Jérôme Fandor, toutefois, arrivait à peine à la porte vitrée derrière laquelle il comptait bien attendre le Génie du crime, que la haute silhouette de celui-ci lui apparaissait. Il se jeta rapidement en arrière, ne voulant pas être vu, mais, hélas ! si rapide qu’avait été son geste, il avait été surpris par Fantômas…
Le bandit, en effet, s’étonnait depuis quelques instants, depuis qu’il traversait les salles d’attente, de ne plus voir Fandor sur ses talons. Il se tenait donc sur ses gardes, s’attendant évidemment à quelque surprise, et, sitôt qu’il apercevait Fandor, il comprenait quelle avait été la façon d’agir de celui-ci.
Fantômas, toutefois, n’était pas homme à se laisser prendre au dépourvu. À peine avait-il deviné plutôt qu’aperçu réellement la silhouette de son ennemi, qu’il s’arrêtait, fronçant les sourcils, et que bientôt à son tour, il rebroussait chemin.
Fantômas rentrait donc dans la gare, mais à l’instant où il pivotait sur ses talons, Fandor, qui n’avait nullement été dupe de son geste, recommençait à le pourchasser.
— Très bien, se disait le journaliste. L’animal m’a deviné, mais cela ne veut pas dire que je ne le forcerai pas à la course…
Jérôme Fandor, à cet instant, se passionnait réellement pour l’extraordinaire poursuite qu’il menait depuis une dizaine de minutes. Dans l’ardeur de la lutte, il oubliait complètement les dangers que celle-ci lui faisait courir, incapable de penser à autre chose qu’à cette certitude angoissante :
— Fantômas est là, devant moi, à quelques pas… Mordieu, si je ne suis pas un imbécile, je dois lui sauter au collet, l’arrêter et pour jamais en débarrasser le monde !
Était-il possible, cependant, d’arrêter celui que l’opinion publique nommait si souvent l’insaisissable ?
Jérôme Fandor, en s’attaquant à pareille entreprise, ne se montrait-il pas, en réalité, infiniment présomptueux ?
Les événements, hélas ! devaient bien vite donner tort au journaliste.
Rentré dans la gare, en effet, Fantômas, sans prêter attention aux coups d’yeux surpris que sa marche précipitée lui valait de la part des buralistes, retournait sur le quai de la station. Il passait si vite devant l’employé chargé de poinçonner les billets que celui-ci n’avait pas le temps de l’arrêter. Toutefois, l’homme lui courait après, lui criant :
— On ne passe pas, monsieur, prenez un ticket !
Fantômas, naturellement, ne s’arrêtait pas à une semblable intervention. Jérôme Fandor n’en tenait pas compte davantage, car, dix secondes après le bandit, il surgissait à son tour, repoussant presque d’un coup de poing le brave employé qui protestait à nouveau.
Les circonstances, d’ailleurs, avaient changé ; si, tout à l’heure, le quai était encombré de voyageurs et si leur présence empêchait Jérôme Fandor de courir, il n’en était plus du tout de même désormais. C’était donc au grand trot, au grand galop même, que Jérôme Fandor se précipitait sur les traces de Fantômas.
L’attitude des deux hommes, désormais, était significative, d’autant plus significative, qu’inquiet sans doute de la marche des événements, Fantômas venait brusquement de prendre un revolver de sa poche et qu’il courait en brandissant cette arme.
Fandor, dès lors, n’avait plus à hésiter, n’avait plus rien à ménager. De toute sa voix, et tandis qu’il courait de toutes ses forces, Jérôme Fandor hurla donc :
— Arrêtez-le, c’est Fantômas !…
Mais, hélas ! Jérôme Fandor n’avait pas compté sur la lâcheté universelle, sur la poltronnerie commune. À peine avait-il crié : « Fantômas ! » à peine le nom terrible, le nom redoutable, le nom de sang, avait-il retenti dans le hall que, de tous côtés, une véritable panique se déclarait. Des gens s’enfuyaient en désordre, des employés se jetaient à l’écart ; le résultat des cris de Fandor était tout simplement de faciliter la fuite au Maître de l’effroi !
Il fallait en finir cependant.
