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— Adressez-vous au pape, si bon vous semble !

Il parut un instant que le courtier en parfumerie allait se jeter sur le commissaire de police, et lui infliger la verte leçon qu’il méritait, mais il sut, heureusement pour lui, se contenir.

— Votre serviteur, dit-il.

Et sur un très bref salut, l’encaisseur s’éloigna.

Il entendait d’ailleurs, cependant qu’il descendait l’escalier qui devait le ramener à la rue, le commissaire de police s’emporter furieusement.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? murmurait le magistrat. Les gens viennent se plaindre d’avance, maintenant… En voilà un imbécile ! Plus souvent, d’ailleurs, que je m’exposerais à lutter contre Fantômas… Fantômas est bien plus fort que moi, cela me ferait une sale histoire sur les bras !

À cette diatribe, toutefois, le courtier en parfumerie ne prêtait guère attention. Il était pâle, et c’était d’un geste nerveux qu’il pressait contre son sein sa serviette où reposaient les billets de banque exposés au désir de Fantômas.

— C’est insensé, murmurait-il. Vraiment, c’est une jolie chose que la police…

Il hésitait un instant sur le seuil du poste de police, puis hélait un fiacre qui maraudait :

— Au Palais de Justice, cocher !

Une heure plus tard, le courtier en parfumerie se trouvait en face du procureur général, près le tribunal de Bruxelles.

L’accueil différait évidemment.

Le magistrat avait des procédés de politesse et de courtoisie qui ignorait la brutalité d’un commissaire de police. Toutefois, ce procureur général prêtait la plus grande attention aux déclarations du courtier en parfumerie, mais il n’accueillait guère plus favorablement sa demande.

— Monsieur, déclarait-il avec un grand calme, et cela précisément en présence d’un jeune substitut, fils d’un député influent, je ne puis rien pour vous. La lettre que vous avez reçue constitue, il est vrai, une tentative de chantage, mais vous n’avez pas l’intention, je pense, d’intenter un procès à Fantômas ?… Ce que vous voudriez, n’est-ce pas, c’est que l’on mit à votre disposition deux agents de police pour vous protéger ? C’est cela, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur, dit le courtier dont la voix s’altérait.

— Eh bien, affirmait le magistrat, cela m’est totalement impossible. Cela ne peut être accordé, comme vous l’a fort bien dit le commissaire de police que vous avez vu, qu’au cas où il y a eu commencement d’exécution. Supposez, en effet, que vous soyez simplement victime d’une fumisterie ?

— Pardon, interrompit le courtier. Mais supposez que ce ne soit pas une fumisterie ?…

Or, le procureur général trouvait à cela une réponse qui devait laisser son visiteur désemparé :

— Évidemment, déclarait-il, c’est un risque à courir !

Et il poussait doucement le courtier en parfumerie vers la porte de son cabinet qu’il lui ouvrait courtoisement afin de bien marquer que l’audience était terminée.

En quittant le cabinet du procureur général, le courtier en parfumerie, dès lors, ne savait plus guère de quel côté se diriger :

— C’est invraisemblable, grognait-il en s’éloignant, avec l’espoir évident d’être entendu du jeune substitut qui venait d’assister à sa conversation avec le procureur général. C’est invraisemblable ce que la police est mal faite !… Les honnêtes gens ne sont pas protégés. Oh ! mais cela ne se passera pas comme cela, je ferai du scandale !

Sur ces mots, le jeune substitut se rapprochait rapidement de lui :

— Et vous aurez raison, déclara-t-il. Laissez-moi vous donner ma carte. Je suis fils de député ; si par hasard un ennui vous arrivait, mon père porterait la question à la tribune !

Cela évidemment n’avançait pas beaucoup le courtier en parfumerie, qui, à un scandale politique, eût préféré, étant donné les circonstances, une protection efficace. Toutefois, il s’inclinait :

— Je vous remercie, monsieur, j’accepte volontiers votre offre, car il est inimaginable que quelqu’un qui se sait menacé comme moi ne puisse pas se faire protéger.

M. Jussieu s’était arrêté pour causer au substitut ; il allait s’éloigner lorsque celui-ci le rappela :

— À votre place, déclarait tranquillement le jeune homme, je m’adresserais à une agence de police privée.

