Fidèle à ses habitudes autoritaires, Fantômas d’ailleurs estimait qu’il avait assez renseigné Ma Pomme et que celui-ci n’avait pas à prétendre approfondir davantage ses intentions.
Fantômas, en effet, se levait.
— Voilà, disait-il, Ma Pomme. Voilà tout ce que j’ai à te dire en ce moment. Tu comprendras le reste peut-être un peu plus tard, et cela, d’ailleurs, importe peu.
Fantômas riait à quelque pensée secrète, puis il interrogeait son complice :
— Dis-moi, Ma Pomme, nous ne devons plus être très loin de la gare d’Anvers ?
— Patron, nous y serons dans une bonne demi-heure.
— Fort bien. Et à Anvers, il y a dix minutes d’arrêt, n’est-ce pas ?
— Oui, patron. Est-ce là que nous descendons ?
Fantômas, avant de répondre, parut réfléchir.
— Un instant, dit-il.
Puis il décida :
— Toi, Ma Pomme, tu ne descendras pas à Anvers. Moi, ce sera différent. Tu vas donc continuer avec ce train jusqu’à Paris ; je ne te donne pas d’autre mission que celle d’observer les incidents de route. Quand j’aurai besoin de te revoir, je te préviendrai.
Ma Pomme écoutait sans mot dire les instructions que lui donnait le bandit ; il hochait la tête, ajoutant :
— Patron, je serai toujours à votre disposition.
Mais Fantômas ne prêtait guère attention à ses paroles.
— Ma Pomme, reprenait-il, si nous devons être dans vingt-cinq minutes à Anvers, il importe de ne plus perdre de temps. Ferme les rideaux bleus pour empêcher les gens qui se promènent dans le couloir de voir ce que nous faisons, et aide-moi.
Un instant plus tard, Fantômas avait quitté son déguisement de vieille femme. Il avait dépouillé sa perruque, enlevé sa robe, et il apparaissait sous son aspect ordinaire, vêtu de vêtements noirs, le visage dégrimé, le geste libre, l’air décidé.
Mais Fantômas allait-il rester dégrimé en réalité ?
Il étalait maintenant sur les coussins de la banquette tout un attirail de fards et de crayons gras analogues à ceux dont se servent les comédiens.
— Ma Pomme, appelait Fantômas, tu vas me tenir sous les yeux cette photographie !
Fantômas avait tiré de sa poche une photographie qu’il remettait à Ma Pomme. Il s’était armé lui-même d’un gros bâton de fard, et il traversa le wagon, se rapprochant du coin occupé par le paralytique.
Quelle sinistre horreur allait donc encore réaliser le Maître de l’épouvante ? À quelle nouvelle ruse abominable allait-il avoir recours ?
Chapitre VII
La peur de Juve
Comment se faisait-il que Juve et Fandor fussent montés à Amsterdam dans le même train qui avait emmené Fantômas déguisé en vieille femme et la malheureuse dépouille mortelle de Daniel passant pour un paralytique ?
Cela tenait en réalité à une succession d’événements fort naturels en apparence, fort normaux, semblait-il, à propos desquels Juve et Fandor avaient raisonné avec la plus grande logique, et qui cependant prouvaient quelle était l’effroyable maîtrise du Génie du crime, quelle était la stupéfiante audace du Roi de l’épouvante.
La veille au soir, en effet, tandis que Juve était plongé dans l’étude d’une série de documents policiers communiqués par la police d’Amsterdam, dans lesquels il espérait découvrir quelque indice relatif à Fantômas, la porte de sa chambre d’hôtel s’était brusquement ouverte, repoussée à coups de pieds par un personnage qui paraissait éprouver une exubérante émotion.
Juve, depuis bien longtemps, avait pris l’habitude des plus fantastiques aventures et était arrivé ainsi à ne plus s’étonner de rien. Juve s’attendait donc au pire et veillait à se tenir toujours prêt à tout. Le policier, en effet, avait pu maintes fois s’apercevoir que Fantômas était l’homme à tenter les choses les plus folles et Juve, en conséquence, n’aurait jamais juré qu’à la minute suivante il ne se trouverait point en face du redoutable bandit.
Dans ces conditions, à l’instant où l’on cambriolait en quelque sorte sa porte, Juve, brusquement se levait, sautait derrière sa table, et tirait un revolver qu’il braquait à l’instant dans la direction de l’arrivant.
