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La voiture effectuait un grand virage dans la cour du palais, pour se diriger vers la grille, et, de là, gagner les rues d’Amsterdam. Elle allait frôler Juve et Fandor. Il suffisait d’un regard de Fandor ou de Juve, d’un cri d’Hélène, pour que Fantômas fut irrémédiablement pris.

Fantômas, pourtant, demeurait impassible, suprêmement calme.

— Attention, répétait-il simplement. Il faut que vous vous enfonciez sur cette banquette ; voici un éventail, servez-vous-en, je ne veux pas qu’on vous aperçoive…

Cette dernière cruauté, cette cruauté qui contraignait Hélène à se cacher elle-même, il fallut bien que la jeune femme la subît.

Comme l’avait dit Fantômas, Hélène s’éventa. À l’instant où la voiture frôlait Juve et Fandor, marchant doucement, tout doucement, et cela pour ne point attirer l’attention, le policier et le journaliste qui interrogeaient un homme de garde, se retournaient et, d’un regard anxieux, dévisageaient les occupants de la voiture.

Ni Juve, ni Fandor ne purent voir Hélène. Ils distinguèrent en revanche, et parfaitement, les traits du gentilhomme qui occupait cette automobile. Mais, pendant les quelques secondes que durait cette vision, Juve et Fandor ne pouvaient pas matériellement avoir le temps de reconnaître Fantômas déguisé, grimé, Fantômas qui n’était plus ni lui-même, ni le Grand Éclusier, qui, merveilleux acteur, s’était savamment composé un visage nouveau.

Juve et Fandor, à peine de donner l’alarme et de provoquer un scandale redoutable pour la reine, ne pouvaient d’autre part, fouiller toutes les voitures qui quittaient le château.

L’automobile qui s’en allait à petite allure n’était suspecte par aucun détail. Ils la laissèrent aller.

À cet instant, Fantômas, redoutant encore un geste d’Hélène, s’agenouillait sur la banquette. Par la petite lucarne percée dans le dossier de la limousine, Fantômas braquait toujours Fandor. Et Fantômas, lentement, disait à Hélène :

— Le revolver que je tiens porte avec précision jusqu’à deux cents mètres environ. Dans quelques instants, vous serez libre de hurler si bon vous semble.

Mais c’était là, en vérité, une dernière raillerie, raillerie inutile.

Brusquement, en effet, et sans laisser à la jeune femme le temps d’esquisser un mouvement de défense, Fantômas se jetait sur elle, et la bâillonnait. Il avait fermé les rideaux des portières, il n’avait plus rien à craindre. Après avoir employé la peur, Fantômas avait recours à la force.

Le drame s’accomplissait.

L’automobile de Fantômas avait stoppé, deux heures plus tard, aux bords extrêmes du quai qui termine le port d’Amsterdam. Une sorte de péniche, une barge hollandaise, était amarrée là. Elle était sale, et couverte de morceaux de charbon. Il semblait en apparence que ce fût une péniche ordinaire, attendant les bons offices d’un remorqueur. Telle était cependant l’habitation mystérieuse que Fantômas s’était choisie dès l’instant où Juve, en sauvant la reine, l’avait contraint d’abandonner la retraite qu’il s’était d’abord ménagée dans la vieille frégate désaffectée que connaissait si bien le vieux M. Eair, ou plus exactement, Étienne Rambert, puisque M. Eair n’était autre que le père de Fandor.

L’automobile avait à peine stoppé, que Fantômas prenait Hélène dans ses bras et la soulevant comme il eût soulevé le plus léger des fardeaux, l’emportait à bord de cette péniche.

Fantômas se dirigeait vers l’arrière du bateau. Là se trouvait une sorte de petite cabine, sale en apparence, couverte à l’extérieur de poussière et de charbon écrasé, et qui, à l’intérieur, constituait en réalité, un fort luxueux salon.

Fantômas ferma la porte, posa son revolver sur la table, et défit lentement le bâillon d’Hélène.

— Vous avez besoin de calme, dit le bandit. Reposez-vous.

Mais Hélène, depuis l’instant où elle avait été bâillonnée, depuis l’instant où elle avait perdu de vue Fandor, qu’elle s’était irrémédiablement sentie aux mains de Fantômas, s’était précisément efforcée au calme, s’était précisément contrainte à réfléchir.

Hélène toisa le bandit.

