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— Malheureusement pour Fantômas, la glace survenue faisant un bloc autour du corps de Daniel, a permis l’apparition extraordinaire qui a stupéfié tout Grenoble, et qui m’a déterminé à monter dans la montagne me rendre compte de ce qui se passait.

» Ainsi donc, j’ai déjoué de la sorte l’un des plans de Fantômas ! Il me reste à savoir quels sont les autres. Grenoble est évidemment le centre actuel des opérations du bandit, ce qui me porte à croire que ce n’est point par hasard que je trouve ici, réunis autour de la dépouille mortelle de Daniel, des gens médiocrement intéressants tel que ce petit notaire Gauvin et des personnalités mystérieuses, tel que ce professeur Marcus et cette dame Verdon.

M me Verdon ?

Juve y songeait à nouveau.

Et il lui apparaissait de plus en plus nécessaire de faire rapidement sa connaissance, et de savoir quelle était exactement la mission qu’elle avait confiée à Daniel lorsque celui-ci était parti pour la Hollande.

Juve n’aimait pas les gens qui se cachent, et il lui semblait que M me Verdon, de même que son pensionnaire le géologue, ne tenaient pas à se montrer.

Pour que Fantômas n’en ignorât rien, Juve, au lieu de partir pour Paris, allait donc au Modem Hôtel, et décidait de s’y installer.

Il y donnait son nom, faisait savoir qu’il recevrait toutes les personnes qui voudraient lui parler.

Juve, cependant, quelques minutes après son installation, quittait l’hôtel, et sautait dans le train tramway à destination de Domène.

Le policier, cette fois, arrivait chez M me Verdon avec l’intention d’être des plus énergiques. Il sonnait à la grille du jardin et le tintement de la clochette se répercuta longtemps dans le silence de la propriété.

Dick, le molosse, survint en galopant lourdement et flaira longuement le nouveau venu.

Juve allait-il se nommer ?

Il jugeait la chose bien imprudente, et cependant il avait besoin de faire connaître sa personnalité pour obtenir de M me Verdon les réponses aux questions qu’il allait lui poser.

Combien la paisible demeure de la vieille dame semblait transformée depuis quelques jours !

Pendant dix ans, M me Verdon avait vécu seule dans sa propriété, ne recevant l’aide d’une femme de ménage que quelques heures par jour.

Le jardin, mal cultivé, était entretenu, à de longs intervalles, par un vieux jardinier sourd, qui ne faisait pas beaucoup de besogne et qu’on employait par charité.

La cuisine de M me Verdon était simple et frugale, le reste était à l’avenant…

Or, voici que depuis quelques jours, une transformation complète semblait s’être faite dans la demeure de la mystérieuse personne. Depuis que le professeur Marcus était son pensionnaire, il semblait que l’on jetait l’argent par les fenêtres.

La cave se montait, on faisait des emplettes nombreuses chez les fournisseurs, il y avait désormais trois domestiques d’engagés, dont un valet de chambre.

Cela, Juve l’avait appris quelques jours auparavant lorsque, se faisant passer pour un marchand de tapis, il s’était longuement entretenu avec le cabaretier de Domène.

Ce fut le valet de chambre qui vint ouvrir la grille du jardin.

Il s’inclina cérémonieusement, mais sans platitude, devant le visiteur.

— Monsieur désire ? interrogea-t-il.

— Parler à M me Verdon, fit le policier.

Et comme le domestique lui demandait encore :

— De la part de qui ?

Juve articula simplement :

— Dites que c’est de la part du commissariat de police.

Cette déclaration faisait assurément son effet, car le domestique, après avoir jeté un coup d’œil curieux sur le visiteur, lui ouvrait la grille du jardin et l’invitait à pénétrer dans la propriété.

Juve suivait le valet de chambre jusqu’au perron de la maison, puis on l’introduisait dans le vestibule et on le pria d’attendre quelques instants.

Il y eut un assez long conciliabule, au premier étage entre le domestique et M me Verdon, car le policier attendit pendant dix bonnes minutes.

Après quoi le serviteur cependant revint et articulait d’un ton impassible :

— Madame attend monsieur.

