— Alors, articula Fandor, je suppose que votre voleur doit être loin désormais !
— Je ne le crois pas, rétorqua Gauvin. En m’en allant, j’ai fermé la porte à clef.
— Mais il restait la fenêtre ! fit Fandor.
Cette observation parut stupéfier Gauvin. Il écarta les bras d’un air de résignation désespérée.
— Ça, c’est vrai, fit-il, je n’y avais pas pensé !
Le journaliste le regardait du coin de l’œil.
— Drôle de mentalité ! se dit-il. Voilà un gaillard qui, non seulement se sauve lorsqu’il entend du bruit chez lui, mais qui ne pense même pas à surveiller les abords de son domicile, alors qu’il sait que le voleur dont il vient d’être victime ne doit pas encore en être sorti ! On dirait qu’il est satisfait d’avoir été volé !…
Fandor ne croyait pas raisonner si juste.
En réalité, Gauvin aurait mieux aimé faire le vol lui-même, mais du moment qu’il n’avait pas pu le réussir, il se consolait avec le vieux proverbe : « À quelque chose, malheur est bon ».
Gauvin se disait en effet que, du moment qu’il était volé, il allait pouvoir tirer parti de cette fâcheuse aventure pour s’innocenter aux yeux de ses clients de la mauvaise façon, à la fois maladroite et frauduleuse, dont il défendait leurs intérêts.
De même que les incendies sont parfois une bonne solution pour les gens qui font de mauvaises affaires, de même ce vol venait à point nommé pour permettre à Gauvin une liquidation des opérations de son étude, lesquelles étaient aussi compliquées qu’irrégulières.
Fandor cependant reprenait :
— Plus le temps passe, et moins vous avez de chance de rattraper votre voleur. Puisque Juve n’est pas là, voulez-vous que nous allions jusqu’à votre domicile ?
— Ma foi, répliqua le notaire, je ne demande pas mieux, monsieur Fandor ; j’avais peur tout seul, certainement, mais avec vous, je ne crains rien…
Le journaliste, dès lors, sans souci du costume qu’il portait, se levait, quittait la chambre, s’engageait sur le palier.
Gauvin le suivait à quelques pas. Alors qu’ils s’approchaient du haut de l’escalier et allaient descendre, les deux hommes entendirent Sulpice qui s’entretenait à l’étage inférieur avec deux autres personnages.
Fandor se pencha sur la rampe de l’escalier, et vit que le trio se composait d’une part, de Sulpice, de l’autre, de deux sergents de ville.
Or, le domestique disait aux gardiens de la paix :
— Vous comprenez bien, messieurs, que je ne suis pas si bête que j’en ai l’air. En causant avec cet individu, je me suis rendu compte que j’avais affaire à un bandit… Tout d’abord, ce prêtre qui voulait s’habiller en civil, ça ne me disait rien. Ensuite, il m’a fait cadeau de cinquante francs, ce qui est encore moins naturel… Il m’a menacé de m’assassiner, et dès lors, j’ai vu clair. Il a prétendu s’appeler Jérôme Fandor ; j’ai fait semblant de le croire afin de pouvoir m’éclipser et aller chercher Juve qu’il avait l’audace de me demander… Nous voilà maintenant dans la maison, le gaillard occupe la chambre 134, faites votre devoir !
L’un des deux sergents de ville articula, s’adressant à son compagnon :
— Je crois que notre devoir est tout indiqué, et que nous sommes sur la bonne piste. Ce matin, monsieur le commissaire, au rapport, nous a lu une dépêche de Paris, prescrivant l’arrestation d’un individu qui porte une robe de prêtre, sous laquelle il n’a que son caleçon et sa chemise. Cet homme est un voleur qui s’est emparé de ce vêtement dans lequel se trouvait un porte-monnaie contenant cent cinquante francs. Ordre de l’autorité parisienne : procéder à son arrestation !
Fandor, penché par-dessus la rampe de l’escalier, entendait ces propos.
Il éclata de rire.
— Elle est bien bonne ! fit-il. Voilà maintenant que j’ai tous les roussins de France à mes trousses. Bah ! peu importe, on s’expliquera quand on aura le temps !
Le journaliste faisait volte-face, il se buta contre Gauvin. Leurs deux fronts se heurtèrent.
