Выбрать главу

Le policier faisait un mouvement brusque, convaincu qu’il n’avait qu’à se dresser pour soulever le couvercle de la malle, mais, à sa grande surprise, celui-ci résista.

L’osier cependant avait craqué, et Gauvin bondissait en arrière terrifié.

Son visage devint livide.

— Ah nom de Dieu ! balbutia-t-il.

Puis, avant que Juve ait le temps de dire un mot, le notaire épouvanté bondissait jusqu’à la porte de son cabinet, et Juve l’entendait fermer la serrure à double tour. Le policier, de nouveau, était seul dans la pièce, seul aussi au fond de la malle qu’en vain il cherchait à ouvrir, sans comprendre pourquoi le couvercle résistait.

Et, tout d’un coup, Juve se souvint que quelques instants auparavant Gauvin s’était approché de sa cachette. Juve avait entendu un léger bruissement, suivi d’un claquement sec, et tout d’un coup le policier comprit.

— Imbécile que je suis ! grommela-t-il, j’avais bien retiré la clé de la serrure pour qu’on ne ferme point la malle dans laquelle je me trouve, mais j’avais oublié les courroies et ce sont les courroies qu’a dû mettre Gauvin tout à l’heure… oh, bougre de bougre ! Me voilà désormais dans la plus ridicule des situations !…

Chapitre XXII

Enfin réunis !

Courant à perdre haleine, le jeune notaire Gauvin fonçait dans la nuit noire…

Les bureaux de l’étude qu’il possédait à Grenoble se trouvaient dans une maison isolée, au milieu d’un jardin, fort spacieuse, fort agréable à habiter, mais qui présentait l’inconvénient d’être quelque peu éloignée de la ville.

Elle se trouvait sur la large avenue plantée d’arbres qui mène en droite ligne de Grenoble au pont de Clais, avenue fréquentée pendant le jour, mais fort déserte le soir, dont l’obscurité s’aggrave du manque de réverbères, et de l’épaisseur des branches d’arbres qui forment, au-dessus de la route, une épaisse voûte de verdure.

C’était sur ce chemin que courait le notaire Gauvin.

Il allait sans chapeau, à perdre haleine, fuyant, avec une émotion indicible, son propre domicile.

La surprise qu’il venait d’éprouver était en effet véritablement extraordinaire. Et il l’avait ressentie avec d’autant plus de violence, que ses intentions, au moment où cette surprise s’était produite, étaient fort loin d’être pures.

Gauvin, en effet, ne méditait-il pas de s’enfuir à l’étranger avec les plis et les valeurs que certains de ses clients les plus fortunés lui avaient confiés en dépôt ?

Le jeune notaire avait calculé, en effet, que s’il emportait ce jour-là les valeurs dont il avait la garde, il était à peu près certain de partir avec deux millions au bas mot.

Cela avait déterminé sa décision, étant donné que par suite de sa conduite déréglée, le notaire Gauvin voyait péricliter sans cesse son étude.

Or, Gauvin avait tout préparé pour sa fuite, il avait réglé une indigne mise en scène, pour faire croire qu’il se donnait la mort, et laisser entendre qu’il venait d’être victime d’un vol audacieux, lorsque tout d’un coup, il s’était aperçu que ce vol qu’il imaginait, étant lui-même son propre voleur, quelqu’un d’autre l’avait commis en réalité !

Cette fois, Gauvin n’éprouvait plus le désir de faire croire qu’il s’était suicidé, et n’ayant pas d’argent il ne pouvait pas s’enfuir.

Au surplus, où serait-il allé sans la fortune qu’il convoitait ?

Dès lors, le premier mouvement de stupeur passé, Gauvin avait décidé de s’en aller tout simplement porter plainte à la police et de faire connaître le vol dont il était la victime.

Or, au moment précis où il prenait cette décision, Gauvin qui était alors dans son cabinet, avait entendu des bruits suspects, il en concluait aussitôt que le voleur n’avait pas encore quitté son domicile. Pris d’une terreur subite, en même temps que d’un vif espoir de s’en emparer, Gauvin était sorti de son bureau, fermant la porte à clé, et désormais, allait chercher du secours.