— Je ne puis avoir de repos, répondit-elle, tant que je me trouverai sous votre dépendance. Vous prétendez que vous m’aimez, Fantômas ; vous prétendez que vous voulez, malgré tout me considérer toujours comme votre fille, je vous somme de me répondre, et de me dire pourquoi vous causez en ce moment, et mon désespoir, et le désespoir de Fandor ?

Il fallait en vérité qu’Hélène fût bien sûre de l’amour de Fantômas, de l’affection que le bandit lui portait pour oser ainsi interroger, pour oser surtout prononcer devant lui le nom de Fandor.

En écoutant celle qu’il regardait, en effet, comme sa fille, Fantômas avait froncé les sourcils. Un pli barrait son front. Il interrompit Hélène.

— Ne me parlez point de Fandor, fit-il. Je le hais, comme je hais Juve… Et vous ne saurez jamais ce que j’ai souffert tout à l’heure, quand je le tenais au bout de mon revolver et quand j’ai dû me contraindre à ne point l’abattre !

À son tour, Hélène interrompit Fantômas.

— Cette haine, fit-elle, vous n’avez pas le droit d’en parler, Fantômas. Fandor est un honnête homme, et Fandor fait son devoir en luttant contre vous. Votre haine n’a pas de motif avouable.

— Si, fit rudement Fantômas.

— Lequel ?

À l’interrogation précise de sa fille, car c’était toujours sa fille à ses yeux, Fantômas frissonna. Les veines de ses tempes se gonflèrent. Un accès de colère le secoua.

— Je hais Fandor, commença-t-il, parce que…

— Parce que ? demanda Hélène.

— Parce que vous l’aimez !

Mais à cette sombre déclaration, Hélène s’emporta :

— Vous mentez ! murmura-t-elle. Vous mentez, Fantômas !… Vous haïssiez Fandor avant ! D’ailleurs, que vous ferait que j’aime Fandor ? Fandor est mon mari… Voudriez-vous donc mon malheur ? Préféreriez-vous que je sois la femme d’un homme que je n’aimerais point ?

Hélène haletait…

Peut-être espérait-elle, connaissant l’affection sincère que Fantômas avait pour elle, arriver à toucher son cœur. Peut-être se disait-elle que l’âme farouche de Fantômas, cette âme inaccessible à la pitié, n’avait jamais eu, en somme, qu’une seule faiblesse, cette affection qu’il lui vouait.

Ne pourrait-elle s’en faire une arme ? N’obtiendrait-elle pas sa liberté ?

La malheureuse dut abandonner rapidement toute lueur d’espoir. Fantômas de ce ton impérieux qu’il prenait quelquefois, et qui rendait toute discussion impossible, rétorquait déjà :

— Je vous défends, Hélène, de jamais oser prétendre devant moi que vous êtes la femme de Fandor. Vous ne lui êtes rien, et il ne vous est rien, voilà la vérité…

Mais à cette affirmation, Hélène protestait encore :

— La vérité à vos yeux peut-être, disait-elle. Mais il n’empêche que la loi elle-même…

La jeune femme se tut.

Fantômas venait d’éclater d’un rire infernal.

— La loi est pour moi, déclarait-il, en affectant une pitié plutôt méprisante à l’endroit de sa fille. La loi est pour moi, et je dois vous rapprendre… Hélène, vous croyez être la femme de Fandor… Vous ne l’êtes pas ! Vous ne le serez jamais ! Oh ! sans doute, je ne me fais point d’illusion, vous allez me répondre que vous avez épousé Fandor à la maison de santé du docteur Paul Drop .Vous allez me rappeler que Fandor, par je ne sais quel moyen, obtint du président de la République lui-même la dispense de publicité que rendait nécessaire votre agonie apparente. Vous allez me rappeler tout cela, vous allez me citer cette cérémonie grotesque, au cours de laquelle en infirmier Claude, je fus votre témoin, tout comme l’était Vladimir, le comte d’Oberkhampf. Eh bien, tout cela, Hélène, apprenez-le, n’a aucune valeur, ne compte pas, n’existe point, pas plus à mes yeux qu’aux yeux de la loi !

Fantômas se tut. Il escomptait une protestation de la part de la jeune femme, mais celle-ci se taisait.

Hélène, à cet instant, ne croyait pas aux paroles de Fantômas. Ce qu’il disait était impossible. Elle était bien réellement la femme de Fandor, elle l’était légalement et Fantômas, quelle que fût sa puissance, ne pouvait rien contre le fait accompli, contre le fait acquis.