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— Au secours ! commença le domestique terrifié.

Mais le voyageur lui imposait silence, d’un geste énergique.

— Si tu prononces une parole, si tu pousses un cri dorénavant, sinistre imbécile que tu es, je t’étrangle de mes propres mains !

» Et maintenant que te voilà rassuré, écoute-moi !

» Je te défends d’aller chercher la police, pour cette bonne raison que j’en suis ou tout comme. Toutefois, il y a un policier que je t’autorise à faire venir ici, et au besoin même je t’ordonne d’aller lui demander de venir. C’est mon voisin de chambre, c’est M. Juve, l’inspecteur de la Sûreté qui m’attend !

— Qui vous attend ? répliqua Sulpice hébété.

— Qui m’attend, oui, parfaitement, précisa le bizarre personnage. Lorsque tu le verras, tu lui diras que c’est Jérôme Fandor !

À ce nom, Sulpice bondissait.

— Jérôme Fandor ! cria-t-il, est-ce possible ? Jérôme Fandor, le journaliste, Jérôme Fandor, l’adversaire de Fantômas !

— En personne, oui, sinistre crétin !

— Ah, monsieur !… monsieur !… Permettez que je vous regarde, que je vous admire… balbutiait Sulpice au comble de la stupéfaction. Voilà longtemps déjà que je lis dans les journaux votre nom, que je connais vos aventures et que je désire avoir le plaisir et l’honneur de me trouver en face de vous…

— Eh bien, tu y es, grosse bête !

— Ah ! monsieur Fandor… monsieur Fandor… M. Juve est sorti, mais il ne doit pas être loin, je cours à sa recherche !

Et, absolument enthousiasmé, Sulpice bondissait hors de la chambre, dégringolait l’escalier à toute allure ; son interlocuteur demeurait abasourdi au milieu de la pièce.

— Eh bien, par exemple, murmura-t-il, je ne me croyais pas si populaire !

Soudain, il se frappa le front.

— Eh ! mais l’animal m’emporte mon argent ! Il ne m’a pas rendu mes derniers cinquante francs. Sulpice !… Sulpice !

Le voyageur courait jusqu’à la porte, il se heurta brusquement à quelqu’un qui entrait.

— Espèce d’imbécile ! s’écria-t-il, vous ne pourriez pas faire attention ?

Et il ajoutait avec une ironie railleuse :

— Vous ne voyez donc pas que vous venez de bousculer un saint homme de prêtre ?

Mais le saint homme de prêtre partait d’un grand éclat de rire, en apercevant le personnage avec lequel il s’était si brutalement rencontré.

— Ah par exemple ! fit-il, Gauvin, vous, Gauvin !

C’était en effet le notaire qui pénétrait dans la pièce, après avoir entendu la conversation qui s’était achevée par le départ de Sulpice.

Le notaire tendit la main à l’homme à la robe noire.

— Fandor, monsieur Fandor ! Ah que je suis donc heureux de vous rencontrer ici ! Précisément je cherche M. Juve pour une affaire urgente.

Gauvin cependant reculait, considérait le journaliste, car c’était bien lui, avec une surprise non déguisée.

— Ah ça ! proféra-t-il, comment se fait-il que vous portiez ce costume d’église ?

— Ça, déclara Fandor, c’est toute une histoire. Mais vous avez l’air bouleversé, mon ami Gauvin. Que vous est-il donc arrivé, et pourquoi donc cherchez-vous Juve ?

— Pour arrêter un malfaiteur. Je viens d’être volé !

— De combien ? demanda Fandor.

— Un million, deux peut-être…

— Bougre ! fit le journaliste, et l’auteur de ce vol, c’est ?…

— Je n’en sais rien, fit Gauvin, mais quelqu’un d’audacieux, à coup sûr !

Fandor désignait un siège au notaire, lui-même s’installait dans un fauteuil.

— Racontez-moi ça, fit-il. En attendant Juve, nous avons le temps de bavarder.

Comment Fandor se trouvait-il à Grenoble ?

Et comment portait-il encore le costume qu’il avait dérobé dans le vestiaire de Notre-Dame ?

La chose était facile à comprendre, pour quiconque aurait été au courant des incidents qui étaient survenus au cours de la fuite de Fandor hors de la morgue, fuite qui d’ailleurs avait commencé par la poursuite de Fantômas.

