Fantômas reprit :
— Vous ne me croyez point, Hélène ? Soit ! S’il vous faut des preuves, je vais vous en fournir. Avez-vous dont oublié l’acte dont donna lecture le greffier de l’état civil, ne savez-vous pas que la dispense in extremisaccordée à l’occasion de votre mariage est, aux termes de la loi, réglée de cette façon : vous êtes mariée, Hélène, avec Fandor, sans publications légales, mais à la condition que ces publications soient faites dès le lendemain. Or, dès le lendemain, des incidents sont survenus, que j’avais ordonné moi-même. Fandor et vous, Hélène, vous n’avez pu faire exécuter ces publications ; elles n’ont pas été faites dans le temps voulu, elles ne peuvent plus l’être… Votre mariage est nul, vous n’êtes pas la femme de Fandor, vous ne le serez jamais…
Atterrée, Hélène se taisait toujours.
Elle se rappelait en effet parfaitement les dispositions de la loi dont on lui avait donné connaissance. Il était exact que le mariage in extremisaccompli entre elle et Fandor se trouvait rompu, annulé, anéanti, par le fait même que les publications légales n’avaient pas été réalisées.
La loi qu’invoquait Fantômas était cruelle, mais c’était la loi.
Alors Hélène, affolée, joignait les mains. D’une voix rauque, d’une voix brisée, elle articula :
— Fantômas, je ne suis pas la femme de Fandor, mais ma volonté est de l’être un jour. J’aime Fandor, il m’aime… Pourquoi ne voulez-vous pas que nous puissions être heureux ?
Hélène était prête, presque, à supplier le Maître de l’effroi. Elle frémit en entendant sa réponse :
— Parce que, déclarait Fantômas, il est un autre mari que je vous destine, un autre que vous épouserez, et qui vous rendra plus heureuse !
Et férocement, Fantômas ajoutait :
— Plus un mot, Hélène, assez sur ce sujet. Ma décision est irrévocable.
Et, lentement Fantômas s’éloignait, cependant qu’Hélène, malgré sa vaillance, vaincue par cette dernière menace, éclatait en sanglots.
Chapitre II
Évasion tragique
Du temps passait.
D’abord vaincue par l’effroyable menace que Fantômas avait osée contre elle, en lui disant que, de façon irrévocable, il avait décidé, dans sa tragique puissance de monstre qui n’avait jamais connu une volonté opposée à la sienne, d’empêcher son mariage avec Fandor, d’abord épouvantée à l’idée que Fantômas avait résolu de la contraindre d’épouser un autre homme, Hélène, rapidement, se révoltait, redevenait maîtresse d’elle-même, et trouvait, dans son sang-froid reconquis, comme dans son amour, les forces suffisantes pour décider de lutter et de vaincre le Maître de l’effroi.
— J’aime Fandor, se disait Hélène. Et s’il est possible qu’aux yeux de la loi il ne soit point mon mari, il est certain que je suis sa femme, dans le secret du sentiment de mon âme, et que rien, pas une force au monde, pas un homme sur terre, ne peut nous délier des serments que nous avons librement échangés, lui et moi.
La jeune femme qui avait sangloté, après le départ de Fantômas, se retrouvait brusquement maîtresse d’elle-même, disposée à la lutte, prête à combattre encore le Maître de l’épouvante, s’il était nécessaire, pour triompher de ses intentions funestes.
Ne pas épouser Fandor, cela semblait à Hélène une effroyable chose, mais la pensée d’épouser un autre homme, d’être contrainte à un mariage avec un inconnu, lui apparaissait en revanche, d’un grotesque achevé.
— On ne disposera pas de moi ainsi, pensait-elle. Je ne suis pas en vain l’enfant qui a grandi, qui s’est formée dans les plaines du Transvaal. Je saurai lutter contre le Maître de l’effroi, contre celui qui ose se dire mon père, et qui pourtant, dans l’aveuglement de sa tendresse, se conduit à mon égard comme le plus abominable des tortionnaires.
Hélène se leva. Elle examina la situation avec un sang-froid parfait, un calme d’esprit absolu. Certes, elle ne doutait pas que Juve et Fandor ne fussent dès à présent à sa recherche. Elle savait même que le journaliste et le policier n’auraient ni cesse, ni répit qu’ils aient pu retrouver sa trace. Mais bien qu’elle sût tout cela, elle se rendait parfaitement compte qu’il lui fallait, pour se sauver, ne compter que sur elle-même.
