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La reine s’inclina devant la volonté formelle de Juve. Elle quitta le salon orange. Fandor et Juve, restés seuls, échangèrent une étreinte et, sans mot dire, quittèrent la pièce, eux aussi.

— Il faut enquêter, disait Juve.

Et Fandor approuvait :

— Il faut savoir si nul n’a vu sortir Fantômas, si nul n’a remarqué le départ du Grand Éclusier.

Or, à l’instant où Juve et Fandor, prêts à recommencer la lutte, abandonnaient le salon orange, Hélène et Fantômas, à quelques mètres d’eux seulement, éprouvaient des sentiments bien divers.

Derrière la tenture du salon, la femme de Fandor, terrifiée par les menaces de Fantômas, par le revolver qu’il braquait continuellement sur Fandor, vivait mille morts.

Elle connaissait trop celui qui avait passé pour son père, pour oser un geste, pour tenter un cri.

Si elle révélait leur présence, Fantômas n’hésiterait pas…

Certes, s’il s’était agi d’elle, si le revolver s’était braqué sur sa poitrine, Hélène n’aurait pas tardé une seconde à s’élancer en avant. Mais Fantômas l’aimait. Fantômas se gardait bien de la menacer, elle, c’était Fandor qu’il visait, c’était Fandor qui tomberait sous ses yeux, c’était Fandor qu’elle assassinerait en criant au secours !

Et c’est pourquoi, libre entièrement, point même bâillonnée, Hélène demeurait muette, immobile, prisonnière de la peur, prisonnière de Fantômas, prête à suivre docilement ses ordres et ses impulsions.

Fantômas, surpris de l’attitude de la jeune femme, quelques minutes plus tôt, lorsque Hélène avait osé le braver, se rassurait désormais au contraire.

— Je la tiens, murmurait-il. Tant que j’aurai Fandor à ma disposition, Hélène fera ce que je voudrai.

Et à l’instant même, tandis que Juve, la reine et Fandor se désespéraient dans le salon orange, Fantômas, braquant toujours le canon de son revolver sur le journaliste, combinait un plan infernal.

Certes, ce rapt d’Hélène, qu’il avait décidé en raison sans doute de motifs impérieux que nul ne soupçonnait, ce rapt n’était pas encore achevé et offrait encore de grandes difficultés.

Fantômas, avec sa prisonnière, sa prisonnière enchaînée par la peur, était en somme au centre même du palais de la reine. Dans les couloirs, les courtisans s’empressaient ; dans la salle du trône, les dignitaires de la couronne s’entassaient, et c’était dans tout le palais royal, à l’occasion de la solennité constituée par l’ouverture du Parlement, un remue-ménage continuel, des allées et venues perpétuelles.

Il fallait traverser cette foule ; il fallait, en dépit des difficultés, sortir de ce palais, prendre le large, et en même temps, entraîner Hélène sans que celle-ci pût faire un geste, ou prononcer un mot compromettant.

Un autre eût renoncé à un projet si fou. Fantômas, en sa témérité coutumière, n’hésitait pas, tout au contraire, à décider de l’accomplir.

— Nous sortirons ! murmurait-il.

Et comme Fandor et Juve quittaient le salon orange, brusquement la main du bandit se posait sur l’épaule d’Hélène.

— Un mot, répétait-il, et Fandor est mort… Songes-y.

Comme Hélène, terrifiée, le regardait, Fantômas entraînait la jeune femme hors de l’embrasure de fenêtre qui, si opportunément, venait de leur servir d’abri.

Fantômas, en quelques gestes, se dépouillait du maillot noir qui tout à l’heure moulait son corps. Il portait, en dessous, un costume de cour, bas de soie, culotte de satin, habit à la française.

Fantômas tirait de sa poche une perruque qu’il coiffait. Il avait si bien l’art de se maquiller que quelques secondes lui suffisaient à changer son visage.

Alors, le bandit métamorphosé se tournait vers Hélène :

— Je suis, murmurait-il, méconnaissable, et nous allons en profiter. Une voiture m’attend dans la cour du château. C’est dans la cour que Juve et Fandor vont aller enquêter. Ils me croient devant eux, parti déjà ; tout au contraire, nous allons les suivre…

Et comme Hélène le regardait sans comprendre, Fantômas reprenait :

— C’est Fandor, Hélène, qui va nous ouvrir la route. C’est Fandor qui me garantira de ta sagesse. Tu sais quel tireur je suis. Or, nous ne le perdrons pas de vue ; j’ai mon revolver dans ma poche : rappelle-toi qu’un mot, un seul mot imprudent échappé à tes lèvres, et Fandor est un homme mort…

Fantômas avait parlé d’un ton rude et brusque. D’une voix soudainement devenue aimable il demandait :

— Ton bras, Hélène ? Nous allons fuir, mais fuir ensemble…

Et il fallut bien alors qu’Hélène s’inclinât. La main gantée de blanc de la jeune femme, sa main tremblante, s’appuya sur le bras de Fantômas. Ils quittèrent le salon orange ; ils furent dans le couloir encombré de courtisans, de gentilshommes de la chambre, d’officiers et d’huissiers.

Ils passèrent au milieu de cette foule. Sur l’ordre de Fantômas, Hélène avait jeté sur ses épaules un grand manteau qui traînait sur un meuble où sans doute le bandit l’avait déposé, et qu’il avait été prendre mystérieusement. Ce manteau, vaste et lourd, cachait la toilette de la jeune femme. Nul ne pouvait la reconnaître, et Fantômas, de son côté, grâce à sa perruque, grâce à son maquillage, était impossible à identifier.

