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S’appuyant toujours sur Bouzille qui déclarait en aparté qu’à eux deux ils devaient faire un tableau charmant, Fandor se dirigeait vers la maisonnette et bientôt avait le mot de l’énigme en s’apercevant qu’à part un enfant de trois ans qui jouait dans une cour, elle était entièrement vide.

Fandor restait ainsi avec Bouzille près d’une heure dans l’humble logis, lorsqu’enfin la garde-barrière faisait son apparition et, naturellement, s’effarait.

La brave femme, d’ailleurs, tout en s’empressant de se mettre à la disposition du journaliste, lui donnait la clef de l’énigme que constituait la fermeture du passage à niveau.

— Ça, c’est plutôt fort, déclarait-elle, entremêlant, en bonne Belge qu’elle était, ses paroles d’expressions des plus pittoresques. Ça vous met vraiment le parapluie de travers ! Pour une fois, savez-vous, la barrière n’aurait pas dû être close, et sûrement c’est quelqu’un qui l’a bouclée !

Quelqu’un avait fermé le passage à niveau…

Immédiatement, Bouzille devinait la véritable explication en ajoutant :

— Tiens, parbleu, je comprends, alors ; justement on devait prendre Œil-de-Bœuf sur la route. Sûrement, c’est Œil-de-Bœuf qui a fermé le passage. Il a vu venir le tram, a vu venir l’automobile, il a deviné que vous étiez au volant et que Fantômas était poursuivi, crac, il a tiré les barrières… Eh ! mais, c’est pas bête du tout !

Bouzille était évidemment sans rancune, car il apparaissait tout prêt à admirer la prouesse d’Œil-de-Bœuf dont le plus clair résultat, pourtant, était qu’il venait lui-même de frôler la mort de bien près.

Fandor, à vrai dire, se montrait moins généreux que lui.

— Ah ! ronchonnait le journaliste, c’est Œil-de-Bœuf qui a fermé le passage à niveau, eh bien ! il aura de mes nouvelles au jour de l’an, celui-là ! Que le diable l’emporte !…

La garde-barrière, cependant, ne restait pas inactive. Elle déchirait la bottine de Fandor, le délivrait de sa chaussette, lui trempait de force le pied dans l’eau froide.

— Rien de tel, voyez-vous, pour les enflures !

Et la brave femme citait à l’appui de ses dires toute une série d’histoires de vaches dans lesquelles elle mêlait au petit bonheur la médecine vétérinaire aux notions chirurgicales.

Femme de tête, d’ailleurs, l’excellente garde-barrière se multipliait. Elle pensait à tout, préparait un savoureux repas, téléphonait au pharmacien de la ville pour qu’il envoyât une potion calmante, et, de force, persuadait Fandor qu’elle avait une chambre de vide, qu’il ne la gênerait en rien, qu’on devait s’entr’aider et qu’il fallait qu’il soit assez raisonnable pour rester quelques jours chez elle.

Or, Fandor, plus pressé que jamais de se jeter à la poursuite de Fantômas, de rejoindre Juve au moins, aurait certainement refusé de suivre ses excellents avis, si Bouzille n’avait accepté à sa place et surtout, si la fièvre ne l’avait pris au point qu’il n’était plus bien capable de comprendre exactement ce qui se passait et ce qu’on lui disait.

Assis sur un grand fauteuil d’osier, la jambe étendue sur un tabouret de bois, souffrant le martyre, Fandor passait de longues heures ce jour-là, sommeillant, accablé, et ne sachant trop où il en était.

Vers les cinq heures du soir cependant, le jeune homme commençait un peu à se remettre. Précisément un individu arrivait en bicyclette, se présentait comme étant le garçon pharmacien, et avec des airs doctoraux, disposait en rangs de bataille, sur une table, une multitude de fioles.

— Voilà, voilà, déclarait-il, le patron m’a bien recommandé de vous avertir qu’y fallait avaler tout ça. Le moyen de s’en servir, c’est écrit dessus. D’ailleurs, c’est simple, c’est des potions à boire…

Bouzille déjà débouchait les flacons, et reniflait avec des grimaces de déception leur parfum pharmaceutique.

— C’est du doux, déclarait-il, c’est du doux, y a rien de regipant là-dedans !…

L’excellent Bouzille eût évidemment préféré une médication un peu plus alcoolique.

