Assurément, c’était là une disposition bien ordinaire, comme il s’en trouve souvent sur le bord des rivières, et le policier n’y aurait pas prêté la moindre attention, si un incident fortuit n’était venu l’y obliger.
Juve, en effet, qui s’avançait à une assez vive allure sur la rive toute gazonnée, était victime d’un accident absolument ridicule.
Alors qu’il était à proximité de cette petite cabane, son pied glissait sur une planche vermoulue, et celle-ci, placée en équilibre, basculait soudain.
Juve alors était projeté en avant, et précipité précisément sur la toiture de la petite baraque noire qu’il venait d’apercevoir.
Or, le policier passait au travers. Au lieu d’être fait de planches, ce toit était en carton bitumé ; le policier tomba dans un trou, et, quelques instants, demeura privé de sentiment, suffoqué, haletant.
Puis il revenait à lui, et instinctivement, mettait la main à la crosse de son revolver.
Juve avait quelque courbature ; il aurait pu se briser le crâne sur les pierres plates qui constituaient le fond de la petite baraque, mais il avait évité une mort stupide, grâce à la toiture à travers laquelle il avait passé, et qui, en le retenant, avait singulièrement atténué la brusquerie de sa chute.
Juve, désormais, se rendait compte qu’il était à l’intérieur d’une sorte de petite prise d’eau couverte par un toit.
Il était dans un bassin de pierre, complètement asséché, auquel venait aboutir un gros tuyau, probablement le tuyau d’un égout destiné à évacuer les eaux sales.
Juve regardait la disposition de ce tuyau, par rapport à la maison de M me Verdon, et se rendit compte qu’il devait en provenir.
— C’est égal, grognait le policier en se frottant l’échine, j’aurais tout de même pu me casser quelque chose ; ce ne serait guère heureux en ce moment !…
Mais, alors qu’il grondait, Juve entendit parler.
— On m’a vu tomber là-dedans, et on arrive pour m’en retirer…
Et il passa la tête à travers le carton bitumé de la toiture qu’il avait crevée.
Juve eut beau regarder autour de lui, il n’y avait personne. Au surplus, il n’entendait plus rien.
Juve rentrait à l’intérieur de la cabane, lorsqu’à nouveau, il perçut distinctement une voix de femme.
Or, Juve la reconnaissait aussitôt. Il n’y avait pas de doute : c’était la voix de M me Verdon.
Si les paroles qu’elle prononçait parvenaient indistinctes à Juve, le timbre de la voix cependant était facilement reconnaissable. À M me Verdon quelqu’un répondait.
Et, dès lors, c’était une voix plus grave, plus mâle, une voix d’homme, que Juve percevait.
— Le professeur Marcus, pensa le policier.
Mais en même temps il se disait :
— D’où diable peuvent provenir ces voix ?…
Soudain, Juve avait une inspiration.
— Le tuyau !… s’écria-t-il.
Et alors il se mettait à genoux, collait son oreille à l’orifice du gros tube de métal qui venait aboutir dans cette petite cabane.
Sur le visage du policier, une expression joyeuse s’imprimait.
Il avait compris.
Il se rendait compte que la chute inopportune était pour lui l’occasion d’une découverte inespérée.
Le fait qu’il était tombé dans cette cabane lui faisait découvrir l’existence d’un tuyau qui, assurément, devait servir à évacuer les eaux sales de la maison, mais qui, pour le moment, allait constituer pour Juve le meilleur des cornets acoustiques que pouvait rêver le policier.
En une seconde, sa pensée imaginait le trajet du tuyau, depuis son embouchure, dans la petite cabane où Juve se trouvait, jusqu’à son origine dans la maison.
Assurément, le tuyau passait sous les plates-bandes du jardin, montait dans l’immeuble jusqu’au premier étage et y prenait naissance précisément au fond de la baignoire qu’il avait entrevue dans la pièce voisine de la chambre occupée par M me Verdon.
C’était à cette baignoire, baignoire métallique, que Juve devait de si bien entendre, car ses parois servaient en réalité de pavillon résonateur.