Le journaliste avait estimé, une fois échappé à la foule qui voulait l’écharper sans connaître son identité, que le plus important pour lui, c’était de partir aussitôt pour Grenoble, et d’y retrouver le policier afin d’avoir une explication avec lui et de tirer au clair les nombreux quiproquos qui s’amoncelaient autour de lui.

Fandor, en sautant dans un taxi-auto, avait donné pour adresse au mécanicien la gare de Lyon.

Il avait eu la chance de trouver, dans la poche du manteau de prêtre dont il s’était revêtu, une bourse contenant cent cinquante francs, et remettant à plus tard le soin de rembourser l’inconnu qu’il lésait involontairement, Fandor avait pris un billet pour Grenoble où il arrivait le lendemain soir seulement, s’étant endormi deux fois dans ses trains et ayant deux fois manqué la correspondance nécessaire !

Or, voici qu’il avait fini par parvenir au Modem Hôtel, où il apprenait que Juve était descendu.

Fandor, toutefois, tenait à se débarrasser des vêtements qu’il portait indûment.

Et c’est pour cela qu’il avait essayé de corrompre Sulpice et de persuader ce garçon d’hôtel d’aller lui acheter, chez le premier marchand venu, des vêtements masculins.

C’était alors qu’il avait eu ce débat bizarre avec le domestique, lequel, après avoir été terrifié à l’idée qu’il était peut-être en présence d’un malfaiteur, s’était enthousiasmé ensuite, en apprenant qu’il était en face de Jérôme Fandor et son enthousiasme avait été si grand, qu’il s’en était allé chercher Juve par toute la ville, emportant les cinquante francs que Fandor lui avait donnés, c’est-à-dire tout ce que le journaliste possédait sur lui.

Fandor jugeait inutile de faire le récit de ses aventures au notaire Gauvin. Il était bien plus intéressé par les propos que lui tenait ce dernier.

Gauvin en effet, s’il taisait scrupuleusement à Fandor son intention de fuir avec l’argent de ses clients, narrait en détail l’aventure extraordinaire et mystérieuse dont il venait d’être la victime.

— Je venais de rentrer dans mon cabinet, monsieur Fandor, et comme je suis un homme d’ordre – il en faut beaucoup dans ma profession – je venais d’ouvrir un des tiroirs de mon bureau dans lequel j’avais déposé une grande enveloppe contenant les titres de rente de ma cliente M me Verdon. Or, non seulement, je m’apercevais alors que cette enveloppe était déchirée, que son contenu avait disparu, mais encore j’entendais dans mon cabinet des bruits suspects, qui me faisaient comprendre que le voleur n’était certainement pas loin…

— Alors ? interrogea Fandor. Qu’avez-vous fait ? Je suppose que vous avez cherché partout, fouillé vos tentures, fouillé vos armoires afin de mettre la main sur le coupable…

Gauvin baissa les yeux, rougi jusqu’aux oreilles.

— Ma foi non, monsieur Fandor, je n’ai pas osé… Je me suis enfui…

— Eh bien ! ne put s’empêcher de constater Fandor, vous n’êtes pas la moitié d’un capon vous ! Enfin, ça vous regarde… Il y a combien de temps que cette histoire-là s’est passée ?

Gauvin consulta sa montre :

— Une demi-heure à peu près, trente-cinq minutes au plus…

— Alors, articula Fandor, je suppose que votre voleur doit être loin désormais !

— Je ne le crois pas, rétorqua Gauvin. En m’en allant, j’ai fermé la porte à clef.

— Mais il restait la fenêtre ! fit Fandor.

Cette observation parut stupéfier Gauvin. Il écarta les bras d’un air de résignation désespérée.

— Ça, c’est vrai, fit-il, je n’y avais pas pensé !

Le journaliste le regardait du coin de l’œil.

— Drôle de mentalité ! se dit-il. Voilà un gaillard qui, non seulement se sauve lorsqu’il entend du bruit chez lui, mais qui ne pense même pas à surveiller les abords de son domicile, alors qu’il sait que le voleur dont il vient d’être victime ne doit pas encore en être sorti ! On dirait qu’il est satisfait d’avoir été volé !…