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Partant de ce principe, Job Tylor, fort tranquillement, continuait à rassurer le courtier en parfumerie.

— C’est entendu, continuait-il, comme M. Jussieu persistait à lui fournir des détails qui ne l’intéressaient guère, en homme qui se félicite d’avoir enfin trouvé un auditeur complaisant. C’est entendu, cher monsieur. Vous avez quarante mille francs à sauvegarder, je vous garantis qu’on vous les sauvegardera, et je vous donne ma parole que vous les rapporterez à Paris !

Et pour donner plus de poids à ses paroles, Job Tylor ajoutait :

— D’ailleurs, à partir de maintenant, je ne vous quitterai pas d’un instant, je vous suivrai en marchant sur vos talons. Je serai armé, et par conséquent, vous le voyez, vous n’avez rien à craindre.

L’assurance de Job Tylor calmait naturellement les appréhensions du courtier en parfumerie qui, petit à petit, semblait se laisser gagner par le flegme tranquille du détective.

— Vous m’enlevez un poids de dessus la poitrine, déclarait-il avec une certaine rondeur. On a beau ne pas être un poltron, cela vous fait tout de même un certain effet, voyez-vous, de penser que Fantômas veut lutter contre vous. Ma parole, cher monsieur, je n’étais pas rassuré.

— C’est tout naturel, affirmait Job Tylor.

Le courtier en parfumerie reprit :

— Et même, je pense à quelque chose : parbleu, si Fantômas nous attaque, à nous deux, nous l’arrêterons, hein ? Une sensationnelle aventure, en vérité !

Job Tylor hochait la tête avec émotion :

— Fichtre, oui !

Puis le détective proposait :

— Mais vous avez sans doute des affaires à traiter, monsieur Jussieu ? Désormais, il n’y a plus aucun motif pour que vous ne vaquiez pas à vos occupations. Voulez-vous que je vous accompagne dès ce matin ?

— Vous êtes libre ?

— Assurément.

M. Jussieu se leva.

— En ce cas, je ne dis pas non, acceptait-il. Allons d’abord déjeuner, j’irai voir ensuite deux clients, et nous prendrons ce soir le rapide de Paris.

— C’est parfait, décida encore Job Tylor.

Le détective venait de mettre un peu d’ordre sur sa table de travail qui d’ailleurs en avait grand besoin, et s’excusait auprès de son client :

— Voulez-vous m’attendre un instant, monsieur Jussieu ? Dame, je ne pensais pas partir en voyage… je vais jeter deux chemises et trois faux-cols dans un sac, prendre quelques objets de toilette, laisser un mot pour prévenir mon secrétaire, et je suis à vous.

— Faites donc, approuva M. Jussieu.

Job Tylor quitta la pièce, fort enchanté, en vérité, de la marche des événements. Certes, il avait eu une rude émotion lorsque M. Jussieu, en arrivant, lui avait annoncé qu’il venait le trouver à propos de Fantômas. Il avait alors inventé toute une sensationnelle intrigue, escompté un succès magnifique, entrevu la gloire et la célébrité. Certes, il lui était un peu pénible de renoncer à cette superbe perspective, mais somme toute, il s’en consolait en pensant que néanmoins l’affaire était intéressante, car l’enquête à laquelle il allait se livrer lui vaudrait certainement d’importants honoraires.

— Faisons de l’argent, se disait Job Tylor, à l’instant où il quittait M. Jussieu, pour passer dans sa chambre à coucher, faisons de l’argent… et ne nous occupons pas du reste !

Or, Job Tylor n’avait pas quitté M. Jussieu depuis plus de deux minutes, lorsqu’il devait brusquement changer d’avis.

Le détective était en effet à peine parvenu au milieu de sa chambre, c’est-à-dire qu’il s’était tout juste éloigné de quelques pas de son cabinet de travail où l’attendait M. Jussieu, qu’un cri terrible, cri de peur et d’angoisse, cri de détresse et cri d’agonie, retentissait dans ce cabinet de travail.

Job Tylor, un instant, s’arrêta stupéfait. Au cri avait succédé un grand silence, puis un bruit pesant, puis un fracas retentissant.