Juve, toutefois, ne restait pas longtemps dans cette position de défense. Le personnage qui s’introduisait en effet auprès de lui n’était pas un ennemi, ne pouvait pas être un ennemi. C’était au contraire le plus dévoué et le plus sûr des alliés, puisque c’était tout bonnement Jérôme Fandor.
Mais qu’avait Jérôme Fandor pour paraître à ce point nerveux, à ce point excité, à ce point angoissé aussi ?
— Nom d’un chien ! grommela Juve, en reconnaissant le journaliste, tu pourrais faire un peu moins de pétard en venant me retrouver. Qu’est-ce qu’il y a ?
Fandor ne prêtait naturellement aucune attention à la gronderie de Juve ; il avait tranquillement pris son élan, avait sauté sur le lit du policier, et là, assis en tailleur, le buste penché en avant, il commençait à discourir.
Jérôme Fandor devait être de bien bonne humeur et avoir appris de bien bonnes nouvelles, car il commençait en ces termes :
— Mon vieux Juve, rentrez vos rengaines, fermez le sac aux récriminations, accrochez les lampions au plafond, ou plutôt écoutez-moi sans bouger !
Cet exorde était incompréhensible ; Juve grogna encore :
— Tu étais déjà un peu fou, mais, ma parole, tu le deviens complètement. Explique-toi, que diable…
Pour s’expliquer, Jérôme Fandor dégringola du lit et vint tomber à genoux aux pieds de Juve, dans la posture d’un suppliant :
— Juve, ne m’insultez pas, clamait Fandor. Juve, ne grognez point ; Juve, ne prétendez point que je suis fou, car je suis tout au contraire le plus raisonnable, le plus intelligent, le plus fortuné des mortels. Autrement dit, vous n’avez rien fait de bon et c’est moi qui me débrouille terriblement dans les enquêtes que nous menons…
Cela devenait de plus en plus incompréhensible et Juve, malgré sa patience, s’impatienta tout à fait :
Le policier quittait son fauteuil, prenait Fandor aux épaules, le secouait d’importance :
— Fiche-moi la paix, avec tes plaisanteries, tes phrases énigmatiques et tes paroles incompréhensibles ! Qu’est-ce qu’il y a, nom d’un chien !
Fandor changea de ton immédiatement. Il se fit grave, sérieux, et prit un maintien respectueux.
— Mon cher Juve, faisait-il, d’une voix posée, j’ai l’avantage de vous rapporter ce que vous avez perdu.
— Je n’ai rien perdu, tonna Juve.
— Si, riposta Fandor. Vous avez perdu Fantômas…
Or, au nom du bandit, la physionomie de Juve s’éclairait immédiatement.
— Ah ça, bégayait-il, devenant subitement nerveux, lui aussi ! Qu’est-ce que tu radotes, Fandor ? Tu me rapportes Fantômas ?
Fandor secoua la tête, éclatant de rire.
— Non, pas tout à fait, confessait-il. Je n’ai pas trouvé Fantômas dans le ruisseau, et je ne l’ai pas mis dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus. Tout de même je l’ai retrouvé, c’est-à-dire que je sais où il est…
— Où ? nom d’un chien !
— À Bruxelles.
Et Fandor brandissait sous les yeux de Juve un journal belge, une édition spéciale, publiée avec une énorme manchette, et dans laquelle on racontait avec force détails la soi-disant épouvantable agression dont le faux M. Jussieu avait été victime chez Job Tylor, de la part de Fantômas.
Juve, naturellement, s’emparait alors du journal, avec une hâte fiévreuse. Le policier en parcourait rapidement les colonnes, dévorant les détails, puis il serrait à les briser les mains de Fandor.
— Pas de doute, disait-il alors. Nous connaissons trop bien la manière de Fantômas pour pouvoir nous y tromper. Il n’y a que lui, en effet, pour avoir osé un vol semblable. Il est certainement à Bruxelles, et par conséquent, nous n’avons plus, pour le poursuivre, qu’à filer dans la capitale belge.
Fandor, à cet instant, ouvrait déjà une malle et, au hasard, sans ordre aucun, précipitait tous les objets qui traînaient dans la chambre de Juve.
— Parfaitement, déclarait le journaliste. Vous parlez d’or, Juve. Vous ne vous trompez pas plus qu’un phonographe… Branle-bas de combat ! comme vous dites. Nous filons à Bruxelles. À quelle heure est le premier train ?