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Or, comme l’inconnu pénétrait dans le vieux moulin, Fantômas, lentement, se rapprochait de lui.

— Mon Dieu, murmurait le Maître de l’effroi, ce que je vais faire est peut-être une sottise, mais je n’ai guère le choix des moyens. Coûte que coûte, il me faut sortir de l’incertitude.

L’inconnu venait d’entrer dans le laboratoire. Il faisait un pas en avant, marchant avec précaution, redoutant de heurter quelque objet, et d’occasionner du bruit. Mais le malheureux n’allait pas loin.

Fantômas, en effet, hâtant le pas, venait de se rapprocher de lui à tel point qu’il le frôlait presque désormais.

Fantômas alors, osait un geste terrible, si souvent osé par lui déjà.

Sa main se leva, rapidement, il y eut dans l’air comme un sifflement bref, puis un râle étranglé, puis le bruit lourd d’un corps qui s’affale sur le sol…

Fantômas, maintenant, ne prenait plus aucune précaution…

Mort !… dit-il à voix haute. Décidément, je sais toujours donner un bon coup de poignard. J’ai très proprement expédié cet individu dans l’autre monde. Voyons maintenant tranquillement son visage.

Fantômas prit dans sa poche une lampe électrique, et en projeta les rayons sur la face exsangue de l’homme poignardé. Mais lorsque Fantômas eut vu le visage de cet homme, la lampe s’échappa de ses mains :

— Miséricorde, murmurait le Maître de l’effroi, d’une voix étonnée, miséricorde, comme il lui ressemble !…

Fantômas, longtemps, contempla le cadavre qui gisait à ses pieds. Puis il éclata de rire, se frotta les mains. Un murmure sortit de ses lèvres, il disait, se parlant à lui-même :

— Ce sera une plaisanterie, une bonne plaisanterie, ma parole…

Et, penché sur le mort, Fantômas fouillait dans ses poches, volant le portefeuille, compulsant les papiers.

Une exclamation brusque lui échappa encore :

— Ah ! par exemple…

Puis il ajouta pensivement :

— Quelle trouvaille…

Quel était donc l’homme tué par Fantômas, quelle découverte venait donc de réussir le sinistre Génie du crime ?

Chapitre V

Policiers prudents

— La première rue après avoir traversé le boulevard Anspach… la première rue il n’y a pas à s’y tromper, c’est celle-ci. On m’a dit encore : « Vous apercevrez une lanterne verte portant un écriteau Poste de police ». Cherchons la lanterne verte !

L’homme qui monologuait ainsi, marchant à grands pas sur les boulevards de Bruxelles était un individu fort correctement habillé d’un grand pardessus noir, d’un chapeau melon, de souliers vernis. Il tenait de la main droite une canne à pomme d’or, et serrait sous son bras gauche une serviette d’avocat, que maintenait fermée, par surcroît de précaution, semblait-il, une épaisse sangle d’étoffe.

Ce personnage pouvait avoir une trentaine d’années, il paraissait fort comme il faut, et tout, dans son attitude, révélait l’homme bien élevé qui occupe un certain rang social et n’hésite point, le cas échéant, à se considérer lui-même comme un personnage !

Ce personnage, toutefois, par moment, fronçait les sourcils, et sa mine alors devenait préoccupée.

— Pourvu que je réussisse, murmurait-il, pourvu que l’on m’écoute…

Il s’était orienté, suivant évidemment les indications qu’on lui avait fournies quelques minutes avant ; il avait, quittant le boulevard Anspach, tourné dans une rue voisine et, désormais traversant la chaussée, il se dirigeait vers un immeuble d’assez modeste apparence, dont le rez-de-chaussée était occupé par une grande boutique aux fenêtres grillagées que surmontait une grande inscription : Poste de police.

— Voici mon affaire, murmura l’inconnu.

Quelques instants plus tard, il abordait avec aisance l’un des deux gardiens de la paix qui, en la capitale belge, imitant à merveille les mœurs parisiennes, stationnaient sur le seuil en qualité de factionnaires :

— Les bureaux du commissariat ?

