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Un point cependant demeurait obscur dans le récit de Juve. Était-ce à dessein qu’il l’avait laissé dans l’obscurité ?

Fandor le lui demanda :

— Cette M me Verdon, interrogeait le journaliste, qui me semble être une si grande et si noble figure, quel est son nom, sa véritable personnalité ?

La lune se levait à ce moment. Ses rayons argentés pénétrèrent dans l’intérieur du cabinet par les interstices des persiennes closes de la fenêtre.

Fandor alors pu considérer le visage de Juve et s’aperçut qu’il était très troublé, qu’il exprimait une émotion intense, et que, malgré ses efforts pour lutter contre cette émotion, les yeux de Juve se remplissaient de larmes.

— Qu’avez-vous donc ? demanda le journaliste.

Pour toute réponse, Juve se leva, et s’approchant de Fandor il l’attira sur sa poitrine, le serra longuement sur son cœur.

— Fandor, mon ami, fit-il d’une voix qu’entrecoupait l’émotion, c’est un grand bonheur que je vais t’apprendre ; Fandor, il est au monde une femme que depuis quinze années que nous vivons ensemble tu n’as jamais oubliée, et à laquelle tu ne peux songer sans une touchante et respectueuse émotion… Une pudeur délicate et compréhensible fait que tu ne prononces jamais son nom devant personne, mais moi qui te connais, je sais que tu ne l’as point oubliée et que sans cesse tu penses à elle, et que tu l’aimes comme au premier jour…

Fandor se sentait blêmir à ces paroles.

— Juve… Juve… balbutia-t-il, on dirait que vous me parlez de…

Et dès lors, dans un grand cri, Juve hurlait :

— De ta mère, Fandor ! oui, c’est de ta mère que je te parle… ta mère qui existe, qui est vivante ; ta mère, Fandor, qui n’est autre que la noble et digne femme qui, depuis plus de dix ans qu’elle s’est échappée de l’odieuse prison dans laquelle Fantômas l’avait enfermée, vit ici à quelques pas de Grenoble, au village de Domène, sous le nom de M me Verdon. Fandor… Fandor… J’ai retrouvé ta mère, demain tu seras dans ses bras !

Chapitre XXIII

L’honnêteté d’un notaire

Pour la seconde fois de la soirée le notaire Gauvin quittait son étude en courant…

Cette fois, il n’avait plus peur pour son existence, mais peut-être était-il encore plus affolé que lorsqu’il s’était sauvé la première fois, redoutant une agression soudaine de malfaiteurs.

Gauvin n’était plus abasourdi, il était atterré ; il avait l’impression d’être suspendu sur un abîme, et la sensation qu’il allait y choir irrémédiablement…

Mais le notaire, néanmoins, avait l’énergie du désespoir, et l’épouvante que lui causait l’éventualité d’une porte de prison se refermant sur lui ranimait son audace, lui donnait tous les courages.

Gauvin s’enfonçait dans la nuit en courant.

De même qu’il avait fui lorsqu’il avait entendu des bruits suspects dans son cabinet et qu’il avait constaté que quelqu’un qu’il croyait être un malfaiteur l’avait volé, de même il fuyait ; mais, cette fois, il savait la vérité et comprenait ce qui s’était passé.

Cette vérité, il venait de la découvrir en l’espace de quelques secondes ; le double cri poussé par l’homme enfermé dans la malle auquel Fandor avait répondu : « Juve, Juve, c’est vous ?… » avait été une révélation pour le notaire.

De malfaiteurs, il n’y avait plus de trace, mais Gauvin comprenait que l’homme qui s’était dissimulé dans la malle c’était le policier.

Pourquoi Juve s’était-il introduit de la sorte, subrepticement et en cachette, dans le cabinet de Gauvin ? C’est ce que celui-ci, au premier abord, ne parvenait pas à s’expliquer ; mais après y avoir réfléchi quelques instants, il finissait par formuler une hypothèse :

— Juve me soupçonnait, se disait-il, d’avoir l’intention de m’enfuir avec l’argent de mes clients. Juve devine tout, sait tout ; Juve avait lu dans ma pensée… Peut-être était-il au courant du billet de voyage que je me suis procuré ; toujours est-il qu’il a surpris mes agissements… Et j’ai été volé au préalable !… Non, cela n’est pas vraisemblable. C’est assurément Juve qui, dans mon tiroir, a pris les titres de rente que je voulais emporter, ceux notamment de M me Verdon, afin que je ne puisse pas en disposer !