La foule des courtisans s’écartait sur leur passage. On les prenait sans doute pour quelques hauts personnages de la bourgeoisie invités par la reine à la cérémonie de la signature des brefs parlementaires. On s’écartait devant eux, ils passaient…

Hélène dut se composer un visage souriant. Tandis que son cœur battait à se rompre dans sa poitrine, tandis que le désespoir faisait glacer son sang dans ses veines, elle trouvait la force d’âme de sourire, de s’incliner lorsqu’on la saluait, de feindre de s’appuyer galamment au bras de son cavalier.

Faire un geste ? Oser un mot ? Crier au secours ? Ah ! pour rien au monde, en cet instant, Hélène ne l’eût osé.

Fantômas avait toujours la main dans la poche de son habit. Il feignait d’y chercher quelque chose, un mouchoir, une boîte à poudre de riz, peut-être ; son geste était naturel, ordinaire, mais Hélène, hélas ! ne pouvait s’y tromper. Ce que Fantômas tenait, c’était son revolver. Le Maître de l’effroi avait eu raison, elle était en son pouvoir, elle se tairait… elle ne dirait rien… car Fandor était à cinquante mètres devant eux, Fandor qui ne se doutait point qu’un revolver le menaçait, Fandor qu’une imprudence de sa part pouvait irrévocablement condamner.

Et Hélène, crispée par l’effort moral qu’elle devait s’imposer, se disait :

— Je ne puis rien tenter. Je ne puis rien essayer… Fantômas tirerait, Fandor serait mort, et certainement, à la faveur du scandale, Fantômas s’échapperait.

Le couple tragique traversa de la sorte les vastes galeries du palais royal.

Fandor et Juve, comme l’avait deviné Fantômas, se rendaient, en effet, à la cour du château où sans doute ils voulaient, en interrogeant les factionnaires, essayer de retrouver la piste du bandit, qu’ils supposaient logiquement parti devant eux.

La démarche même de Fandor et de Juve servait Fantômas. Le bandit les accompagnant de loin, en effet, parvenait ainsi tout naturellement dans cette cour du château où, comme il l’avait annoncé à Hélène, une voiture l’attendait. C’était une superbe automobile, une limousine puissante, que conduisait un chauffeur au masque énergique.

— Montez, Hélène.

Fandor était toujours à quelques mètres. Un dernier regard d’Hélène supplia Fantômas.

Hélas ! l’âme de Fantômas était inaccessible à la pitié.

— Montez, répéta le bandit.

Et Hélène, une fois encore, dut obéir à l’ordre qu’on lui donnait.

Alors que Juve et Fandor, alors que son mari était à quelques pas d’elle, alors qu’elle ne pouvait point douter que Fandor eût donné jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la sauver, la prisonnière de la peur dut embarquer dans cette voiture qui allait sans doute la conduire vers de tragiques destinées…

Hélène, défaillante, s’installa sur les coussins de l’automobile. Fantômas prenait place à côté d’elle. Le chauffeur démarra…

— Attention, disait alors Fantômas. Voici l’instant capital… N’oubliez pas…

La voiture effectuait un grand virage dans la cour du palais, pour se diriger vers la grille, et, de là, gagner les rues d’Amsterdam. Elle allait frôler Juve et Fandor. Il suffisait d’un regard de Fandor ou de Juve, d’un cri d’Hélène, pour que Fantômas fut irrémédiablement pris.

Fantômas, pourtant, demeurait impassible, suprêmement calme.

— Attention, répétait-il simplement. Il faut que vous vous enfonciez sur cette banquette ; voici un éventail, servez-vous-en, je ne veux pas qu’on vous aperçoive…

Cette dernière cruauté, cette cruauté qui contraignait Hélène à se cacher elle-même, il fallut bien que la jeune femme la subît.

Comme l’avait dit Fantômas, Hélène s’éventa. À l’instant où la voiture frôlait Juve et Fandor, marchant doucement, tout doucement, et cela pour ne point attirer l’attention, le policier et le journaliste qui interrogeaient un homme de garde, se retournaient et, d’un regard anxieux, dévisageaient les occupants de la voiture.

Ni Juve, ni Fandor ne purent voir Hélène. Ils distinguèrent en revanche, et parfaitement, les traits du gentilhomme qui occupait cette automobile. Mais, pendant les quelques secondes que durait cette vision, Juve et Fandor ne pouvaient pas matériellement avoir le temps de reconnaître Fantômas déguisé, grimé, Fantômas qui n’était plus ni lui-même, ni le Grand Éclusier, qui, merveilleux acteur, s’était savamment composé un visage nouveau.

Juve et Fandor, à peine de donner l’alarme et de provoquer un scandale redoutable pour la reine, ne pouvaient d’autre part, fouiller toutes les voitures qui quittaient le château.

L’automobile qui s’en allait à petite allure n’était suspecte par aucun détail. Ils la laissèrent aller.

À cet instant, Fantômas, redoutant encore un geste d’Hélène, s’agenouillait sur la banquette. Par la petite lucarne percée dans le dossier de la limousine, Fantômas braquait toujours Fandor. Et Fantômas, lentement, disait à Hélène :

— Le revolver que je tiens porte avec précision jusqu’à deux cents mètres environ. Dans quelques instants, vous serez libre de hurler si bon vous semble.

Mais c’était là, en vérité, une dernière raillerie, raillerie inutile.

Brusquement, en effet, et sans laisser à la jeune femme le temps d’esquisser un mouvement de défense, Fantômas se jetait sur elle, et la bâillonnait. Il avait fermé les rideaux des portières, il n’avait plus rien à craindre. Après avoir employé la peur, Fantômas avait recours à la force.