Une seconde, Fantômas hésitait, la situation était délicate…
Il articula simplement :
— Je ne le sais pas encore, mais dans deux jours, Alice, je vous fixerai… J’ai tant eu d’aventures et de malheurs qui m’obligent, comme vous, mais pour d’autres raisons, à dissimuler ma personnalité !…
— Dans deux jours !… sanglota la malheureuse femme, que sera-t-il advenu de Jérôme Fandor, de notre enfant ?
Mais Fantômas la rassurait :
— Rien d’irréparable, ma chère amie, rien qui puisse vous mettre dans l’obligation d’agir immédiatement. Croyez-moi, ayez confiance… Ayez confiance…
En vain, Juve désormais prêtait-il l’oreille, il n’entendait plus rien. Assurément Fantômas et sa future victime avaient quitté la pièce dans laquelle ils se trouvaient.
Juve, pendant quelques instants, espérait qu’ils allaient revenir, mais c’était en vain qu’il attendait ; il avait beau écouter, il n’entendait plus rien…
Lorsque le policier sortit de la petite cabane en planches dans laquelle il était si miraculeusement entré à la suite d’un faux pas, il se prit à réfléchir sur ce qu’il devait faire.
La résolution de Juve ne tardait à être fixée.
— Parbleu, c’est simple ! fit le policier. Et l’intention de Fantômas est bien facile à comprendre. S’il a joué toute cette comédie, s’il est venu voir M me Rambert pour se faire passer auprès d’elle pour son véritable mari, s’il a inventé de toute pièce que Fandor était prisonnier d’une bande de criminels, et, oh ironie ! de Fantômas, c’est parce qu’il voulait savoir ce qu’il était advenu de la fortune de la mère de Fandor. Il est désormais renseigné, il va tenter de s’en emparer…
La solution, dès lors, s’imposait.
La nuit était presque venue. Juve remontait à grands pas, dans la direction du village.
— Dois-je sauter à la gorge de Fantômas, maintenant ? se disait-il. Faut-il attendre qu’il ait mis son projet à exécution, afin de le prendre la main dans le sac ? Non, non, agissons tout de suite, cela vaudra mieux !
Et dès lors, serrant nerveusement la crosse de son revolver dans la paume de sa main il se rapprocha de la maison dans laquelle sans doute un drame n’allait pas tarder à se produire.
Juve était à peine à deux cents mètres de la demeure occupée pour celle qui passait dans tout le pays pour être simplement M me Verdon, qu’il poussait un cri de rage.
— Ah, malédiction ! fit-il.
La voiture attelée de deux chevaux dont les colliers étaient ornés de grelots qui tintaient au frémissement des bêtes, venait de quitter le perron de la maison, emmenant avec elle un voyageur, Fantômas…
— C’est drôle, il n’y a personne. Il est vrai qu’il est déjà fort tard, cependant les usages ne veulent point qu’on laisse une étude de notaire ainsi abandonnée de tout le monde. Quel désordre ! Des dossiers dans tous les coins, sur les tables, les chaises… Enfin, j’espère qu’il n’en est pas de même dans le bureau du patron !… Cette porte rembourrée y accède sans doute ! Écartons-la… Oui, voici la porte véritable… Frappons au panneau de bois…
» Toc, toc, personne ne répond ? Essayons d’ouvrir ! Rien n’est plus simple !… Ah, ça ! C’est comme dans un moulin ici !…
» Me voilà bien dans le bureau du patron. Morbleu ! le cabinet de M e Gauvin, pour être moins fréquenté qu’une place publique, est tout aussi facilement accessible…
L’homme qui monologuait ainsi s’arrêta au milieu de la pièce, croisa les bras, regarda tout autour de lui.
Cet homme-là, c’était Juve.
Que venait donc faire le policier dans l’étude du notaire qu’il avait nommé, dans l’étude de Gauvin ?
La chose était facile à comprendre.
Sitôt qu’il avait vu s’enfuir Fantômas, Juve s’était dit que le bandit, sachant désormais où se trouvait la fortune de M me Rambert, ne manquerait pas de venir la chercher dans le plus bref délai possible.