Gauvin formulait cette hypothèse cependant qu’il courait toujours dans la nuit sombre ; en réalité, il ne faisait qu’exprimer là, de façon nette et précise, ce qu’il avait pensé quelques instants auparavant lorsqu’il apprit par le cri de Fandor la présence de Juve à l’intérieur de la malle.

Gauvin s’était rendu compte, en effet, que certainement le policier, qui était aux écoutes depuis longtemps, avait dû comprendre très nettement les intentions du notaire.

Juve savait, sans aucun doute, que Gauvin préparait sa fuite ; c’était pour cela qu’il était intervenu, et c’était cette conviction qui déterminait désormais Gauvin à s’enfuir.

— Si j’étais resté là, se disait-il, tandis qu’il courait toujours, si j’avais attendu une minute de plus à mon domicile, en présence de Juve et de Fandor, je suis bien convaincu qu’ils m’auraient arrêté. Mais que faire désormais ? Si je reste à Grenoble, je suis pris… C’est l’affaire de quelques jours, de quelques heures. Puis-je pourtant m’en aller ? Je n’ai pas un sou…

Gauvin désormais ralentissait sa marche.

Il longeait une rangée d’arbres, et, au lointain, on voyait scintiller les premières lumières annonçant la proximité des faubourgs de Grenoble.

Le jeune notaire était dans un état de rage inexprimable ; il était furieux contre lui-même de n’avoir point réussi ce qu’il méditait et de s’être, en outre, compromis irrémédiablement.

Gauvin, à ce moment, était mûr pour le crime.

Si quelqu’un était passé par là, le notaire se serait certainement précipité sur lui, lui aurait arraché par la force son porte-monnaie, son argent…

Gauvin, en effet, était dans un état d’exaspération qui l’aurait rendu capable de tout, si les circonstances s’y étaient prêtées.

Mais, heureusement, il ne passait personne, et Gauvin ne rencontra pas âme qui vive avant les faubourgs de Grenoble.

Lorsqu’il parvint aux premières maisons de la ville, sa course affolée, et sa marche rapide ensuite, l’avaient calmé dans une certaine mesure.

Il envisagea désormais la situation dans laquelle il se trouvait avec un peu plus de tranquillité.

Que faire ? se demandait-il. Où aller ?

Au lointain, déchirant le silence qui régnait alentour, retentit un coup de sifflet rauque et strident.

— Une locomotive… pensa Gauvin, le train !

Et, dès lors, le jeune homme, machinalement, obliquait à gauche ; il venait de prendre une décision.

Gauvin se souvenait, en effet, que s’il n’avait plus d’argent il possédait tout au moins ce fameux billet de voyage qui devait lui permettre de s’enfuir et de partir pour l’Amérique du Sud.

En réalité, son billet était toujours valable, rien ne l’empêchait de s’en aller.

— Oui, se dit Gauvin, c’est là l’unique solution qui me reste : il faut que je parte pour Paris, c’est à Paris que l’on se cache, c’est à Paris que l’on peut se procurer de l’argent par les moyens les plus variés ; c’est à Paris que j’irai… On verra ensuite… S’il faut partir pour Londres, n’ai-je point mon billet !

Comme le notaire arrivait à la gare, il vit la pendule éclairée et poussa un soupir de satisfaction :

— Dans vingt minutes, constata-t-il, passe l’express de Lyon qui me mettra demain matin à Paris.

Relevant le col de son pardessus, il s’avançait dans la salle d’attente, se dissimulant derrière le poêle qui occupait le milieu de la pièce.

Il y avait, dans la salle d’attente des premières classes, d’antiques et confortables fauteuils en velours vert, Gauvin s’effondra dans l’un d’eux et abaissa sur son nez le chapeau mou qui le coiffait.

Mais, à peine était-il installé qu’une main effleura son épaule.

Le notaire bondit comme s’il avait reçu une décharge électrique.

— Mon Dieu, s’écria-t-il, qui va là ? Que me veut-on ?