— M’sieur, m’sieur, dit le petit Michel, est-ce que je pourrais fermer la fenêtre ?
Il feignait en même temps de tousser, pour faire croire qu’il avait attrapé froid, et qu’il était indispensable qu’on lui donnât l’autorisation demandée.
Le maître coulait vers lui un regard quelque peu sceptique, car il connaissait Michel pour un de ces gaillards qui ne manquent point d’ingéniosité, dès lors qu’il s’agit d’inventer quelque chose susceptible de nuire au travail.
Toutefois, l’instituteur ne pouvait refuser d’acquiescer à une semblable demande.
— Fermez donc la fenêtre, fit-il, mais dépêchez-vous !
Un sourire de contentement erra sur les lèvres du gamin, qui, se déplaçant avec grand tapage, approcha d’abord sa chaise de l’appui de la fenêtre, monta doucement dessus en feignant d’être maladroit, puis il se cramponna à la poignée de la croisée, manqua de tomber deux ou trois fois, histoire de faire rire ses camarades, ce à quoi il parvenait à merveille. Enfin, il atteignit à l’espagnolette et finit par fermer la fenêtre.
Le professeur, qui avait suivi tous les détails de cette petite aventure, ne voulait rien voir de l’attitude de Michel.
C’était un maître au bon cœur, qui n’aimait point les aventures ennuyeuses et qui répugnait aux punitions. Il préférait ignorer les facéties de ses élèves plutôt que de sans cesse les réprimander.
Il ne disait rien à Michel, et continuait à raconter les aventures de Philippe le Bel.
L’enfant, toutefois, au lieu de redescendre prendre sa place au milieu de ses camarades, demeurait quelques instants absolument abasourdi, regardant à travers la fenêtre, les yeux fixés sur l’horizon.
C’était l’heure à laquelle le soleil, contournant les montagnes, allait disparaître vers l’ouest et frappait de ses rayons, désormais presque horizontaux, le sommet du massif de Beldone, et plus particulièrement la cime neigeuse et glacée du Casque-de-Néron.
Le professeur semblait avoir oublié que Michel était juché, silencieux et attentif, sur le rebord de la fenêtre, et il continuait son cours sans se rendre compte que l’enfant paraissait prodigieusement intéressé et stupéfait par ce qu’il voyait.
Michel enfin descendit, mais, dès lors, son visage était tout bouleversé, et, à peine s’était-il remis à sa place, qu’il se penchait vers son voisin :
— Regarde, lui dit-il tout bas, regarde par la fenêtre ce qui se passe sur le Casque-de-Néron.
Le voisin de Michel, un petit blondinet timide, qui s’appelait Louis Férot, n’osait d’abord pas lever les yeux par peur d’une réprimande, mais Michel continuait à lui parler, et sans doute lui disait des choses si extraordinaires que l’enfant, ne pouvant résister à la curiosité, tourna la tête et regarda, comme l’avait dit son compagnon, le sommet de la montagne.
Dès lors le petit Louis Férot, jusqu’alors si attentif, parut oublier complètement Philippe le Bel pour ne plus songer qu’à ce qu’il voyait.
Un voisin le tirait par la manche.
— À quoi penses-tu ? murmurait-il, es-tu donc dans la lune ?
Et, à mi-voix, sans souci de se faire remarquer, Louis Férot rétorquait :
— Regarde… regarde… là-haut ! vers le Casque-de-Néron !…
Au bout de quelques secondes la moitié de la classe avait les yeux braqués dans la direction de la montagne, si bien que l’instituteur s’en aperçut et s’arrêta net de parler.
Au surplus, l’heure de la fin de la classe était proche.
Néanmoins, comme on devait encore quatre ou cinq minutes au travail, le maître, sévèrement, frappa de sa règle de bois sur son bureau pour ramener à lui l’attention des élèves.
— Eh bien ! eh bien ! fit-il, qu’est-ce que c’est que ces dissipations ? Voulez-vous être attentifs !…
Puis, avec une nuance de reproche, s’adressant particulièrement à Louis Férot, il articula :
— Comment ! c’est vous, Louis, qui dissipez vos camarades !
Louis Férot était un bon élève ; il rougit jusqu’aux oreilles, vexé par le reproche et redoutant une punition.
