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— Nom de Dieu ! faisait-elle. L’abominable charogne me gênera donc toujours ?

À cet instant, elle se penchait à la portière, contemplait fixement l’arrière du train.

— Et ils montent dans le même wagon que moi, faisait-elle. Nous ne sommes séparés que par quatre ou cinq compartiments… Décidément, tout est pour le mieux ! Juve et Fandor, tenez-vous bien !

Quelle était donc cette extraordinaire bonne femme ? Que signifiaient et son attitude, et ses paroles ? Quelle était la raison de la menace qu’elle semblait implicitement formuler à l’égard de Juve et de Fandor ?

Le train, dix minutes plus tard, démarrait péniblement, puis prenait de la vitesse, filait enfin au long de la voie à toute allure. La vieille s’était assise en face de son fils, elle avait déployé un grand journal, elle lisait attentivement les nouvelles de la dernière heure, cependant qu’un autre voyageur, un gros prêtre à la face joufflue, montait dans le même compartiment, ouvrait et refermait son bréviaire, se démenait sur la banquette, jetait des regards sympathiques au malade, faisait le plus de bruit possible enfin, dans l’espoir évident d’engager la conversation et de tromper ainsi la monotonie du trajet.

Il était certain toutefois que la vieille dame ne tenait nullement à bavarder. De temps à autre, d’un furtif regard, elle examinait son fils, s’assurait qu’il dormait toujours, puis se replongeait dans son journal.

Des heures passèrent ainsi. L’express stoppa à des petites gares. Haletant, époumoné, un autre voyageur, à quelque distance d’Anvers, prit place dans le compartiment.

Lui aussi avait un regard apitoyé pour le malheureux malade qui semblait de plus en plus pâle, mais fort correctement, il ne cherchait nullement à engager la conversation. Passant devant la vieille dame, d’ailleurs, il avait été s’asseoir dans le coin opposé, juste en face du gros prêtre qui avait fini par se décider à tirer lui aussi, un journal de sa poche, et qui lisait les faits divers.

Quel était ce nouveau voyageur ?

Si Job Tylor, le détective bruxellois, avait été mis en sa présence, il n’aurait certainement pas hésité à l’identifier, car ce n’était autre que le courtier en parfumerie, M. Jussieu, lequel avait été victime d’un vol abominablement audacieux, dans son propre domicile.

M. Jussieu revenait vers Paris, ce qui n’était guère extraordinaire, mais évidemment il n’y revenait pas par la voie la plus directe, puisque, au lieu d’avoir pris à Bruxelles le train de la capitale, il avait commencé par s’éloigner de Paris, allant s’embarquer bien au-delà d’Anvers, à quelques pas de la frontière hollandaise.

M. Jussieu, tranquille dans son coin, continuait à lire le journal qu’il avait tiré, lui aussi, lorsqu’à une nouvelle station, le prêtre qui se trouvait dans le compartiment descendait.

M. Jussieu, aimablement, l’avait aidé à sortir sa valise, il regagnait son coin, prêt à reprendre sa lecture, lorsque la vieille dame abandonnait enfin son obstiné silence.

La voix brusque, impérieuse, une voix grave, en vérité, la vieille dame appelait :

— Ma Pomme ?…

Or, à cette interjection, M. Jussieu sursautait. Il sursautait comme très surpris, comme frappé de stupeur même ; il regardait en même temps dans le couloir du wagon, cherchant évidemment qui avait parlé, et ne croyant pas que ce fût sa compagne de route.

Celle-ci, toutefois, ne lui permettait pas d’hésiter longuement. Elle reprenait en effet :

— Ma Pomme ?…

Cette fois, M. Jussieu la considéra fixement.

— Pardon, commença-t-il, mais…

Un éclat de rire lui coupa la parole, la vieille dame semblait au comble de la bonne humeur.

— Imbécile, articulait-elle. Tu ne me reconnais donc pas, Ma Pomme ?

Ces paroles s’adressaient visiblement à M. Jussieu, et celui-ci, d’ailleurs, ne semblait pas autrement étonné du bizarre sobriquet que la mère du paralytique paraissait lui attribuer. Il se tournait vers la vieille, il la regardait avec un soin extrême, puis, d’un coup d’œil, indiquait à la bonne femme la présence du paralytique.

Or, ce coup d’œil paraissait en vérité mettre le comble à la gaîté de la vieille femme.