Les sergents de ville sont rares à Grenoble, cité paisible, bourgeoise, et Gauvin n’ignorait pas que le commissariat de police auquel il aurait dû s’adresser, se trouvait à l’autre bout de la ville.

Le notaire ne voulait pas s’y rendre, étant d’ailleurs à peu près convaincu que, si rapide que fût la police, elle n’arriverait pas assez tôt pour s’emparer du voleur.

Il valait donc mieux faire procéder à une enquête minutieuse et tâcher de découvrir le coupable par des procédés moins radicaux peut-être que ceux résultant de l’arrestation immédiate, mais plus techniques, plus scientifiques.

Et Gauvin avait songé tout de suite de s’adresser à Juve, dont il connaissait, par les journaux, la présence à Grenoble.

Au bout de dix minutes d’une course affolée, le notaire arrivait haletant au Modem Hôtel.

Sans se soucier de l’effarement qu’il causait au portier qui voyait soudain en face de lui cet homme sans chapeau, couvert de sueur et de poussière, Gauvin lui demanda :

— Le numéro de la chambre de Juve ?

— Le 132, articula le gardien.

Il allait ajouter quelque chose et prévenir Gauvin que ce monsieur n’était pas dans sa chambre, mais le notaire avait déjà bondi dans l’ascenseur !

Au groom chargé de la manœuvre, il donnait le numéro de la chambre de Juve, et l’ascenseur le hissait en quelques secondes jusqu’au quatrième étage.

Un tableau de numéros de chambre, placé sur le palier, bien en évidence, indiquait à Gauvin de quel côté se trouvait le 132.

C’était, tout à l’extrémité d’un couloir, une pièce assez vaste occupant l’angle du bâtiment.

— Si Juve n’est pas là, pensait Gauvin, je l’attendrai jusqu’à ce qu’il revienne.

Le notaire, entendant un bruit de voix dans le voisinage, appela le valet de chambre dans le but de se faire annoncer.

Le bruit de voix continua, augmentant sans cesse d’ailleurs, mais personne ne répondit à l’appel de Gauvin, qui alla frapper à la porte de Juve et n’obtint point de réponse.

Gauvin revint sur ses pas.

On parlait dans la chambre voisine au 134, et instinctivement, le notaire prêta l’oreille, stupéfait par les propos qu’il entendait échanger.

Il regarda par la fente de la porte entrebâillée et aperçut deux hommes l’un en face de l’autre qui s’apostrophaient.

L’un d’eux était le garçon de l’étage et ce domestique opposait de violentes dénégations à un homme vêtu d’une robe noire que Gauvin reconnaissait être un religieux.

Or, ce religieux, d’une voix pressante, articulait, s’adressant au garçon d’hôtel :

— Alors, comme ça, mon ami, tu t’appelles Sulpice ? C’est très bien, tout le monde ne s’appelle pas Sulpice ; c’est un beau nom confit dans la dévotion. Saint Sulpice, je ne connais que ça… Eh bien, puisque tu t’appelles Sulpice, tu vas me rendre un service…

— Ma foi, monsieur l’abbé, répliquait le valet de chambre, je ne demande pas mieux, que s’agit-il donc de faire ?

L’homme en robe noire protestait, grommelait entre ses dents :

— Sacré nom d’un chien, je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler M. l’abbé. Je ne le suis pas, que diable !

— En tout cas, repartait le garçon, vous en avez l’apparence !

— Pas du tout, pas du tout !… hurla son interlocuteur, et c’est justement ce qui m’assomme. D’ailleurs, cela ne te regarde pas, que je sois ou non un abbé ; voilà un billet de cinquante francs, avec lequel, mon ami Sulpice, tu vas descendre jusqu’au premier magasin de nouveautés et m’acheter un costume civil. Civil… entends-tu bien ? Une veste, un gilet, une culotte… Je ne veux plus porter la robe…

Sulpice semblait hésiter.

— À cette heure-ci, les tailleurs sont fermés…

Son interlocuteur insistait.

— Fais-les ouvrir, débrouille-toi !

— Pourquoi n’y allez-vous pas vous-même ?

— Si on te le demande, tu répondras que tu n’en sais rien. En tout cas, l’essentiel c’est que tu fasses ma commission.

Il était évident que la proposition que faisait au garçon d’hôtel son étrange voyageur ne le satisfaisait pas outre mesure.