Fantômas l’avait maintes fois prouvé, il ne laissait rien au hasard. Il ne risquait rien sans être sûr de la réussite de ses tentatives, et, par conséquent, s’il s’était emparé d’elle, s’il l’avait conduite dans cette péniche, c’est qu’il était assuré que Juve et Fandor ne pourraient pas de longtemps trouver cette piste, c’est qu’il tenait pour certain que la prisonnière ne pourrait pas lui être ravie.
— Je ne peux pas compter sur Juve et sur Fandor, s’avoua tristement Hélène. Ils ne peuvent pas me sauver. C’est donc à moi de trouver le moyen de déjouer les ruses de Fantômas.
La situation de la jeune femme était en vérité tragique. Seule, abandonnée de tous, entièrement aux mains de Fantômas, prisonnière du monstre, elle décidait de s’évader, de relever le défi que Fantômas lui avait jeté, d’accepter la lutte, et de vaincre…
Mais n’était-ce pas un présomptueux dessein ? Hélène ne présumait-elle pas trop de ses forces ? Pouvait-on réellement lutter contre Fantômas, et pouvait-elle, faible et désarmée comme elle l’était, espérer vaincre celui que nul au monde ne pouvait se vanter d’avoir définitivement vaincu, celui qui se nommait lui-même le Maître de tous, celui que le monde appelait l’insaisissable ?
Hélène était de ces natures énergiques et vaillantes qui, tout en gardant soigneusement leurs illusions, savent ne point mesurer les difficultés des entreprises qu’il leur plaît de tenter.
Si elle avait résolu, si elle avait réfléchi à l’impossibilité où elle était de vaincre Fantômas, elle se fût probablement découragée, elle eût compris qu’elle ne pouvait rien contre le destin.
Tout au contraire, elle se refusait à la réflexion, elle s’empêchait de songer au péril, et elle n’envisageait la bataille que pour s’applaudir de la joie des victoires à gagner.
Hélène eut ce petit mouvement de tête à la fois mutin et décidé qui lui était particulier.
— Il faut se battre, murmurait-elle, soit, je me battrai. Je me battrai jusqu’à la mort, sans crainte et sans regret, car je ne tiens pas à vivre si je dois vivre sans Fandor…
La lutte décidée en son esprit, Hélène immédiatement songea à organiser la victoire qu’elle comptait bien remporter.
Que pouvait-elle contre Fantômas ? Le braver en face, le menacer de représailles, tâcher de lui arracher sa liberté.
Elle y pensa d’abord, puis, une réflexion rapide la convainquit qu’un tel espoir était vain. Fantômas n’était pas homme à se laisser attendrir ; Fantômas n’était pas accessible à la pitié, jamais de son plein gré, il ne la remettrait en liberté.
— Tant pis, pensa Hélène. Je m’évaderai…
Mais pouvait-on s’évader d’une prison choisie par Fantômas ?
Hélène, à l’instant où le bandit la transportait de l’automobile sur la barge hollandaise, avait tout juste eu le temps d’apercevoir quelques détails du bateau. Elle avait remarqué qu’il était chargé de tas de charbon ; elle avait noté qu’il se trouvait presque à l’extrémité de l’avant-port, et que la mer libre commençait à quelque distance.
— Que signifie cette situation ? se demanda-t-elle. Une péniche ne peut naviguer en mer. Fantômas n’a donc pas l’intention, j’imagine, de s’enfuir par là. Aura-t-il donc l’audace de faire remorquer la péniche à travers le port ? C’est douteux. Juve et Fandor, en effet, très probablement, obtiendront des autorités que l’on fouille et que l’on perquisitionne à bord de tous les navires. Que pense donc décider le Maître de l’effroi ?
Mais Hélène eut beau réfléchir, elle ne put rien inventer qui lui permît de se forger une idée, même incertaine, des desseins de Fantômas.
Qu’importait, d’ailleurs, après tout !
— Quoi qu’il fasse, quoi qu’il décide, songeait Hélène, je ne veux point souffrir davantage sa loi. J’entends être libre, j’entends m’évader au plus vite.