Ses espoirs ne devaient pas être déçus, ils devaient tout au contraire être réalisés beaucoup plus vite qu’il ne s’y attendait.
Jérôme Fandor, en effet, une fois le train parti, commençait à s’ennuyer ferme sous sa bâche. Il ne voyait rien, et pour cause, du paysage ; il grelottait de froid, et de plus, il était fort incommodément installé, car la vitesse du train lui plaquait maintenant à la figure l’étoffe grossière qu’il était obligé de tenir écartée avec ses mains.
— Ça ne peut pas durer, pensa Fandor, c’est abominable ! Si seulement j’avais un illustré !
À tâtons, Jérôme Fandor examinait la voiture à bord de laquelle il voyageait. Il lui vint tout à coup à l’idée qu’il avait encore dans sa poche la petite lampe électrique dont il ne ne séparait jamais.
— Oh ! eh ! fit-il, c’est épatant, cela.
Et Jérôme Fandor alluma la lampe tout en se disant qu’il ne fallait pas abuser de l’éclairage, car si d’aventure la lumière rendait la bâche transparente, il avait toutes les chances du monde d’être rapidement signalé.
À la lueur de sa petite lampe électrique, cependant, Jérôme Fandor continuait à examiner la voiture de course qui, très certainement, avait été embarquée à bord du chemin de fer le jour même ou elle avait fini ses essais, car elle était encore pleine de boue peu sèche.
— Une jolie voiture ! se dit Fandor.
Un grand coffre d’acajou destiné à l’outillage était posé sur le marchepied, Jérôme Fandor l’ouvrit :
— Je pense qu’il est vide, murmurait-il.
Mais le coffre ouvert, une exclamation lui échappait :
— Ah ! par exemple… Ça c’est trop de veine !
Dans le coffre, Jérôme Fandor découvrait un de ces vêtements de toile bleue comme en portent les mécaniciens, et qui s’appellent, en raison peut-être de leur destination, des salopettes.
Le costume n’était pas neuf, il comportait, évidemment quelques taches de graisse, toutefois il était relativement propre.
De plus, une casquette était roulée au milieu, casquette que Fandor essaya immédiatement.
— De plus en plus fort, gouailla le journaliste. Comment diable tout cela va-t-il finir ? Tout me réussit trop bien en ce moment !
Et en même temps qu’il se félicitait de sa chance, Jérôme Fandor se hâtait d’en profiter. Il commençait par se déshabiller, retirait son gilet, son veston, son pantalon, pliait le tout fort proprement, épinglant par surcroît sur ses habits un billet de cinquante francs qui certainement valait dix fois le coût de la salopette qu’il s’apprêtait à voler.
Car Jérôme volait la salopette…
— Jamais je ne trouverai, pensait-il, un déguisement meilleur. D’autant plus qu’une fois en bleu, personne à Bruxelles ne pourra s’étonner si l’on me voyait sortir de dessous cette bâche. Je n’aurais qu’à dire que je suis le mécanicien de la maison, et avec quelques boniments autour de cette déclaration, j’éviterai qui je voudrais…
Jérôme Fandor était à peine habillé de la salopette que le train visiblement ralentissait.
— Tiens, se demanda le jeune homme, comment se fait-il ? Serions-nous déjà à Bruxelles ?
Il ne se trompait pas. Sous sa bâche, il n’avait guère eu le loisir de s’orienter, et c’est pourquoi il s’avouait surpris.
Quelques instants plus tard, en effet, le train stoppait en gare de Bruxelles, et la chance servait encore Jérôme, car son wagon attelé en queue demeurait hors du hall dans un coin d’ombre, en un endroit où il lui était évidemment facile de s’enfuir inaperçu.
Jérôme Fandor se glissa hors de la bâche, se laissa tomber sur le quai ; il souffrait encore terriblement de sa foulure, mais le repos lui avait fait du bien.
Avec satisfaction, le journaliste le constata. Puis, sa physionomie se rembrunit, ses sourcils se froncèrent :
— À nous deux, Fantômas, à nous deux ! murmurait-il, les enjeux sont faits, la partie commence… à qui la banque ?
