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Et instinctivement, il avait mis la main à sa poche, serrant fébrilement les doigts sur le manche de son couteau.

Mais un éclat de rire lui répondait, et en face de lui, Gauvin aperçut une jeune femme tout emmitouflée d’écharpes et de voilettes. Elle portait un grand sac de cuir et un étui contenant trois ou quatre parapluies.

— Ah ! monsieur Gauvin, quelle bonne chance de vous rencontrer ! articulait la personne.

Gauvin, très troublé jusqu’alors, ne l’avait pas reconnue et désormais, la lumière se faisait dans son esprit.

— Madame Birot ! s’écria-t-il.

Et le notaire reconnaissait en effet l’épouse du greffier du tribunal civil de Grenoble.

M me Birot était une petite femme aimable, vive, alerte ; on l’appelait à Grenoble la « Gazette », car, curieuse et bavarde, elle était sans cesse au courant de tout, et renseignait les gens les uns sur les autres, avec une abondance de détails et une précision minutieuse, qui faisait qu’elle était aussi documentée que la police tout entière et même les journalistes de la localité.

— Sapristi ! pensa Gauvin, je ne pouvais pas plus mal tomber ! Dans cinq minutes, tous les gens qui sont à la gare vont savoir que je suis là…

La Gazette, au surplus, commençait en minaudant ses interrogations.

— Quel plaisir, monsieur Gauvin, de vous rencontrer ! Vous partez donc en voyage ? En tout cas, je suppose que vous ne devez pas aller loin, puisque vous n’avez aucun bagage avec vous. Cependant, vous avez un billet de première…

— Comment savez-vous cela ? interrogea Gauvin abasourdi.

— Oh, c’est bien simple ! rétorqua la Gazette. Vous êtes dans la salle d’attente des premières classes. Or, l’employé qui est au contrôle est très strict à ce point de vue. Et quelqu’un qui n’aurait pas un billet de première n’entrerait pas dans la salle d’attente des premières. Vous allez peut-être à Lyon, monsieur Gauvin ? Je l’espère, d’ailleurs, car je vais également dans cette direction. De la sorte, nous pourrons faire route ensemble…

Gauvin n’avait pas encore eu le temps de répondre que M me Birot passait sur le quai de la gare et, avisant un contrôleur, lui recommandait, criant à tue-tête, au point que quelques voyageurs se retournaient :

— Dites donc, cher monsieur, je prends l’express de Lyon dans dix minutes. Quand il arrivera en gare, soyez assez aimable pour retenir deux bonnes places. Nous sommes deux. Il y a moi, d’abord ; vous me retiendrez un coin en avant, car je ne peux pas supporter d’aller en arrière, et il y a M. Gauvin, le notaire… Vous savez bien, M. Gauvin, qui part également, et avec lequel je voyage.

M me Birot revenait dans la salle d’attente.

Par-dessus la petite barrière qui séparait l’enclos des premières et des secondes, M me Birot aperçut l’un des facteurs de la gare qui venait enregistrer sa malle.

Elle l’appela pour lui donner un pourboire, puis, en même temps, recommandait à l’homme :

— Vous quittez votre service dans une demi-heure, n’est-ce pas ? Je sais que vous habitez tout à côté de chez nous, ayez donc l’obligeance, quand vous vous en retournerez, de passer chez mon mari et de lui dire qu’il ne s’inquiète pas. Je voyage ce soir avec M. Gauvin, le notaire, qui s’en va à Lyon ou à Paris !

M me Birot se tournait alors du côté de Gauvin.

— Au fait, interrogea-t-elle, où donc allez-vous, à Lyon ou à Paris ?

Mais elle se retournait stupéfaite et demeurait bouche bée…

Gauvin avait disparu.

Pendant les bavardages de la jeune femme, le notaire, en effet, s’était éclipsé.

— Tomber sur la Gazette, s’était-il dit, c’est pis que tomber sur la police tout entière !

Et Gauvin, en effet, s’était rendu compte dans l’espace de quelques instants, que tous les gens de la gare étaient au courant de son départ ; il avait entendu les premières paroles échangées avec le facteur des bagages, il savait que d’ici vingt-cinq minutes on saurait à Grenoble qu’il était dans le train se dirigeant vers Lyon, puis vers Paris.

Dès lors, rien ne serait plus facile que de l’arrêter en cours de voyage.