L’inconnu avait légèrement salué le gardien de la paix qui répondit, en touchant son képi :

— À quel sujet, savez-vous ?

Un sourire plissa les lèvres du questionneur, qui, très évidemment, s’amusait de la pittoresque tournure de ce français belge que l’on parle communément à Bruxelles, qui s’en amusait d’autant plus qu’il n’était certainement pas Belge lui-même, qu’il devait être tout au contraire Parisien et même Parisien averti, ainsi que cela se devinait à sa tournure, à sa démarche.

L’inconnu répliqua :

— Je désirerais entretenir personnellement M. le commissaire de police.

L’agent salua encore, évidemment impressionné par l’autorité du questionneur, qui prétendait ainsi, de prime abord, obtenir audience du grand magistrat qu’était le commissaire de police aux yeux de son subordonné.

— Pour une fois alors, répondit l’agent, il faut monter l’escalier qui colimaçonne, certes oui, sais-tu ?

L’étranger sourit encore, amusé de ce parler belge, puis remercia.

— À votre disposition, fit l’agent.

Les deux factionnaires recommençaient leur monotone promenade devant le poste de police, l’homme grimpait un petit escalier étroit et tortueux, un escalier en colimaçon, ainsi qu’on dit en français, un escalier qui colimaçonne, ainsi que le disent avec une exactitude d’expression parfaite, les Belges, nos voisins.

Sur le palier du premier étage, le personnage trouva un huissier qui, sans lever la tête, le regardant par-dessus ses lunettes, l’interrogea brusquement d’un ton rogue :

— Que voulez-vous ?

— Pourrais-je parler à M. le commissaire de police ?

Il y avait malheureusement entre l’huissier et le gardien de la paix la différence profonde qui sépare toujours un homme ordinaire d’un fonctionnaire de l’État. Le gardien de la paix avait été aimable, et l’huissier, qui n’était d’ailleurs qu’un simple garçon de bureau pompeusement titré, suivant la mode belge, fut bourru.

— On ne dérange pas le commissaire, savez-vous ?

À quel sujet voulez-vous le voir ?

— Pour affaire urgente et grave.

Si l’huissier se faisait désagréable, le personnage se faisait indifférent à sa brusquerie calculée. Il parlait en homme qui est sûr de son fait, son ton n’admettait guère la discussion.

L’huissier sentit la menace, eut un instant l’idée de se révolter, mais n’osa pas.

— Vous avez une carte ?

— Voici.

L’inconnu avait tiré son portefeuille, il tendait un bristol, dont l’huissier, d’un geste machinal, vérifiait impoliment la gravure en passant son pouce sur le nom. Le serviteur épela les titres et qualités du questionneur.

— Vous êtes M. Jussieu, courtier en parfumerie ?

L’étranger s’inclina sans répondre.

— Attendez, je vais voir…

L’huissier se levait pesamment, en homme que l’on arrache à une béate torpeur, s’en allait frapper à une porte, pénétrait dans un bureau voisin. Quelques secondes plus tard il réapparaissait, annonçant :

— M. le commissaire veut bien vous recevoir, entrez…

Un instant plus tard, le personnage qui insistait de la sorte pour parler au commissaire de police, se trouvait dans le cabinet même du magistrat, en face d’un personnage d’une quarantaine d’années, à l’air assez infatué de lui-même, aux gestes brusques, au ton cassant.

— Vous désirez ? s’informait-il.

Le courtier en parfumerie, qui avait salué et demeurait découvert, ne paraissait nullement surpris et moins ému encore de la façon un peu sèche dont on lui adressait la parole. Il prenait une chaise sans qu’on l’y invitât, et posément déclarait :

— Monsieur le commissaire, je vous demande pardon de venir ainsi vous importuner, mais il s’agit d’une affaire grave.

— Laquelle ? interrompit le magistrat.