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Gauvin, depuis quelques instants déjà, nourrissait un projet.

Ses pas instinctivement l’avaient conduit dans la direction du véhicule public allant de Domène, c’est-à-dire à la bourgade où se trouvait l’habitation de sa cliente, M me Verdon.

Gauvin fouillait sa poche, il y trouvait encore quelque menue monnaie.

Il avait de quoi prendre le tramway, il sauta dans le véhicule au moment où celui-ci démarrait.

Qu’allait donc faire Gauvin à Domène ?

— Comment vous sentez-vous, ma chère amie ?

D’une voix toute brisée d’émotion, une vieille dame aux cheveux blancs, qui reposait étendue dans une bergère, articula d’une voix dolente :

— Mieux, mon bon ami, merci, je suis encore bien faible…

La voix de l’interlocuteur reprenait :

— Il faut monter vous coucher et prendre du repos.

— Hélas ! hélas ! reprenait la vieille dame, pourrai-je avoir jamais un sommeil paisible, tant que je n’aurai pas retrouvé mon enfant chéri, que je ne saurai ce qu’il est devenu, celui qui s’est fait un nom célèbre, honorable et glorieux, sous le pseudonyme de Jérôme Fandor.

La personne qui parlait ainsi n’était autre que M me Verdon, ou, pour mieux dire, que M me Rambert, pour laquelle Fantômas, dans l’après-midi précédente, s’était fait passer pour son mari défunt Étienne Rambert.

— Il faut, pensa Fantômas, que je la rassure.

— Notre enfant, déclara-t-il, ne court point de danger. En même temps que je descendais dîner, tout à l’heure, j’ai fait le nécessaire auprès des misérables qui détiennent notre enfant et qui exigent une rançon pour lui rendre sa liberté. Vous pouvez dormir tranquille ; il ne sera pas touché à un seul cheveu de la tête de Fandor, jusqu’à ce que je sois intervenu.

Fantômas s’arrêtait brusquement : un coup sec venait d’être frappé à la porte.

Le domestique, que l’on autorisait à entrer annonçait :

— M e  Gauvin !

Ce nom produisait sur les deux personnes devant lesquelles il était prononcé une impression bien différente.

Soudain le visage de M me Rambert s’était rasséréné.

— Ah ! fit-elle, en jetant un regard affectueux à Fantômas, je comprends maintenant ce que vous avait fait tout à l’heure ; vous avez fait prévenir le notaire de venir ici d’urgence, pour nous apporter mon argent pour que vous puissiez courir et libérer Fandor.

— Effectivement, déclara Fantômas, qui ne voulait point contrarier la vieille dame, mais que gênait considérablement l’arrivée inopinée du notaire.

— Que peut-il bien vouloir ? pensait-il, et que peut bien venir faire cet homme à une heure pareille chez M me Verdon ?

La mère de Fandor, malgré sa fatigue et sa faiblesse, se soulevait de son fauteuil pour répondre au domestique :

— Il va falloir faire monter M e  Gauvin.

Fantômas sursauta :

— Non, non ! cria-t-il.

Puis, trouvant sans doute que sa protestation était trop violente, il reprit sur un ton aimable et doucereux :

— Croyez-moi, chère amie, n’en faites rien. Vous êtes bien trop souffrante et fatiguée ; restez dans votre chambre, tandis que je vais aller moi-même trouver le notaire et m’entendre avec lui. Il s’agit sans doute de quelque formalité, de signature à donner, en échange de l’argent qu’il me remettra, et puisque vous m’avez donné plein pouvoir cet après-midi, il est bien juste que je vous débarrasse du souci de la gestion de votre fortune.

M me Rambert, qui avait essayé de se soulever, retombait épuisée dans son fauteuil.

— Mon bon ami, fit-elle, j’accepte volontiers votre proposition. Comme vous le dites ces émotions m’ont brisée, et il est raisonnable que je prenne un peu de repos. Je sens que demain je serai forte et vaillante. Au surplus, le ciel ne voudrait pas que je sois malade, lorsque mon fils me reviendra, pour que je puisse le serrer dans mes bras, l’étreindre sur ma poitrine…

Le regard de la vieille dame s’illuminait à cette idée, un sourire extasié erra sur ses lèvres tremblantes…

Fantômas, cependant, venait de quitter la pièce dans laquelle il se tenait avec M me Rambert.

