Fandor réprimait, malgré les tragiques aventures qu’il venait de vivre, une violente envie de rire.
— Ah ! par exemple ! pensa-t-il, voilà qui est plus fort que tout ! Ah les braves gens !… Ils me demandent de les aider à courir après moi-même !… Attendez donc un peu…
Fandor affectait un air terrifié.
— Un malfaiteur à Notre-Dame ! s’écria-t-il en joignant les mains dans une pose onctueuse et bien ecclésiastique, ça n’est pas possible !
Il faisait mine de s’affoler.
— Je ne suis qu’un pauvre bedeau, murmura-t-il, mais adressez-vous donc à M. le curé. Qu’on prévienne la gardienne de chaises !
Fandor, d’un geste de la main, indiquait à ses interlocuteurs l’autre côté de l’église.
— Allez par là, allez vite ! leur disait-il. Quant à moi, je vais par ici, pour faire le nécessaire…
La foule obéissait à Fandor et quelques secondes après, celui-ci, qui avait définitivement dépisté ses poursuivants, sortait de l’église et se trouvait sur le parvis Notre-Dame.
Ouf ! pensa Fandor, me voilà tiré d’affaire.
Un taxi automobile passait, le journaliste lui fit signe. Il y montait en hâte.
— Conduisez-moi, dit-il…
Mais Fandor, soudain, s’apercevait qu’il n’avait pas d’argent.
— Bougre de bougre, fit-il, comment m’arranger ?
Il descendait du taxi, non sans essuyer de terribles injures que lui décochait le chauffeur, puis il se mit à longer l’Hôtel-Dieu, à gagner le pont d’Arcole, le pas pressé.
Dans la poche de la robe qu’il portait Fandor avait trouvé une petite calotte de velours.
— C’est de la chance ! pensa-t-il.
Mais il était bien encore plus heureux de voir que la poche contenait encore un porte-monnaie dont il inventoria le contenu.
— Cent cinquante francs ! s’écria Fandor… Sauvé cette fois ! J’ai de quoi partir pour Grenoble, et je ne vais pas manquer d’aller raconter à Juve la dernière aventure survenue à Fandor…
Devant la morgue, cependant quelqu’un pérorait, faisant force geste au milieu d’un groupe qu’il amusait par ses facéties. C’était Bouzille, qui, tout gonflé d’importance, racontait à la foule abasourdie :
— Le journaliste Jérôme Fandor vient de manquer d’une seconde l’arrestation de Fantômas !
Chapitre XX
Aux écoutes !
Le secrétaire général de la préfecture de Grenoble causait avec le commissaire de police :
— Vraiment ! lui disait ce dernier, ces inspecteurs de Paris, surtout lorsque ce sont des personnages comme M. Juve, ont des façons d’être un peu originales, même un peu extraordinaires !
Le secrétaire général approuvait, le commissaire de police continuait :
— Après la découverte sensationnelle qu’il avait faite du cadavre de ce malheureux Daniel dans la montagne au-dessus de Grenoble, M. Juve nous avait formellement annoncé son départ pour Paris tout en nous recommandant de bien cacher son identité.
» Or, voici qu’au lieu de partir et de s’élancer à la poursuite de Fantômas, comme il semblait en avoir l’intention, M. Juve fait volte-face, et reste ici, parmi nous. Mais toujours avec le désir de n’être connu de personne !
— Pardon, interrompit le secrétaire général, je vous arrête, monsieur le commissaire de police… si toutefois je puis m’exprimer ainsi. M. Juve est en effet resté à Grenoble, mais il ne se cache pas, bien au contraire. Il a fait dire par les journalistes qui l’ont interviewé, et ceux qui l’ont interviewé en tant que Juve, qu’il habitait au Modem Hôtel.
— Tout cela, conclut le commissaire de police, est fort étrange, et je suis très heureux de n’être point mêlé à cette affaire.
Le magistrat prenait un air pincé pour faire cette déclaration. En réalité, peut-être était-il un peu vexé que Juve n’ait point sollicité son précieux concours dans la continuation des enquêtes qu’assurément poursuivait le célèbre inspecteur.