Tout cela se passait très vite ; Job Tylor, haletant, déclara :

— Mon Dieu, on s’assassine… la victime tombe… la fenêtre est brisée !…

Et il n’en dit pas plus, parce que, rebroussant chemin, il se précipita dans son cabinet de travail.

Or, le spectacle qu’aperçut le détective était bien fait pour lui occasionner la plus extraordinaire des stupeurs :

La pièce était dans le plus grand désordre ; des chaises étaient bousculées dans un coin ; sous le bureau, renversé, geignant faiblement, M. Jussieu paraissait à moitié mort. Des papiers voltigeaient enfin, échappés de la serviette aux billets de banque, qui gisait, éventrée d’un coup de poignard, entièrement vide… La fenêtre brisée offrait des traces d’effraction et à sa poignée pendait, accroché là, déchiré, un grand lambeau d’étoffe noire…

— Nom de Dieu ! jura le détective… Est-ce que, par hasard…

Et il se jetait à genoux, se penchait sur M. Jussieu :

— Allons, vous m’entendez ? Qu’est-ce qui…

M. Jussieu ne geignait plus… Il était maintenant immobile. Job Tylor s’affola.

— Mais, fichtre de nom d’un chien, il est mort !

En toute hâte, le détective allait quérir un pot à eau, dont il vidait le contenu sur la tête de son malheureux client.

Le froid, la douche glaciale, tira le courtier en parfumerie d’un profond évanouissement.

— Vous êtes blessé, râla Job Tylor.

M. Jussieu était pâle comme un mort. Il se remettait péniblement sur son séant, il avait le geste égaré d’un homme qui se réveille d’un effroyable cauchemar.

Job Tylor répéta :

— Pour Dieu, répondez-moi, faites un effort… que s’est-il passé ? Êtes-vous blessé ?

M. Jussieu, cette fois, parut comprendre, mais il était hors d’état de parler distinctement. D’une voix blanche, indistincte, il bégayait seulement ces mots qui avaient, hélas, un sens bien compréhensible :

— Je… je… je… volé… Fantômas… par la fenêtre…

Job Tylor hurla une imprécation, se précipita à la fenêtre. Son appartement était au rez-de-chaussée, la rue où il habitait était droite à l’infini, il la fouillait du regard, il ne vit rien…

— Personne, nom de Dieu ! sacra le détective.

En deux pas il traversa le cabinet de travail, bondit dans l’escalier.

Il était entièrement vide. Alors, s’arrachant les cheveux, Job Tylor revint dans le cabinet de travail où le courtier en parfumerie, pour la seconde fois, venait de glisser sur le sol, pris d’une syncope…

Chapitre VI

Le paralytique

C’était évidemment une très vieille dame et en même temps, incontestablement, une brave femme, un peu bavarde et exubérante, mais sympathique cependant. Devant sa petite maisonnette, à Haarlem, elle avait hélé d’un geste bref une des voitures publiques qui se tenaient à la disposition des clients, et maintenant elle assourdissait le cocher de recommandations extraordinaires, faisant de grands gestes, multipliant les signes de tête, ce qui semblait mettre en grand péril le volumineux panache de plumes qui ornait sa capote aux brides de velours.

— N’est-ce pas mon brave ? recommandait-elle : vous irez très vite, car je ne voudrais pas manquer le train, mais vous éviterez de passer sur les pavés car la moindre secousse cause au pauvre enfant une intolérable douleur… Ah, j’oubliais… à la gare, il faudra aussi m’aider à le faire descendre.

Le cocher, un Hollandais de pure race, qui fumait une énorme pipe de porcelaine, écoutait flegmatiquement tous ces avis, et tâchait d’en démêler le sens exact.

— C’est bon, faisait-il. On fera ce qu’on pourra pour vous être utile. Quel âge a votre fils ?

— Vingt-six ans, répliquait la vieille femme. Ah ! Dieu m’aide !… je vous assure, cocher, que c’est un bien grand malheur pour une pauvre femme comme moi, qui n’a plus de mari, et qui se trouve seule dans la vie, d’avoir à soigner un infirme si gravement atteint… D’ailleurs, vous allez voir. Descendez de votre siège, mon bon, vous m’aiderez à porter son fauteuil. On se doit assistance, n’est-ce pas ?