Juve ne perdait pas une parole de la conversation échangée entre M me Verdon et le professeur Marcus.
Mais, au fur et à mesure qu’il l’entendait le visage du policier prenait une expression singulière : ses mains se crispaient, tout son corps tressautait ; puis, il demeurait immobile, écoutait encore, ses yeux par moments s’écarquillaient, par moments se fermaient, comme si Juve, faisant un violent effort de pensée, voulait réfléchir sur ce qu’il entendait.
Enfin Juve proféra :
— Ce n’est pas possible, et pourtant si… c’est la vérité.
Qu’entendait donc le policier ?
Quelles étaient les paroles extraordinaires qu’échangeaient M me Verdon et le professeur Marcus ?
Chapitre XXI
Révélation surprenante
Juve écouta.
De cette voix harmonieuse, de cette voix qui troublait Juve, parce qu’il croyait déjà l’avoir entendue, sans pouvoir déterminer où ni quand, M me Verdon interrogeait son interlocuteur :
— Et alors, disait-elle, cher monsieur Marcus, êtes-vous satisfait de votre excursion dans la montagne ? Y avez-vous fait des découvertes de nature à faire progresser la science de la géologie ?
Une voix masculine rétorquait :
— En effet, madame, et mon absence, à part le regret que j’ai éprouvé de vous quitter, m’a permis d’effectuer un voyage qui fut, j’ose le dire, couronné de succès. J’ai rapporté des granits bleutés de la région qui avoisine le Lautaret, dont je fais le plus grand cas, car ils sont très rares.
— Maintenant, demanda M me Verdon, allez-vous prendre quelque repos ?
Le professeur Marcus répondait :
— Il se peut que je reste, comme il se peut que je m’en aille… mes projets n’excèdent guère l’heure qui va venir, et il ne faudra pas vous étonner si, après m’avoir entendu promettre de rester, vous me voyez disparaître.
» Un télégramme… une lettre, une certaine rencontre effectuée dans la rue, me déterminent souvent à entreprendre de longs et périlleux voyages, dont je connais peut-être le commencement, mais rarement la fin…
Vraisemblablement, cette réponse devait attrister M me Verdon, car, après un court silence, Juve entendit encore le professeur Marcus qui proférait :
— Il va sans dire, madame, que les conditions que nous avons décidées l’autre jour ne changent en aucune façon, et que je me considère, présent ou absent, comme notre locataire.
Mais une protestation véhémente interrompait le professeur dont la voix, elle aussi, surprenait Juve.
M me Verdon disait :
— Là n’est pas la question, cher monsieur, croyez-le bien, et si je déplore vos absences, c’est parce que… Parce que…
Juve, alors, n’entendait plus ce que disait la vieille dame, il lui semblait qu’elle balbutiait des paroles inintelligibles.
— Ah ça ! se demandait le policier, est-ce que par hasard elle éprouverait une sympathie si grande pour ce professeur géologue, qu’elle est toute troublée à l’idée que celui-ci s’absente ?… Je regrette bien de ne pas avoir vu la tête de ce noble vieillard qui passe son temps dans les montagnes.
Juve, instinctivement, tressaillait à cette idée.
Décidément, il entendait bien parler autour de lui de gens s’intéressant aux montagnes depuis quelque temps.
La pensée du cadavre de Daniel découvert au sommet du Casque-de-Néron lui revenait spontanément à l’esprit.
Et Juve, toujours aux écoutes dans la petite cabane où aboutissait le tuyau qui lui servait d’acoustique haussa les épaules.
— À vouloir trop prouver, on ne prouve rien, songeait-il et il ne faut pas vouloir à toute force faire des rapprochements entre des gens et des choses qui n’ont aucun lien.
Juve, s’il repassait dans son esprit les propos qu’il venait d’entendre, était, en somme, obligé de reconnaître qu’ils n’avaient rien que de très naturel ; et le policier se demandait s’il allait rester plus longtemps à écouter la conversation que cette vieille dame avait avec un savant géologue, lorsque, par l’intermédiaire du conduit métallique, il perçut le bruit d’une troisième voix.