— Décidément, grogna Fandor, nous sommes faits pour nous rencontrer dans la vie, mais franchement nous y mettons un peu trop de brutalité l’un et l’autre ! Enfin, ça n’a pas d’importance, les bosses au front, ça se guérit tout seul…
Le journaliste entraînait Gauvin vers l’extrémité du couloir.
— Nous ne descendons donc pas ? interrogea le notaire.
— Si ! Comment donc ! déclara Fandor.
— Mais nous tournons le dos à l’escalier, observa Gauvin.
Fandor, qui désormais se trouvait avec son compagnon à l’extrémité du couloir, près d’une fenêtre ouverte, donnant sur une cour obscure de l’intérieur de l’hôtel, mit un doigt sur ses lèvres et lui dit :
— Ah ! voilà ! vous savez, mon cher Gauvin, les choses les plus simples ne sont pas toujours les meilleures… Tel que je vous connais, vous seriez descendu par l’escalier !
— Naturellement, fit le notaire abasourdi.
Fandor feignait de s’indigner.
— C’est ça, comme un bourgeois ! Les escaliers, mais c’est trop facile ! Moi je vous préviens d’une chose, c’est que je viens de prendre un long repos involontaire ; oui, mon cher, j’étais figurant à la morgue, mais je vous expliquerai cela plus tard. Alors, j’estime que j’ai besoin de prendre du mouvement, de faire des exercices physiques, et puis, en même temps, je suis très peureux. Supposez qu’il y ait le feu à l’hôtel et que le cœur de la fournaise soit dans la cage de l’escalier ; nous sommes ici au quatrième, comment descendrions-nous ?
Gauvin considérait Fandor avec des yeux ahuris, se demandant si le journaliste n’était pas subitement devenu fou.
Il répondit néanmoins :
— Il doit y avoir une échelle de fer à l’extérieur de la maison.
— Très bien raisonné, dit Fandor, qui se penchait vers la fenêtre en même temps qu’il attirait Gauvin à côté de lui.
Le journaliste poursuivit :
— Tenez, la voilà, cette échelle ! eh bien, mon ami, nous allons l’expérimenter. En route !
Dès lors, Fandor, enjambant la fenêtre, s’accrochait à l’échelle de fer qui allait du bas jusqu’en haut du mur, et commença à descendre quelques échelons.
— Venez ! dit-il à Gauvin.
Mais le notaire secouait la tête.
— Non, non, j’aime mieux l’escalier !
Et il allait rebrousser chemin, mais il s’arrêta net : Fandor braquait sur lui un revolver.
— Si dans trois secondes vous n’avez pas enjambé cette fenêtre, si dans quatre secondes vous n’êtes pas au-dessus de moi, accroché à cette échelle de fer, et si, dans le délai d’une minute, vous n’êtes pas descendu jusqu’en bas, aussi vrai que je m’appelle Jérôme Fandor et que je porte une soutane de prêtre, je vous fais sauter la cervelle !
Gauvin devint livide.
— Il est complètement fou ! pensa-t-il.
Mais il n’osait désobéir, et Fandor, quelques instants après, s’applaudissait de sa menace, car il était au bas de l’échelle en compagnie du notaire, et tous deux, par une porte écartée, quittaient les communs de l’hôtel et se retrouvaient dans la rue.
— Une automobile ! cria Fandor, où en trouve-t-on ?
— Sur la place à côté, répondit Gauvin.
Les deux jeunes gens y couraient, prenaient un taxi-auto. Gauvin donnait l’adresse de son domicile ; huit minutes après le journaliste et le notaire se trouvaient à l’entrée du petit jardinet, au milieu duquel s’élevait le domicile du tabellion.
Fandor, dès lors, avait complètement perdu son entrain railleur et son ton de persiflage.
Un pli barrait son front, il avait la main crispée sur la crosse de son revolver.
— Assez blagué, murmura-t-il entre ses dents. Ouvrons l’œil maintenant !
Et à voix basse, il interrogeait Gauvin :
— Décrivez-moi rapidement la disposition de votre maison. De quel côté donne la fenêtre de votre cabinet de travail ?
— La fenêtre de mon cabinet de travail, articula Gauvin, mais c’est cette fenêtre qui se trouve juste en face de vous.
— En êtes-vous bien sûr ? demanda le journaliste.
Gauvin devenait de plus en plus interloqué.
— Mais naturellement, oui, pourquoi cette question ?
— Parce que, déclara Fandor, cette fenêtre est intacte, et il apparaît que personne ne l’a ouverte de l’intérieur de votre bureau.