était pas bien difficile, le journaliste, au premier coup d’œil, démasquait le bandit et, dès lors, les deux adversaires commençaient à coups de revolver un duel terrible et sans merci que Fantômas interrompait hâtivement, en prenant la fuite.

Fandor s’était élancé à sa poursuite.

— Ah ! cette fois, se jurait le journaliste au paroxysme de la colère, j’aurai sa peau ! Je le tuerai !

Et il tirait encore deux coups de revolver qui, malheureusement, n’atteignaient pas le fuyard.

En l’espace d’une seconde, trouant la foule, Fantômas, poursuivi par Fandor, s’était trouvé dans la rue. Mais le bandit, au lieu de s’enfuir en courant, faisait soudain volte-face, et s’arrêtait net le long du mur de la morgue, tandis que Fandor le croyant parti au loin, continuait sa course.

Fantômas le voyait passer à côté de lui ; il esquissait un sourire sarcastique et, d’un geste brusque, profitant de ce qu’on ne le regardait point, Fantômas arrachait le bandeau qu’il avait sur l’œil et la barbe postiche qu’il portait au menton. Dès lors, on ne pouvait reconnaître en lui l’ouvrier du frigorifique.

Une poursuite, toutefois, s’organisait.

Après le premier instant de stupeur, les quelques personnes qui avaient assisté à la scène rapide qui s’était déroulée dans la morgue s’élançaient sur les traces de l’homme qui fuyait.

— Un mort qui se sauve ! avaient-ils crié.

La phrase se répétait comme un écho, et les passants de la rue se joignaient au premier témoin.

Qui poursuivait-on cependant ?

Fantômas, en s’arrêtant net dans sa course, avait deviné, prévu l’erreur que la foule ne manquerait pas de commettre.

Celle-ci, en effet, s’élançait sur les traces du journaliste, et certes, celui-ci était bien plus reconnaissable que Fantômas, bien plus facile à prendre puisqu’il courait dans la rue comme un fou, le revolver au poing, uniquement vêtu d’un caleçon et d’une chemise, mais chaussé, heureusement pour lui.

Fandor qui, somme toute, se trouvait brusquement et à l’improviste au milieu de la rue, se souvint de son accoutrement.

Et, dès lors, il comprit la faute qu’il avait commise en s’élançant à la poursuite de Fantômas.

Non seulement Fandor venait de perdre la trace du bandit, mais encore il se rendait compte aux hurlements et aux vociférations qui retentissaient à ses trousses, que c’était lui, désormais, que la foule poursuivait, et le journaliste commençait à avoir peur, sachant fort bien que les foules sont faites d’imbéciles et se rendant parfaitement compte que s’il était pris, appréhendé, un mauvais coup pourrait rapidement lui être donné.

— D’autant plus, se disait Fandor, que certainement, parmi cette foule, doit se trouver Fantômas !

Le journaliste parvenait en quelques secondes à distancer ses poursuivants. Un fiacre en maraude passait à proximité, Fandor ouvrit la portière, sauta à l’intérieur du véhicule, puis sortit par la portière opposée ; mais il se trouvait encore en face de gens qui voyant surgir un homme en caleçon d’une voiture, poussaient d’abord des cris de surprise, levaient les bras au ciel, puis s’élançaient derrière lui.

Fandor enjamba la grille d’un petit square et s’enfonça la tête en avant dans les petits bouquets d’arbres ; il se déchirait aux épines, il se meurtrissait au contact des pointes acérées des branches des arbrisseaux. Mais il avançait quand même, brisant les branches sur son passage…

Fandor sentait qu’on le poursuivait toujours… Toutefois, cette traversée du square lui permettait de gagner quelque distance sur ses poursuivants.

Soudain, il se heurta à une muraille.

— Bougre de bougre ! pensa Fandor. Cette fois, je suis foutu !

Et il se disposait à s’accoter à ce mur pour faire face à ses assaillants ; il allait leur crier : « Arrêtez-vous ! ou je vous casse la figure à tous », lorsqu’il fit brusquement volte-face.