Jérôme Fandor, un quart d’heure plus tard, s’applaudissait de son stratagème et du déguisement qu’il avait ainsi adopté, sans pourtant avoir eu le temps de beaucoup réfléchir.
Il circulait, en effet, dans la gare de Bruxelles, sans que personne parût faire attention à lui, et il profitait de cet incognito parfait pour se livrer aux besognes qu’il jugeait indispensables s’il voulait mener à bien, ainsi qu’il en avait l’intention, sa poursuite contre Fantômas.
Fandor commençait à longer le convoi qui venait de l’amener incognito. Il s’assurait qu’il y avait un grand quart d’heure d’arrêt, puis, tranquille sur ce point, traversait les voies, allait s’embusquer à la sortie de la gare, se dissimulant derrière un amoncellement de bagages, et guettant ceux qui quittaient les quais, afin d’être bien certain que Fantômas n’était pas parmi eux.
Fandor se rassurait vite ; le bandit, très certainement, n’avait point quitté le train, et cela ne surprenait pas le journaliste, car il estimait que, logiquement, Fantômas devait avoir l’intention de se diriger sur Paris, où, sans le moindre doute, des affaires urgentes l’appelaient, qui devaient se rattacher à la mystérieuse disparition de Vladimir.
Tranquillisé sur les intentions de Fantômas, Fandor décidait d’aviser au plus vite, à parachever, par un succès définitif, l’enquête qu’il menait depuis plusieurs jours.
— Maintenant, se disait Fandor, la lutte se précise ; je sais où est Fantômas, lui ne sait pas où je suis, décidément, j’ai tous les atouts dans mon jeu…
Fandor savait-il cependant bien exactement où était Fantômas ?
À l’instant même où il formulait sa pensée, Fandor devait s’avouer qu’il exagérait quelque peu. Il soupçonnait bien, à vrai dire, que Fantômas se trouvait dans le train, mais il ignorait quelle place exacte il y occupait, et il eût été bien empêché de préciser ce que le bandit faisait à l’heure actuelle.
Fandor se rendit si bien compte de la difficulté qu’avant toute autre chose il décidait de rechercher Fantômas.
— Quand je l’aurai vu, je verrai comment l’attaquer…
C’était logique, raisonnable, Fandor commença immédiatement ses recherches…
Or, à l’instant où le journaliste se rapprochait des quais et revenait vers le rapide dont les voyageurs étaient descendus pour se précipiter au buffet, ou encore s’approvisionner, suivant les besoins de livres, de journaux, d’oreillers ou de couvertures, il sursautait, stupéfait, en reconnaissant à moins de dix mètres de lui, une vilaine pipe, un véritable brûle-gueule aux lèvres, habillé de vêtements en haillons, fait comme un apache, en un mot Fantômas lui-même, le terrible Maître de l’épouvante…
— Ça par exemple, se dit Fandor, qui d’émotion était devenu blême, c’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter par un jour de grand vent… Comment diable Fantômas est-il ainsi vêtu ? Comment se fait-il qu’il s’est grimé en voyou ?…
Force était bien à Fandor de laisser sans réponse l’interrogation qu’il se posait à lui-même, interrogation qui était d’ailleurs suivie de beaucoup d’autres.
La tenue de Fantômas, en effet, n’étonnait pas seulement Fandor par son laisser-aller. Ce qui le surprenait encore au plus haut point, c’était de voir Fantômas ainsi, tranquille, se promenant devant le rapide, où il n’y avait, croyait le jeune homme, que des wagons de première ou de seconde.
— Sûrement, se disait Fandor, Fantômas n’a pas pu, ainsi accoutré, prendre place dans un wagon de première classe. Alors ?…
Et comparant sa propre tenue à celle du bandit, Fandor était admis à conclure plaisamment :
— Faits comme nous le sommes tous les deux, nous pourrions vraiment nous serrer la main !
Jérôme Fandor, toutefois, n’allait pas avoir longtemps à épiloguer sur une pareille matière.
Des manœuvres s’effectuaient, en effet, et le journaliste bientôt croyait avoir la clef du mystère qui l’intriguait depuis quelques instants.
Des hommes d’équipe, en effet, attelaient en queue du train toute une série de wagons qui étaient précisément des wagons de troisième classe.