Sur le palier de l’escalier, avant de descendre rejoindre le visiteur, il attira par le bras le domestique :

— Eh bien ? dit Fantômas. Qu’est-ce que c’est encore que ce notaire ? Sais-tu ce qu’il nous veut ?

— Non, patron. Il a demandé simplement après M me Verdon. Il doit venir raconter quelque chose de grave, car il a l’air plutôt retourné !

— Le Bedeau, articula Fantômas, ouvre l’œil et le bon ! Tiens-toi aux écoutes, prêt à agir s’il le faut. Je ne sais pas du tout ce que va dire ce notaire, mais il faut qu’en tout cas nous réussissions. Compris, pas vrai ?…

— Compris, patron.

Fantômas, désormais, descendait l’escalier ; le serviteur qu’il avait appelé le Bedeau se trouvait à quelques pas derrière.

Le Bedeau ?

Cette sinistre figure d’apache, cette silhouette tragique de criminel, on la retrouvait encore, comme toujours, dans le sillage de Fantômas, sans cesse à la dévotion du bandit.

Fantômas prenait toujours ses précautions.

Et du jour où il avait décidé d’établir provisoirement son quartier général chez M me Rambert, dont il avait découvert l’identité, il avait du même coup fait venir quelques-uns de ses complices, qu’il s’arrangeait aussitôt pour faire embaucher dans la maison.

C’est ainsi que, depuis quarante-huit heures, le Bedeau tenait chez M me Rambert l’emploi de domestique !

Fantômas, cependant, descendait ; il entra dans le salon où attendait Gauvin.

Le jeune homme parut stupéfait de voir s’avancer vers lui un vieillard à la longue barbe blanche, dont il ne soupçonnait pas l’existence à Domène, et qu’il ignorait encore plus habiter chez M me Verdon.

Gauvin, qui arrivait, l’âme bourrelée, l’esprit en désordre, qui haletait encore d’émotion et de terreur, ne savait que dire à cet inconnu.

Il s’inclina cependant devant lui, le saluant avec le respect que doit à tout vieillard un jeune homme.

Fantômas le regardait avec curiosité ; il retrouvait en effet, après quelques années, le fils de l’une de ses victimes, le petit Gauvin qu’il avait jadis connu, et dont l’amour pour l’infortunée M me Ricard avait failli contrecarrer un moment les sinistres projets du Génie du crime.

— Maître Gauvin, je crois ? interrogea Fantômas, affectant de prendre une voix tremblotante et cassée.

— C’est moi, en effet, monsieur, déclara le jeune homme, s’efforçant de paraître calme et de dissimuler son émotion.

— Vous attendez M me Verdon ? demanda encore Fantômas.

— Oui, monsieur, fit simplement le notaire.

Il y eut un silence ; les deux hommes s’observaient. Fantômas reprit :

— M me Verdon est très souffrante en ce moment, et me charge de l’excuser auprès de vous, monsieur. Elle est dans l’impossibilité de vous recevoir.

Gauvin tressaillit, un pli barra son front.

Ces propos semblaient le désespérer, il reprit cependant les dents serrées, la voix rauque :

— Il faudrait cependant que je puisse la voir, monsieur ; ce que j’ai à lui dire est d’une importance considérable, et ne permet pas que l’on attende un instant.

— C’est donc bien grave, monsieur ?

— Très grave, oui, monsieur.

Fantômas un instant hésitait.

Brusquement sa résolution fut prise.

Il sortit de sa poche les documents qu’avaient signés M me Verdon, quelques instants auparavant. Il les montrait au notaire.

— Veuillez parler, dit-il, monsieur, vous voyez que je suis autorisé par M me Verdon à me substituer à elle.

Gauvin, assez étonné de cette déclaration, prenait connaissance du document écrit par la vieille dame :