À ce même instant, il venait d’apercevoir une petite porte basse, taillée dans la muraille, dont le battant était entrebâillé.

Se précipiter sur cette porte, pénétrer dans le lieu qu’elle commandait, la refermer de l’intérieur par un verrou, ce fut pour Fandor l’affaire d’un instant…

Il suivit, courant à toute allure, un petit couloir très obscur, et soudain se trouva dans une salle à peine éclairée, dans laquelle régnait une suave odeur de parfums et d’encens.

Au milieu de cette salle se trouvait une grande table en bois verni et, tout autour, des armoires dont les portes coulissaient les unes sur les autres. À l’intérieur de ces armoires se trouvaient des vêtements dont Fandor ne reconnaissait pas au premier abord la destination.

Mais, soudain, la lumière se fit dans son esprit.

— Parbleu ! s’écria-t-il, je viens d’entrer à Notre-Dame, et je suis dans le vestiaire du clergé… Ah ! par exemple !

Fandor, en effet, voyait autour de lui, pendus dans ces armoires, des vêtements sacerdotaux de toutes sortes.

Il apercevait une chasuble toute dorée, rutilante, splendide.

Puis à côté c’était une robe rouge d’enfant de chœur et enfin les ornements noirs qui servent aux prêtres lors des enterrements.

Plus loin, il y avait sur une chaise une humble et modeste soutane recouverte d’un surplis blanc, un vêtement de prêtre sans aucun doute.

Fandor n’hésitait pas une seconde ; il se précipitait sur cette robe, il la revêtait dans l’espace d’un instant. Une bavette se trouvait à proximité, Fandor la prit, la noua autour de son cou.

— Avec ça, songeait-il, s’ils me reconnaissent, je veux bien être brûlé vif !

Le journaliste, d’ailleurs, ne s’attardait point dans ce vestiaire. Il ouvrait une porte, suivait encore une large galerie, puis désormais se trouvait dans la grande nef de la cathédrale où régnait un silence religieusement recueilli.

Quelques dévotes étaient assises, qui ne jetèrent même pas un coup d’œil furtif sur Fandor, qui se dirigea en hésitant vers l’entrée de l’église.

Mais, à ce moment, quelques personnes s’y introduisaient, qui se heurtèrent au journaliste.

Quelqu’un, un des passants qui avait poursuivi Fandor, courut à lui.

— Ça y est, pensa le journaliste, je suis fichu, ils me reconnaissent…

Mais Fandor se trompait.

— Pardon, monsieur, de vous déranger, articula le passant, qui haletait encore tant sa course avait été rapide. Nous sommes à la poursuite d’un malfaiteur, car assurément on ne s’échappe pas de la morgue en caleçon sans être un malfaiteur ! Nous avons la certitude que cet homme est entré dans l’église par la petite porte qui est à l’autre extrémité… Pourriez-vous nous aider à le poursuivre, à le rattraper ?

Fandor réprimait, malgré les tragiques aventures qu’il venait de vivre, une violente envie de rire.

— Ah ! par exemple ! pensa-t-il, voilà qui est plus fort que tout ! Ah les braves gens !… Ils me demandent de les aider à courir après moi-même !… Attendez donc un peu…

Fandor affectait un air terrifié.

— Un malfaiteur à Notre-Dame ! s’écria-t-il en joignant les mains dans une pose onctueuse et bien ecclésiastique, ça n’est pas possible !

Il faisait mine de s’affoler.

— Je ne suis qu’un pauvre bedeau, murmura-t-il, mais adressez-vous donc à M. le curé. Qu’on prévienne la gardienne de chaises !

Fandor, d’un geste de la main, indiquait à ses interlocuteurs l’autre côté de l’église.

— Allez par là, allez vite ! leur disait-il. Quant à moi, je vais par ici, pour faire le nécessaire…

La foule obéissait à Fandor et quelques secondes après, celui-ci, qui avait définitivement dépisté ses poursuivants, sortait de l’église et se trouvait sur le parvis Notre-Dame.