Mais que s’était-il passé, et pourquoi Juve, s’il avait annoncé son départ pour Paris, était-il resté à Grenoble ? Pourquoi Juve, désireux de passer incognito désormais, faisait-il savoir qu’il était installé au Modem Hôtel ?
Les circonstances, les événements qui surviennent modifient souvent les décisions, et c’est pour cela que Juve paraissait avoir brusquement changé d’opinion.
Lorsqu’il était revenu des cimes neigeuses et glacées du Casque-de-Néron, il y avait de cela deux jours, rapportant le cadavre de Daniel, Juve, saisi d’une horrible crainte, avait télégraphié au directeur de la morgue à Paris, pour s’assurer qu’il n’y avait plus de cadavre dans le sinistre établissement, répondant au signalement de Daniel.
On l’avait détrompé et dès lors Juve avait senti se confirmer ses appréhensions ; le cadavre qui se trouvait à la morgue était, ne pouvait être que le corps de Fandor…
Juve alors avait voulu partir aussitôt pour Paris, mais la malchance s’en était mêlée ; il manquait le train qui quittait Grenoble à neuf heures du soir.
Ce train-là, Fantômas l’avais pris, plus heureux que Juve.
En vain le policier avait-il cherché une automobile qui veuille bien le conduire jusqu’à Paris, il n’en avait pas trouvé, et dès lors, il décidait d’attendre le lendemain matin pour prendre le premier train à destination de la capitale.
À l’aube, Juve allait mettre son projet à exécution, et déjà il se trouvait dans la cour de la gare, lorsque de celle-ci surgissait soudain une bande affolée de crieurs de journaux.
Ceux-ci arrivaient avec une édition spéciale d’un grand journal lyonnais, une manchette gigantesque annonçait un événement aussi imprévu que sensationnel.
Juve se précipitait sur la feuille, et, non sans stupéfaction, y lisait le récit le plus inattendu qu’on pouvait imaginer.
Le sous-titre de l’article était ainsi conçu :
FANDOR A FAILLI ARRETER FANTOMAS,
LES DEUX HOMMES ONT DISPARU.
Puis suivait le récit des extraordinaires aventures survenues dans la morgue, le rôle de cadavre joué par Fandor dans le but d’attirer Fantômas, Fantômas se laissant prendre à ce piège, venant jusque dans le frigorifique où se trouvait le soi-disant mort, puis la poursuite effrénée qui d’ailleurs n’avait malheureusement pas eu pour résultat l’arrestation de Fantômas…
Les deux hommes ont disparu, disait le journal, mais Fandor est sain et sauf. Il a téléphoné au journal La Capitalede Paris pour donner de ses nouvelles et dire qu’on ne s’inquiète point de lui.
Tel était en substance le récit que Juve venait de lire, et, dès lors, son visage s’éclairait ; sur ses lèvres s’esquissa un bon sourire.
— Ouf ! fit-il en respirant profondément, voilà qui me console de la nuit terrible que j’ai passée, et du moment que Fandor est sauvé, c’est une des plus grandes joies auxquelles je puisse prétendre.
Juve était entré, pour lire, dans la salle d’attente ; l’employé passa qui criait :
— Express pour Paris !… Les voyageurs pour Paris en voiture !
Instinctivement, Juve bondissait, mais il s’arrêtait aussitôt.
— Non pas, songea le policier, j’allais à Paris pour retrouver Fandor ; puisque je sais désormais qu’il est vivant et sur la piste de Fantômas, il faut donc que je reste ici, car c’est ici que nous le prendrons !
Et dès lors, à pas lents, Juve sortait de la gare, et remontait vers le centre de la ville.
— Fantômas, se disait-il, est l’homme qui a dérobé le cadavre de Daniel, lorsque ce cadavre était à la morgue.
» Il l’a apporté ici, mystérieusement, dans un but que j’ignore, il a cru qu’il le rendrait introuvable en allant le placer au sommet du Casque-de-Néron, et, dans son esprit, les aigles et les vautours ne tarderaient certes pas à le déchiqueter.