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— M’est avis, murmurait un vieux marin, que c’est surtout Hélène Fantômas qu’il faudrait dire !

Quel était donc l’étrange bâtiment qui avait recueilli, alors qu’elle périssait en mer, la femme de Jérôme Fandor ?

Chapitre III

L’inconnu

Si les menaces de Fantômas avaient laissé la malheureuse Hélène accablée, prostrée, comme morte d’effroi, il était évident que le bandit, en raison même de l’amour qu’il portait à la jeune fille qu’il continuait à regarder comme sa fille, devait, lui aussi, effroyablement souffrir des paroles de colère que celle-ci lui avait adressées, de la rébellion dont elle avait fait preuve à son égard.

Fantômas aussi bien quittait la cabine où il venait d’entretenir sa fille, cette cabine d’où, quelques heures plus tard, Hélène devait si audacieusement s’évader, en proie au plus grand trouble.

Le bandit avait fait bonne figure tant qu’il s’était trouvé devant la jeune femme, donnant en cela une preuve de son extraordinaire énergie morale, mais, dès qu’il se trouvait hors de sa présence, dès qu’il était seul avec lui-même, il perdait tout de son impassibilité habituelle.

— Hélène, murmurait Fantômas… aime Fandor ! Elle aime mon ennemi mortel, et moi, elle me hait…

Ah ! certes, Fantômas à ce moment concevait une nouvelle colère à l’égard de Fandor. Certes, le journaliste incarnait toujours à ses yeux l’ami dévoué de Juve, l’intrépide jeune homme qu’il combattait depuis dix ans, mais soudain il lui trouvait une autre qualité, une qualité qui motivait plus encore sa rancune, il était l’homme qu’aimait Hélène !

C’était alors un étrange sentiment qui s’emparait de Fantômas. Le misérable qui n’avait jusqu’alors jamais connu de souffrance morale, qui avait toujours su se faire profondément indifférent, complètement impassible, goûtait l’âpre tourment de la jalousie. Il souffrait terriblement à la pensée que sa fille Hélène, qu’il chérissait si tendrement, qui était même la seule personne au monde qu’il aimait depuis la mort de lady Beltham, non seulement n’avait pour lui aucune affection, mais encore adorait son plus mortel ennemi.

Fantômas, en quittant le salon où il venait d’enfermer Hélène, marchait tête basse, l’air accablé.

La péniche qui lui servait de prison était, tout comme l’avait deviné la jeune femme, truquée dans son entier. Les tas de charbon qui se trouvaient sur le pont n’étaient là que pour cacher les aménagements intérieurs, et il s’agissait d’un chargement factice, car, en réalité, la barge tout entière était installée en embarcation de plaisance comportant de nombreuses cabines, et même un grand dortoir.

Fantômas suivit l’un des couloirs qui courait le long de ces appartements, voulant se diriger vers les pièces qui lui étaient réservées. Or, comme il avançait ainsi, atterré, accablé, courbant la tête sous le poids de son chagrin, il heurtait à l’improviste un homme, un matelot, semblait-il, qui s’effaçait cependant, s’appuyant à la muraille pour le laisser passer.

Fantômas, arraché à son rêve, tressaillit violemment.

— Imbécile, fit-il, contemplant l’homme qu’il venait de bousculer. Ne peux-tu te ranger ?

L’autre se courbait déjà en des saluts profonds.

— Maître, pardonnez-moi, murmurait-il.

Mais Fantômas n’écoutait pas cette excuse. Brusquement, il avait repris possession de son sang-froid. Brusquement, il retrouvait sa maîtrise ordinaire, réussissant, par un effort d’énergie, à chasser de son esprit toute préoccupation grave.

— Viens, ordonnait Fantômas. J’ai à te parler.

L’homme et lui entrèrent dans un somptueux cabinet de travail, la porte se referma sur eux. Longtemps le bandit et son complice complotèrent ensemble.

Que décidait alors Fantômas, qu’étudiait-il avec ce compagnon qui était évidemment l’un des hôtes mystérieux de la fantastique péniche ? Il eût fallu, pour le deviner, connaître les intentions secrètes du Génie du crime, savoir quelle revanche Fantômas préparait aux défaites que Fandor et Juve venaient en quelque sorte de lui imposer, en sauvant la reine Wilhemine, en conservant à la gracieuse souveraine le trône que Fantômas n’avait pas craint de convoiter.

