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À l’intérieur, se trouvaient des papiers multicolores que le policier reconnaissait fort bien pour être les titres déposés par M me Verdon.

— Dès lors, s’écriait Juve, Fantômas n’est pas encore passé par ici ! Fantômas n’est pas venu ! Il va donc venir, je n’ai plus qu’à l’attendre…

Juve, d’un geste calme, décidé, vidait jusqu’au bout l’enveloppe et il en fourrait le contenu dans sa poche.

— Maintenant, articula-t-il, Fantômas sera obligé de me tuer s’il veut prendre la fortune qui appartient à la mère de Fandor !

Le policier s’arrêtait net ; il prêta l’oreille.

Un léger bruit se percevait au-dehors. On entendait des pas frapper sur le sable, dans le jardinet voisin.

— C’est lui ! pensa Juve, à nous deux !

Le policier se demandait d’abord s’il fallait demeurer dans la pièce et attendre de pied ferme l’arrivée du bandit.

— Non, se dit-il ensuite, je veux savoir exactement les intentions de Fantômas. Et puis, à vrai dire, je peux bien me payer le luxe de jouir de sa déconvenue !

Juve venait d’aviser la fameuse malle qu’il avait remarquée quelques instants auparavant et qui était bien suffisamment grande pour que l’on pût y dissimuler quelqu’un.

Sur le premier rayon de cette malle, le policier entassait des dossiers, puis il se mettait à l’intérieur, ayant bien soin de dérober la clef, afin que l’on ne puisse pas l’enfermer dans cette prison d’osier dont il se faisait provisoirement le bénévole prisonnier.

Juve avait éteint l’électricité dans la pièce dès lors plongée dans l’obscurité, et il attendit..

Le bruit qu’il avait perçu précédemment se précisait plus net, plus fort.

La porte du cabinet par laquelle Juve précédemment était entré grinça lentement sur ses gonds ; puis, quelqu’un tourna le commutateur et le cabinet du notaire s’illumina.

Juve, par les interstices de la malle d’osier dans laquelle il se cachait, avait aperçu le nouvel arrivant, et, malgré lui, il ne put réprimer un mouvement de dépit.

— Ce n’est que lui !… fit-il.

Et, en prononçant ces paroles, lui signifiait pour Juve n’importe qui, excepté Fantômas ! En fait, c’était le notaire lui-même qui rentrait dans son cabinet, c’était Gauvin…

Le jeune homme ne paraissait pas autrement étonné du désordre qui régnait dans son bureau.

Juve l’observa.

Gauvin avait l’air soucieux, préoccupé, farouche.

— Sa tête ne me revient pas ! pensa Juve.

Le policier, en effet, se méfiait du jeune notaire, auquel il avait trouvé, à maintes reprises, des attitudes bien bizarres.

Gauvin vint s’asseoir devant son bureau, puis sortit son portefeuille et examina longuement une sorte de petit carnet multicolore qu’il y avait enfermé.

De l’endroit où il se trouvait, Juve pouvait lire les principales inscriptions de ce carnet.

Et, au fur et à mesure que Gauvin tournait les pages, Juve se rendait compte de la nature du document.

C’était un billet de chemin de fer, mais non point un billet ordinaire ; c’était un de ces carnets spéciaux comme on en a pour les voyages circulaires, ou alors les lointains trajets.

Juve lisait :

Paris-Bruxelles, Bruxelles-Anvers, Anvers-Londres, Londres-Liverpool, Liverpool-Rio de Janeiro.

— Qu’est-ce que cela signifie ? se demandait le policier. Est-ce que Gauvin, par hasard, aurait l’intention…

Il prêta l’oreille ; le jeune notaire, qui venait de s’emparer d’un indicateur et qui le feuilletait fiévreusement, monologuait à mi-voix :

— Demain matin, je serai à Paris, demain soir à Londres en passant par Anvers ; lundi dans la nuit, je serai à bord du navire qui m’emmène au Brésil, et bien tranquille… L’étude ferme le dimanche, on ne s’apercevra de mon départ que lundi matin… de mon départ… soulignait Gauvin avec un petit ricanement qui surprenait Juve au plus haut point.