Toutefois, incapable de dissimuler, et pour justifier aussi son attitude, il répliqua en baissant les yeux :
— J’ai regardé par la fenêtre parce que Michel me l’a dit, monsieur ; ça n’est pas ordinaire ce que l’on voit !
Le maître interrogea :
— Que voulez-vous dire ? Qu’avez-vous vu par la fenêtre ?
À la question du professeur, les élèves comprenaient que celui-ci était vaincu et que, désormais, jusqu’à ce que la cloche libératrice sonne, il ne serait plus question de Philippe le Bel.
Et, devinant qu’ils avaient la permission implicite de s’agiter désormais et de bavarder, tous répondirent à la fois, bavardèrent en tumulte :
— C’est dans le Casque-de-Néron, avec le soleil sur la montagne…
— Il paraît qu’il a vu tout à l’heure sa figure, moi je n’ai rien vu du tout…
— Parce que tu as regardé trop tard !…
— Michel dit toujours des blagues ! poursuivait un autre des élèves en haussant les épaules.
Mais trois ou quatre de ses camarades protestaient :
— Louis Férot ne ment pas, et Louis Férot l’a vu…
Puis, c’était à nouveau une ruée en masse vers la fenêtre et l’instituteur, ne comprenant rien à ce qui se passait, s’en fut derrière eux pour regarder à son tour ce que l’on pouvait voir.
Il aperçut comme ses élèves, à travers les vitres, le magnifique panorama qui se déroulait.
Le soleil s’était encore enfoncé au ras de l’horizon lointain et depuis quelques minutes ses rayons cessaient d’éclairer le sommet du Casque-de-Néron.
Le maître eut beau regarder longtemps, rien d’anormal ne lui apparaissait au faite de la montagne. Celle-ci était, comme à son ordinaire, couverte de neige, ses pics abrupts se hérissaient de glaces miroitantes qui se détachaient en blanc sur un beau ciel de printemps uniformément bleu.
— Ah ça, voyons, mes enfants ! fit-il en grossissant sa voix. Je ne sais pas ce que vous avez aujourd’hui, vous êtes d’un dissipé ! Demain, il s’agira de se tenir plus tranquille…
Puis, attirant à lui le petit Louis Férot, l’instituteur l’interrogea :
— Qu’avez-vous donc vu ? Que s’est-il passé ?
L’enfant était tout pâle, l’instituteur le remarqua. Au surplus, le petit Louis répondit :
— On a vu quelque chose d’extraordinaire, monsieur ; il y avait un bonhomme dans la montagne !
— Un bonhomme ? fit le maître qui ne comprenait pas.
Michel venait à la rescousse de son camarade :
— Oui, m’sieu. C’est moi qui l’ai vu le premier, c’est un grand bonhomme… il était couché sur la neige… il était presque aussi grand qu’une statue…
Le maître, de plus en plus sceptique, s’apprêtait à faire des reproches à Michel.
Il connaissait le gamin pour être quelque peu hâbleur. Il l’admonestait fréquemment à ce sujet, mais il recommençait chaque fois que l’occasion se présentait.
— Michel, quand donc perdrez-vous l’habitude d’inventer des histoires fausses pour dissiper la classe ? La prochaine fois que cela vous arrivera, je vous punirai sévèrement. En attendant…
Il allait proférer une punition, mais le petit Louis Férot s’approcha de lui, et, le tirant par la manche, annonça timidement, rougissant encore jusqu’aux oreilles :
— Michel n’a pas menti, m’sieu. Moi aussi j’ai vu le géant sur le Casque-de-Néron… Il était aussi haut que la maison d’école, et il avait des bras à n’en plus finir…
Une rumeur de surprise gronda dans l’assistance et les petits élèves de la classe, après un instant de silence, délièrent leurs langues et commencèrent à se disputer sur le cas extraordinaire que signalaient les deux enfants.
— Moi, j’ai rien vu, proféra un gros gamin aux joues boursouflées, qui s’appelait Dominique.
C’était un enfant de la montagne, précisément du Casque-de-Néron, où ses parents, pendant longtemps, avaient été employés dans une scierie mécanique.
Un autre, cependant, protestait :
— Moi, j’ai pas vu sa tête, mais j’ai vu ses pieds. Même qu’il n’avait qu’un soulier !…
Cette déclaration déterminait des éclats de rire dans toute la classe.
C’était vraiment comique, cette idée d’un géant aperçu dans la montagne et qui n’avait qu’un soulier !…