À son tour, Jérôme Fandor avait tiré son revolver. Toujours courant, il le braquait sur Fantômas et il hurlait :
— Arrêtez-vous ! rendez-vous, ou je fais feu !…
La réponse à sa sommation ne se fit pas attendre ; Fantômas, un instant, s’arrêtait, mais il s’arrêtait tout bonnement le temps voulu pour tendre le bras, ajuster Jérôme Fandor, presser sur la détente.
La course, toutefois, avait un peu époumoné Fantômas, cela sauvait Jérôme Fandor. La balle du revolver sifflait, en effet, aux oreilles du journaliste, perçait de part en part son chapeau mou, puis allait bien inutilement crever avec un grand fracas le cadran d’une horloge.
Or, à cet instant, Jérôme Fandor, sauf, mais résolu, allongeait le bras à son tour.
— Arrêtez-vous ! recommençait-il.
Il n’eut pas le temps d’achever. Une locomotive manœuvrait, longeant la voie ; Fantômas, fou d’audace, se jetait devant elle, traversait au risque de se faire écraser, gagnait ainsi quelques instants.
Et lorsque la locomotive s’était éloignée, lorsque Fandor enfin était libre de passer, il était hélas ! trop tard ; Fantômas venait de tenter la plus inouïe, la plus inattendue, la plus folle des manœuvres.
La gare d’Anvers, en effet, comporte de nombreux quais d’embarquement. Au long de certains d’entre eux se rangent les rapides de Belgique et les trains internationaux, mais il en est un qui, plus modeste, sert tout simplement à garer le petit chemin de fer électrique, le véritable tramway qui joint, par une voie routière, Anvers à Bruxelles.
Or, à l’instant où Fantômas arrivait sur ce quai, le tram était précisément prêt à partir, bondé de voyageurs ; il attendait, et le watmann grimpait déjà sur le marchepied.
Fantômas vit tout cela en un clin d’œil et déjà imaginait la façon d’en tirer parti. En deux bonds il fut sur le mécanicien, l’agrippa au collet, le bouscula à la renverse. Les voyageurs n’avaient pas encore eu le temps d’intervenir que Fantômas avait sauté sur la machine, qu’il manœuvrait les leviers, lançait le mécanisme, démarrait rapidement.
— Nom de Dieu ! jura Fandor…
Vingt mètres séparaient le journaliste du tram électrique ; il les franchit dans un galop effréné, voulant essayer de s’accrocher à la dernière voiture.
Hélas ! Jérôme Fandor, une fois encore, devait arriver trop tard. Ce qu’il tentait était matériellement impossible, il ne put rejoindre le car électrique.
Que faire ? Un autre eût, évidemment, abandonné toute poursuite et renoncé à une lutte qui semblait devoir être vaine.
L’idée d’une pareille lâcheté ne vint même pas à la pensée de Jérôme Fandor.
Pestant, jurant, regardant le car s’éloigner, ne prêtant même pas attention aux clameurs qui s’élevaient dans la gare, où l’alarme était générale maintenant, Jérôme Fandor râla cependant :
— Bon Dieu, il faut que je le rejoigne !…
Or, à cet instant, Fandor se rappelait brusquement qu’il avait aperçu quelques instants plus tôt, dans la cour de la gare, une superbe automobile qui stationnait là, attendant évidemment son propriétaire. Penser à cette voiture et décider de la prendre, de s’en servir pour donner la chasse au Maître de l’épouvante, c’était l’affaire d’un instant !
Le tram électrique n’avait pas disparu à l’horizon que Jérôme Fandor était dans la cour de la gare, qu’il bondissait dans la voiture, donnait un tour de manivelle, sautait sur le siège, faisait un démarrage foudroyant.
Or, la voiture n’était pas vide. C’était un torpédo à quatre places, et, sur la banquette arrière, se trouvaient deux individus qui, à l’apparition de Jérôme Fandor, se dressaient brusquement, surpris à bon droit, et hurlant de toutes leurs forces, cependant qu’un troisième personnage, qui n’était autre que le mécanicien, s’accrochait à la capote, se laissait traîner quelques instants, puis roulait sur le sol.
Mais Jérôme Fandor n’avait rien vu de tout cela. Penché sur son volant, le pied crispé sur l’accélérateur, il virait sur deux roues, escaladait un trottoir, renversait une charrette à bras, et, dans le brouhaha formidable de l’échappement libre ouvert, s’enfuyait à toute allure.
Les voyageurs de la voiture cependant, cramponnés au dossier de la banquette avant, hurlaient toujours :