Et Gauvin, profitant d’un moment d’inattention de son interlocutrice, avait quitté la gare au moment où l’express de Paris y entrait, au milieu d’un fracas formidable.

— Dire, grondait Gauvin en serrant ses poings, que je ne peux même pas fuir ! Au moins, pensait-il, je me cacherai à Grenoble, je me dissimulerai sous un faux nom.

Il s’avançait de quelques pas dans l’avenue de la Gare, se heurtait soudain à un groupe de jeunes gens.

Instinctivement, le notaire s’effaçait pour les laisser passer, mais, décidément, il jouait de malchance, quelqu’un l’interpella.

— Ah, par exemple ! C’est vous mon cher maître ? Eh bien, véritablement, vous tombez à pic ! Nous cherchions un quatrième pour jouer au bridge et le voilà trouvé puisque nous vous rencontrons…

Gauvin s’arrêta tout blême.

Le personnage qui s’adressait à lui n’était autre que le substitut du procureur de la République, qu’accompagnait un avocat et un juge, de la cour de Grenoble.

Tous les trois souriaient aimablement au notaire.

Le substitut le prenait par le bras.

— Venez, lui dit-il, nous allons au café. Ah ! par exemple ! Quelle bonne chance que de vous avoir rencontré !

D’une voix sourde, Gauvin balbutia :

— Non, merci mes amis, il m’est absolument impossible, absolument, de me joindre à vous ce soir !

Le substitut, amicalement, lui frappait sur l’épaule.

— Quelle bonne blague ! fit-il, ce Gauvin n’en a jamais d’autres !

Puis, s’adressant à l’avocat et au juge, le substitut jovial disait :

— Messieurs, au nom de la loi, je requiers l’arrestation du citoyen Gauvin, et vous monsieur le juge, je vous demande de le condamner à venir faire immédiatement la manille avec nous sans que ce jugement soit susceptible d’appel !

Les trois jeunes gens éclataient de rire, mais après cette joyeuse explosion de gaieté, ils s’arrêtaient net, stupéfaits.

Gauvin était devenu livide, et même il semblait si souffrant, que, chancelant, il devait s’appuyait le long d’un mur.

— Ah ça ! mais… s’écria le substitut du procureur, il est malade, il va s’évanouir !

Gauvin, cependant, réagissait, faisait un suprême effort pour ne point tomber.

Il reprit de sa voix sourde et rauque.

— Non, non, je n’ai rien… un malaise…

Ses amis, toutefois, s’inquiétaient pour lui.

— S’il est malade, il faut le ramener chez lui !

Et déjà ils s’emparaient de Gauvin, le soutenaient ; le notaire s’arracha au groupe trop aimable.

— Laissez-moi, laissez-moi ! hurla-t-il, et dès lors retrouvant son énergie pour fuir, il détalait de toute la vitesse de ses jambes.

Les trois jeunes gens se regardaient stupéfaits.

— Qu’est-ce que cela signifie ? se disaient-ils. Il semble à moitié fou…

C’était le substitut qui venait d’émettre cette opinion.

Le juge hocha la tête.

— Moi, je le crois très malade, ou alors peut-être a-t-il bu…

Interloqués, les trois jeunes gens continuaient leur route, quant à Gauvin, qui avait tourné la première rue, il était désormais hors de vue…

Le malheureux notaire se trouvait maintenant à l’entrée d’une petite place complètement déserte. Il s’était tapi dans un angle obscur, entre deux maisons, et dès lors tout son corps frissonnait !

Quelle abominable plaisanterie venait de faire le substitut !… Gauvin avait failli s’évanouir d’effroi en entendant le magistrat proférer en riant :

— Au nom de la loi, je vous arrête…

Et, en effet, Gauvin songeait que, dans quelques jours, le lendemain peut-être, ce même substitut du procureur prononcerait les mêmes paroles à son égard, mais alors sans ironie et pour de bon…

C’est pourquoi Gauvin avait voulu fuir, terrifié à l’idée que, peut-être, cette plaisanterie toute fortuite, était pour lui comme un avertissement.

Il était environ neuf heures du soir, et machinalement Gauvin, qui errait dans les rues, cherchant les voies les plus désertes, était arrivé au point de départ des tramways électriques qui font le service entre Grenoble et Domène.