— Ah ça ! se demandait le policier, que médite donc ce suspect tabellion ?

Les circonstances devaient servir Juve et le renseigner pleinement.

Gauvin s’était renversé dans son fauteuil et, désormais, il relisait une lettre écrite de sa main ; il la relisait à haute voix, soulignant la ponctuation.

Or, elle était ainsi conçue :

Monsieur le procureur général,

Àl’heure où vous recevrez cette lettre, le soussignéGauvin, notaire à Grenoble, aura cessé d’exister.

Ne cherchez pas mon corps ; la mort que j’ai décidé de me donner aura pour conséquence sa disparition.

Si je mets un terme à mon existence, c’est parce queje viens d’être victime d’un vol affreux, qui non seulement me ruine, mais encore ruine mes chers clients.

Je ne puis survivre à ce coup terrible du sort, et je préfère disparaître de ce monde. Qu’on excuse cet acte de désespoir, qui m’est inspiré par les circonstances !

— Oh ! oh ! pensa Juve, je m’étais toujours dit que ce petit Gauvin était une fameuse fripouille ; je commence à croire que je ne me suis point trompé !… Qu’est-ce que signifie cette comédie ?

Gauvin, cependant, très satisfait des termes de sa lettre, ricanait joyeusement :

— Pas mal ! pas mal ! monologuait-il. Lorsqu’on trouvera cette lettre, que l’on verra le désordre qui règne dans l’étude, et surtout que l’on s’apercevra qu’il n’y a plus un sou en caisse, que tous les titres en dépôt ont disparu, nul ne s’avisera de songer que le véritable voleur est celui qui prétend s’être donné la mort pour ne point survivre au déshonneur !

— Très bien ! ponctuait Juve, de mieux en mieux ! Gauvin, mon ami, j’ai comme une vague idée que ce soir, au lieu de rouler dans la direction de Paris, tu vas faire connaissance avec les cachots de la prison de Grenoble !

Gauvin, cependant, se levait.

Brusquement, il marcha vers la malle dans laquelle était Juve.

— Oh ! oh ! pensa le policier, cela va se gâter !

Désormais, Gauvin était trop près de lui pour que Juve put voir ce qu’il faisait. Il ne s’en rendit pas bien compte, d’ailleurs. Il entendait comme le bruissement de quelque chose glissant sur le long de la malle à l’extérieur, puis un claquement sec.

Gauvin, d’ailleurs, s’éloignait, revenait auprès de son bureau et se penchait vers le tiroir dans lequel, quelques instants auparavant, Juve avait pris le papier appartenant à M me Rambert.

Un cri de rage retentit…

Gauvin venait de voir, au milieu du tiroir, l’enveloppe déchirée qui avait contenu les titres de sa cliente.

Il eut d’abord un recul de stupeur.

— Nom de Dieu de nom de Dieu ! jura-t-il ensuite, c’est moi qui suis volé !

Et, dès lors, il se laissait tomber dans un fauteuil ; il haletait.

Toutefois réagissant contre l’émotion, Gauvin bondissait à nouveau hors du siège dans lequel il s’était laissé choir. Il s’agenouillait devant le tiroir, il le vidait avec une hâte fébrile.

— C’est pas possible !… grognait-il, je me trompe… je suis fou…

Hélas, Gauvin devait reconnaître que les titres dont il voulait s’emparer avaient déjà trouvé preneur.

Gauvin devint très pâle.

Il se releva, croisa les bras, réfléchit un instant.

— Après tout, articula-t-il d’une voix sèche, je n’ai plus qu’une chose à faire, porter plainte, puisque je suis réellement volé, il va falloir qu’on trouve le voleur !

Il semblait que le visage du notaire s’éclaircissait soudain.

Il s’était demandé un instant à qui il fallait s’adresser, une idée germait dans son cerveau.

— Parbleu ! articulait-il presque joyeux, je sais comme tout Grenoble que Juve est au Modem Hôtel, qu’est-ce que j’attends pour aller le prévenir ?

Malgré tout Juve avait envie de rire au fond de sa malle.

— Allons, fit-il, c’est le moment ou jamais d’intervenir… et puisque Gauvin a besoin de moi…