Il n’y avait pourtant pas à discuter, et force était bien à Fandor d’accepter que la garde-barrière lui préparât immédiatement une première potion. Bouzille, d’ailleurs, enchanté du rôle qu’il jouait, appuyait, lui aussi, la proposition :

— Bien sûr, faisait-il, faut s’soigner, m’sieur Fandor… Tenez, justement, moi aussi, j’ai un peu la fièvre, et beaucoup d’appétit, mais ça ne fait rien, j’m’en vais aussi en prendre, de vot’potion, rapport à c’qu’elle est sucrée et qu’ça vous donnera du courage !…

Bouzille aurait immédiatement bu toute la bouteille par dévouement si, très fier de son rôle, il n’avait tenu à multiplier les marques de déférence à l’endroit du garçon pharmacien.

Bouzille faisait des grâces comiques :

— Ne vous donnez donc pas la peine, faisait-il. Passez le premier, tenez, j’vas vous conduire à votre bicyclette !

Bouzille quittait Fandor, sortait, restait cinq minutes absent, et Fandor allait justement boire sa potion lorsque le chemineau faisait irruption dans la salle, levant les bras, hurlant, sur un ton de désespoir :

— Arrêtez, m’sieur Fandor, arrêtez !…

L’attitude de Bouzille était si extraordinaire que Fandor, en effet, suspendit son geste.

— Qu’est-ce qui te prend, Bouzille ? demanda-t-il.

Bouzille, qui était très pâle, expliqua tout d’une haleine :

— Ce qui m’prend, faisait-il, ah bien, c’est pas ordinaire ! Y m’prend que sans moi vous alliez passer de la réserve dans la territoriale… Autrement dit, que vous descendiez au sous-sol, que vous claquiez, quoi, ni plus ni moins !… Ah ! cochonnerie de bon sort… quand je pense qu’après tout, moi aussi, j’allais trinquer avec vous…

Et comme, devant l’énervement de Bouzille, Fandor, impatienté, allait boire, le chemineau se précipitait en avant :

— Mais lâchez donc vot’verre, faisait-il, c’est de la poison !

La révélation était pour le moins inattendue, Jérôme Fandor sursauta :

— Du poison ! disait-il, tu es fou ?

Mais cette supposition mettait Bouzille hors de lui :

— C’est cela, ripostait-il, prenant un air tragique et offensé. C’est cela… insultez-moi maintenant… Mettez-moi plus bas que tout ! Ah ! la voilà bien la reconnaissance : je vous empêche de trépasser, et vous déclarez que je suis saoul ! Traitez-moi d’ivrogne, pendant que vous y êtes !…

Bouzille se formalisait, se vexait ; il fallait assurément aviser, sous peine de ne point obtenir de renseignement. Fandor posa son verre et questionna :

— Voyons, mon bon vieux Bouzille, dites-moi plutôt ce qui arrive. Qu’est-ce que tu as après cette potion ?

Bouzille, déjà se rassérénait. Il montrait la bouteille du doigt, il ripostait :

— Ce que j’ai, m’sieur Fandor, eh bien, c’est que ce jus-là, paraît que c’est Fantômas qui vous l’envoie, et c’est de la poison… Tenez, vous avez cru que c’était le garçon pharmacien qu’était là, moi aussi… Ah bien zut, alors ! c’est un copain à Fantômas, un poteau que j’n’avais même pas reconnu, tant il était grimé, c’est Gueule-de-Bois, et Gueule-de-Bois m’a dit comme ça :

— Bouzille, bois donc pas dans l’verre à Fandor, rapport à c’que c’est Fantômas qu’a fabriqué les drogues, et qu’il paraît que l’pante va très proprement en claquer.

Bouzille ajoutait :

— Tout de même, après ça, j’suppose que vous m’la ferez avoir, ma médaille de sauveteur, puisque j’ai pas pu avoir celle de sauvé lorsque je trafiquais à la pêche miraculeuse ?

Bouzille allait parler encore, lorsque, brusquement, d’un geste, Fandor lui imposait silence :

— Tais-toi ! écoute. Ah ! nom de Dieu !…

Fandor jurait, se levant d’un brusque mouvement, ne sentant même point la douleur que lui causait sa cheville enflée, se traînant jusqu’à la fenêtre.

D’un rapide coup d’œil, Fandor regardait, de l’autre côté de la voie du chemin de fer, la route poussiéreuse où devait se trouver l’automobile renversée.

Mais quel était donc le nouvel incident qui tirait ainsi Fandor de son apathie et le bouleversait ?

Le journaliste, tout bonnement, en causant avec Bouzille, en apprenant qu’il venait d’échapper à une tentative d’empoisonnement imaginée par Fantômas, venait de surprendre le ronflement caractéristique d’un moteur d’automobile.