— C’est exact, tressaillit le courtier. Vous avez une excellente idée, monsieur. Mais où trouver une adresse ?

— Oh, conseillait le substitut, dans le premier bottin venu !

Deux heures après ces diverses démarches, M. Jussieu, fort nerveux, fort émotionné semblait-il, se trouvait dans un petit bureau sobrement et presque pauvrement meublé, dans l’un des faubourgs de Bruxelles, en face d’un homme d’une trentaine d’années qui n’était autre que Job Tylor, directeur de l’agence de police G.D.H. « spécialité d’enquêtes, de recherches et de surveillances » ainsi que le disait le prospectus de ce détective privé.

Job Tylor avait une physionomie intelligente, semblait énergique et décidé. Il écoutait, amusé malgré lui, le récit mouvementé de M. Jussieu qui lui narrait les visites qu’il avait faites.

— Vous le voyez, déclarait le courtier en parfumerie, j’ai tout essayé pour émouvoir les sphères officielles, mais je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien à espérer de ce côté. Je pense être plus heureux avec vous. Voulez-vous accepter, monsieur Job Tylor, de m’accompagner jusqu’à mon retour à Paris ?

Le détective n’avait garde, bien entendu, de refuser une affaire de si grande importance.

— Cela dépend des honoraires, murmurait-il.

Mais M. Jussieu, en vérité, était bien trop inquiet à ce moment pour ne point se montrer accommodant sur un pareil détail.

— Les honoraires, déclarait-il, seront ceux qu’il vous plaira de fixer, car je ne doute pas que vous ne soyez raisonnable.

Étant désormais d’accord, le détective privé interrogeait son client et se faisait raconter toute la genèse de l’affaire dont les péripéties promettaient d’être fort importantes.

— Vous ne connaissez pas Fantômas ? demandait-il.

— Nullement.

— Vous ne voyez point de quelle façon il a pu être mis au courant de vos affaires ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.

— Vous ne prévoyez pas davantage où et quand il pourrait vous attaquer ?

— Non, soupira encore M. Jussieu.

Le détective eut un sourire de parfaite assurance.

— Eh bien, dit-il, j’en serai quitte pour être continuellement sur mes gardes.

Et Job Tylor ajoutait avec un sourire assez avantageux :

— Rassurez-vous, monsieur Jussieu, un homme averti en vaut deux, et un détective prévenu en vaut quatre. On ne vous volera pas, et il ne vous arrivera pas malheur.

Job Tylor était-il réellement aussi rassuré qu’il voulait bien le dire ? Exagérait-il, au contraire, la confiance qu’il avait en lui-même, et cela afin d’impressionner favorablement son client ?

L’explication de sa tranquillité était en réalité tout autre.

Job Tylor aimait passionnément son métier. C’était un énergique garçon qui vivait chichement d’une profession qui ne nourrit jamais largement son homme, et qui se passionnait depuis longtemps pour les aventures, célèbres dans le monde entier, du terrible Fantômas.

Job Tylor, dans le secret de son âme, rêvait d’être présenté à Juve, et désirait ardemment égaler les prouesses du célèbre policier.

Rien que cela eût été suffisant pour que Job Tylor accueillit avec enthousiasme le client particulièrement intéressant que représentait à ses yeux le courtier en parfumerie. Mais il était une raison surtout qui faisait que Job Tylor ne concevait en ce moment aucune émotion à l’idée d’avoir à se mesurer, peut-être même à entrer en lutte avec Fantômas : cette raison, c’était tout simplement que Job Tylor doutait fort que Fantômas fut réellement l’auteur des menaces qui avaient tant effrayé le courtier.

— Non, non, se disait-il. Fantômas n’a pas de ces procédés enfantins, il n’écrirait pas à l’une de ses victimes pour lui annoncer aimablement qu’il a l’intention de s’attaquer à elle… À coup sûr, cet excellent homme est tout simplement le jouet d’une plaisanterie de mauvais goût, cette lettre est le fait d’une blague de commis voyageur, il n’y a pas plus de Fantômas là-dedans qu’il n’y a d’intervention mystérieuse dans un tour de prestidigitation !