Mais qui, par malheur, pouvait jamais se vanter de connaître d’avance les intentions de Fantômas ?

Le bandit, bien évidemment, ne confiait ses secrets à personne. Ses complices, eux-mêmes, le plus souvent, n’en savaient pas les grandes lignes, et n’en connaissaient que certains petits détails à peine suffisants pour alimenter leur curiosité, et bons tout au plus à préciser la part effective qu’ils devaient prendre aux géniales entreprises du bandit.

L’homme, après plus de deux heures d’entretien, quitta le cabinet de travail de Fantômas. Il était blême, il tremblait…

— Maître, murmurait-il simplement, vous serez obéi, je suis certain que je réussirai.

La voix de Fantômas répondit :

— J’y compte bien, Ma Pomme !

Puis, la barge retomba dans le silence. La porte du cabinet de travail de Fantômas s’était à nouveau refermée, l’homme qui répondait au sobriquet de Ma Pomme avait disparu ; le mystérieux bateau où sommeillait encore Hélène, attendant l’heure propice pour son évasion, paraissait en vérité complètement désert, totalement inhabité.

Les heures qu’Hélène avait vécues dans la prison que lui avait assignée son père se traînaient alors pour Fantômas avec une lenteur comparable à celle dont la jeune femme souffrait.

Le bandit n’était pas moins ému que sa fille et tout comme sa fille, souffrait. Il se promenait de long en large dans son cabinet de travail, et par moment ses sourcils se fronçaient, ses poings se serraient, comme si une colère effroyable l’eût brusquement secoué.

Quel était donc le secret de cet homme, de cet homme invisible, dont le nom glaçait d’épouvante le monde entier ?

Quelle était donc l’âme véritable de Fantômas, de ce Roi des tortionnaires, qui n’avait jamais reculé devant les plus horribles atrocités et qui souffrait ainsi si cruellement à la pensée que sa fille aimait un autre homme que celui auquel il l’avait destinée ?

Toute la nuit, sans songer à prendre le moindre repos, Fantômas se promenait de la sorte dans ses appartements. À cinq heures du matin seulement, il semblait sortir de l’hésitation, de l’énervement anxieux dans lequel il se débattait péniblement.

— Oui, murmurait Fantômas. Il faudra que tout cela s’accomplisse. Je l’ai décidé ainsi tout d’abord, et mes décisions sont irrévocables.

Brusquement, le bandit quitta son cabinet, longea les couloirs de la barge, se dirigeant vers le salon que devait occuper Hélène.

— Ce n’est pas une femme, murmurait-il, ce n’est pas ma fille qui fera plier mon caprice… Morbleu ! coûte que coûte, j’entends arriver à mes fins !

Fantômas, à cet instant, incarnait parfaitement le Maître de l’effroi, le Génie du crime, le Démon du mal. On le sentait tendu dans un désir suprême ; il était évident que, s’il retournait vers Hélène, c’était pour lui imposer de force quelque terrible volonté.

Fantômas prit à sa ceinture une petite clef dont il se servait pour ouvrir les serrures compliquées qui gardaient, pensait-il, la jeune femme. Il ouvrit la porte grande en appelant :

— Hélène, il faut m’entendre…

Mais à ce moment, la parole expirait sur ses lèvres… Fantômas, muet de surprise, s’immobilisait sur le seuil de la pièce.

Il venait d’apercevoir la muraille sabordée, il venait de se rendre compte qu’Hélène n’était plus là, qu’elle s’était évadée, il distinguait enfin sur la table le court billet qu’elle lui avait laissé.

La surprise était si forte à cet instant que Fantômas chancelait. C’était à la façon d’un homme pris de vertige et qui ne reste debout qu’au prix d’un suprême effort que Fantômas pouvait avancer jusqu’à cette table pour prendre la lettre d’Hélène.

Il la lut d’un regard, puis il la déchira avec une rage abominable.

— La malheureuse, murmurait-il… la malheureuse… elle ose me défier… Hélène oublie-t-elle donc que l’amour peut faire place à la haine, que l’affection peut se changer en exécration… Hélène m’a bravé, je me vengerai !

Fantômas, frémissant, s’approchait du sabord. Il pencha sa tête par le trou qu’Hélène avait réussi à ménager et qui lui avait servi à s’enfuir.