Elle riait encore quelques instants, elle riait tout son saoûl, puis elle affirmait :

— Ne t’occupe pas de lui, Ma Pomme… C’est un garçon discret !

Et soudain seulement, la vieille ajoutait :

— Fichtre ! qu’il fait chaud là-dessous… Cette perruque me cause un effroyable mal de tête !

Et, prononçant ces paroles, la vieille prenait son chignon à pleine main, le tirait de dessus sa tête, ce qui avait l’étrange effet de la débarrasser en même temps de son volumineux chapeau.

Oh ! c’était évidemment une extraordinaire vieille que la mère du paralytique !

Et si Juve ou Fandor, qui se trouvaient dans le même train, à quelques compartiments de distance, avaient pu l’apercevoir, ils n’auraient point manqué d’en éprouver la plus forte émotion.

La vieille dame, en effet, débarrassée de sa perruque et de son chapeau, changeait brusquement de visage.

Une vieille dame ? Allons donc !… Il n’y avait pas à s’y tromper. Cette vieille dame, c’était un homme, un homme jeune, aux traits énergiques, au visage volontaire, aux yeux brillants, un homme dont les traits étaient légendaires, un homme que M. Jussieu reconnaissait à l’instant, qu’il nommait en joignant les mains :

— Ah ! par exemple ! disait le courtier en parfumerie, vous !… vous ici !… je ne vous avais pas reconnu, vous, maître !… vous, Fantômas !

À quoi Fantômas, car la vieille n’était autre, en effet, que le terrible Génie du crime, ripostait en riant :

— Eh oui, imbécile, c’est bien moi !… La vieille dame, c’est bien Fantômas, comme M. Jussieu est bien… Ma Pomme !

Vingt minutes plus tard Fantômas, qui d’ailleurs avait remis sa perruque et son chapeau de vieille femme, causait ardemment avec l’extraordinaire M. Jussieu, qu’il s’obstinait à appeler Ma Pomme, ainsi qu’il était naturel, puisque M. Jussieu était en réalité l’apache de ce nom.

Fantômas interrogeait :

— Alors, faisait-il la voix brève… continue, poursuis… tu en étais au moment où, devant cet imbécile de détective, tu faisais semblant de t’évanouir à nouveau… Qu’arriva-t-il ensuite ?

Ma Pomme, à ce moment, avait la face la plus joyeuse du monde et riait de tout son cœur. Il s’octroyait de grandes claques sur les cuisses, et paraissait au comble du contentement.

— Attendez, faisait-il, attendez, maître… vous allez voir que je ne suis pas la moitié d’une gourde…

Et, faisant une pause pour rire, il reprenait bientôt :

— Donc, maître, j’avais à ce moment à peu près rempli la mission dont vous m’aviez chargé. J’avais, en effet, prévenu la police que Fantômas, que vous, par conséquent, vous menaciez quelqu’un, quelqu’un qui n’était autre que moi, et qu’en conséquence, vous deviez être à Bruxelles. La police m’avait envoyé promener, et j’avais été voir un détective privé. Chez ce détective privé, enfin, je simulais un vol, jetant au feu les faux billets de banque qui garnissaient ma serviette, hurlant comme un putois, et m’évanouissant comme une jeune mariée. Dans ces conditions, Job Tylor était évidemment prêt à certifier que le vol avait bien été commis par Fantômas et qu’en conséquence vous étiez bien à Bruxelles. C’était ce que vous vouliez, n’est-ce pas, maître ?

— Exactement, approuva Fantômas. Continue !

Ma Pomme prit un air avantageux.

— Dans ces conditions, maître, j’aurais pu tout tranquillement ne pas poursuivre les choses, mais j’ai voulu avoir la victoire jusqu’au bout.

— Et alors ?

— Et alors, maître, pendant que cet excellent Job Tylor, victime de mon stratagème, se démenait pour me tirer d’un évanouissement qui n’avait jamais existé, je faisais preuve de véritables qualités que vous apprécierez, j’en suis sûr.

Fantômas, en entendant cela, ne put s’empêcher de sourire.

— Ne te félicite pas toi-même, murmura-t-il. Raconte simplement ce que tu as fait, je saurai fort bien l’apprécier.

Mais cette réprimande ne troublait nullement Ma Pomme qui continuait, faisant preuve d’un certain orgueil :