Or, cette fortune était déposée chez le notaire Gauvin, c’était là qu’assurément allait venir Fantômas, et Juve achevant son raisonnement avait conclu :
— C’est chez Gauvin que je l’attendrai et que nous nous retrouverons !
Il était environ cinq heures du soir, lorsque le policier prenait cette décision à l’entrée du village de Domène ; à six heures trente-cinq il pénétrait dans l’étude de Gauvin.
À la grande surprise de Juve, les bureaux qui étaient vides semblaient abandonnés. On avait l’impression que quelque chose de subit et d’anormal s’était produit qui avait déterminé le départ des clercs, même celui du patron.
Certes, Juve, pour parvenir jusqu’à l’étude, n’avait pas cherché à se faire remarquer, bien au contraire. En fait, il n’était pas entré par la porte donnant sur la rue, qui peut-être était fermée, vraisemblablement même l’était : il avait pénétré par une fenêtre du rez-de-chaussée donnant sur un jardinet.
— Après tout, se dit Juve qui tenait à se rassurer, les gens sont honnêtes à Grenoble, et peut-être les employés ont-ils quitté l’étude simplement parce que c’était pour eux l’heure de s’en aller, et sans éprouver le désir, la nécessité de ranger un peu plus soigneusement leurs papiers.
Mais tout à coup, Juve blêmit.
— Mon Dieu, songea-t-il, pourvu que Fantômas ne m’ait point précédé et que ce désordre ne soit pas le résultat du passage du bandit !
Cette idée était à peine esquissée dans le cerveau de Juve, qu’elle y germait aisément, se développait.
Le policier grinçait des dents ;
— Mais oui, parbleu ! C’est évident ! Fantômas est déjà venu… Fantômas, de gré ou de force, a contraint Gauvin à lui livrer l’enveloppe cachetée contenant la fortune de M me Rambert… Les clercs se sont enfuis épouvantés.
Et Juve, avec une stupéfaction croissante, un désespoir sans cesse augmentant, considérait, les yeux arrondis, terrifiés, le cabinet de M e Gauvin dans lequel régnait en effet un extrême désordre.
Les placards étaient ouverts ; des dossiers s’échappaient d’une armoire mal fermée ; les tiroirs du bureau ministre occupant le milieu de la pièce étaient entrebâillés, et il y avait enfin, dans un angle du cabinet, une immense malle qui semblait là attendre qu’on vienne la remplir de papiers ou de vêtements, en prévision d’un long voyage.
Juve, dont le désespoir n’atténuait pas les instincts de curiosité, regardait de tous côtés, puis, fiévreusement, il se mit à fouiller les papiers épars autour de lui.
Il jetait à bas d’un rayon toute une liasse de dossiers, furieux de ne point trouver le document qui l’intéressait.
Il vida toute une armoire sans meilleur résultat, mais soudain il poussa un cri de triomphe et s’agenouilla devant un tiroir du bureau de Gauvin.
De ce tiroir, en effet, émergeait une grande enveloppe jaune, toute ornée de cachet. Or, sur cette enveloppe, il y avait écrit : Dépôt de M me Verdon.
Sans le moindre scrupule, le policier brisait les cachets, déchirait l’enveloppe ; il poussa un hurlement de joie.
À l’intérieur, se trouvaient des papiers multicolores que le policier reconnaissait fort bien pour être les titres déposés par M me Verdon.
— Dès lors, s’écriait Juve, Fantômas n’est pas encore passé par ici ! Fantômas n’est pas venu ! Il va donc venir, je n’ai plus qu’à l’attendre…
Juve, d’un geste calme, décidé, vidait jusqu’au bout l’enveloppe et il en fourrait le contenu dans sa poche.
— Maintenant, articula-t-il, Fantômas sera obligé de me tuer s’il veut prendre la fortune qui appartient à la mère de Fandor !
Le policier s’arrêtait net ; il prêta l’oreille.
Un léger bruit se percevait au-dehors. On entendait des pas frapper sur le sable, dans le jardinet voisin.
— C’est lui ! pensa Juve, à nous deux !