Juve gravissait un escalier aux marches recouvertes d’un épais tapis, puis, après avoir suivi un couloir et traversé deux pièces, assez élégamment meublées en salon, il parvint dans une chambre à coucher. Près de la fenêtre une dame était assise à moitié étendue sur une bergère.

Juve s’arrêta sur le seuil de la porte, s’inclina profondément.

C’était M me Verdon.

La vieille dame, assurément, avait dû être jolie autrefois. Désormais les ans avaient ridé son visage, creusé ses traits, atténué l’éclat de son teint, mais sa physionomie était toujours avenante, son regard spirituel, son expression fine, distinguée.

Elle avait de longs cheveux d’une éblouissante blancheur, qui, divisés en bandeaux par une raie impeccable au milieu de la tête, faisaient à son visage un cadre fort seyant.

Elle était toute vêtue de noir, et, en fait de bijoux, ne portait qu’une bague ornée d’un saphir, et enfin une alliance d’or.

M me Verdon articula, considérant le visiteur :

— Veuillez entrer, monsieur, et m’expliquer le but de votre démarche.

Or, brusquement, Juve, à ces mots, tressaillit des pieds à la tête.

Il n’avait éprouvé cependant aucune émotion en apercevant M me Verdon. Mais la voix de cette dernière, lorsqu’elle avait parlé, déterminait chez le policier un trouble considérable.

Il semblait à Juve qu’il avait déjà entendu cette voix, que son timbre lui était connu, familier, sympathique, et cependant le policier avait l’impression bien nette et bien certaine qu’il ne s’était jamais trouvé en présence de M me Verdon.

Et dès lors Juve, l’homme calme, impassible, l’homme de fermeté réfléchie, et d’irréductible volonté, était si troublé qu’il balbutiait, ne sachant plus ce qu’il devait dire à M me Verdon.

Mais celle-ci, cependant, s’étonnait de l’attitude de son interlocuteur.

Un peu dédaigneuse, hautaine, M me Verdon désignant un siège à Juve, reprit :

— Veuillez vous asseoir, monsieur, et me faire connaître le but de votre démarche. Je vous reçois dans ma chambre, et vous m’en excuserez, mais je suis un peu souffrante.

Juve alors seulement remarquait qu’il était, en effet, dans une chambre à coucher élégamment décorée.

Au fond, une porte entrebâillée laissait entrevoir une assez vaste salle de bain, avec une baignoire de métal reluisant.

La cheminée de la chambre était encombrée de bibelots, de souvenirs ; et au-dessus du lit, était un portrait, une petite photographie, que Juve cherchait à voir, bien qu’il en fût très éloigné, mais c’est à peine s’il parvenait à se rendre compte, au bout de quelques secondes d’un examen attentif, qu’il s’agissait là de la photographie d’un très jeune enfant.

Juve n’avait pas cru devoir se nommer à M me Verdon.

Il prit l’attitude hésitante et lourde d’un vague employé d’un commissariat de province.

— Voilà, fit-il, donnant à sa conversation la tournure de l’emploi, je viens comme ça, Madame Verdon, de la part de mon chef le commissaire, vous demander si vous n’avez pas des renseignements à me communiquer sur le nommé Daniel ?

M me Verdon leva les mains au ciel :

— Mon Dieu, monsieur, fit-elle, on a bien tort de m’interroger sans cesse sur le cas de ce malheureux garçon : je ne saurais, en aucune façon, vous renseigner… Assurément, vous le connaissez mieux que moi, puisque M. Daniel s’occupait de choses de police. J’ai dit tout ce que je savais, lors des premières enquêtes. M. Daniel me faisait l’effet d’un gentil garçon, il avait besoin de gagner sa vie. Il m’a demandé de l’aider à faire un voyage en Hollande qu’il méditait et je l’y ai aidé, voilà tout…

Juve écoutait distraitement ce que disait M me Verdon.

En réalité, il écoutait surtout cette voix, cette voix harmonieuse, agréable, qui faisait croire à Juve, lorsqu’il fermait les yeux, que c’était quelqu’un d’autre qui parlait, quelqu’un connu de lui, mais qui ? Juve ne pouvait parvenir à le savoir.