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Je soussignée donne plein pouvoir, en tout ce qui concerne la gestion de ma fortune, à M. Étienne Rambert, porteur de ce document, que je signe de mon plein gré…

Gauvin s’arrêtait de lire, et ses yeux se fixèrent dans le regard de Fantômas.

Toutefois, il n’articulait pas une parole.

— Eh bien ? interrogea le bandit, j’imagine qu’après cela vous pouvez parler ?

Gauvin était très pâle, il passa sa main sur son front comme s’il s’arrachait d’un rêve, et, sans répondre à la question qui lui était posée, il demanda :

— Vous êtes M. Étienne Rambert ?

— Oui, monsieur, fit audacieusement Fantômas.

Mais alors ce fut au tour du bandit de tressaillir.

Le jeune homme en effet hochait la tête, et posément il articula :

— Non, monsieur !

— Plaît-il ? grogna Fantômas.

— Je dis, répéta Gauvin, que vous n’êtes pas M. Étienne Rambert !

— Pourquoi cela, je vous prie ?

Gauvin avait reculé de deux pas, comme s’il était pris soudain d’une crainte subite, puis il articula presque malgré lui comme s’il lui était impossible de ne pas dire ce qu’il pensait :

— Parce que M. Étienne Rambert est mort il y a déjà de cela plus d’un mois !

— Ah ! misérable ! hurla une voix.

C’était Fantômas dont la colère éclatait.

Le bandit n’avait pas songé que peut-être le notaire Gauvin était au courant de la mort en effet survenue à Amsterdam, du malheureux M. Étienne Rambert.

Fantômas, en entendant Gauvin, apprenait désormais que celui-ci était au courant.

Oh parbleu ! Fantômas était un imbécile de ne pas l’avoir deviné plus tôt. Il se le disait désormais et se le reprochait.

Fantômas, en effet, n’était pas sans savoir que, au sujet du cadavre de Daniel, Juve avait eu de longs entretiens avec le notaire. C’était certainement au cours de ces entretiens que Gauvin avait appris la mort de M. Étienne Rambert.

— Allons ! allons ! se dit Fantômas, il est inutile de continuer à dissimuler, et au surplus j’aime autant cela !

Fantômas alors, d’un geste brusque, arrachait la longue barbe blanche qui s’étendait sur ses joues et son menton.

Il faisait sauter sa perruque, la tête énergique et farouche du monstre apparut.

— Eh bien, Gauvin, s’écria-t-il en toisant le notaire, toi qui es si bien renseigné sur l’existence des gens, dis-moi donc qui se trouve en face de toi ?

Le notaire n’avait pas longtemps à réfléchir, longtemps à regarder pour savoir que répondre.

À la vue de la transformation soudaine qui se faisait dans la silhouette de son interlocuteur, Gauvin avait poussé un véritable hurlement d’épouvante et d’effroi.

Il reculait jusqu’au fond de la pièce, il ouvrait des yeux hagards.

— Fantômas !… Fantômas !… balbutia-t-il. Je suis en face de Fantômas !

— Fantômas, oui, déclara rudement le bandit. Assez d’atermoiements, jouons cartes sur table.

» Écoute-moi bien, Gauvin, et si tu tiens à ta peau, obéis-moi sur l’heure. Tu sais qu’Étienne Rambert est mort, tant pis pour toi, il fallait l’ignorer… Peut-être enfin te permettrai-je de l’oublier, à la condition que tu m’obéisses.

» Écoute, il me plaît, aujourd’hui, de passer pour Étienne Rambert, car je désire m’approprier la fortune de M me Verdon.

» Par le document que je viens de te montrer, M me Verdon t’autorise, toi, le notaire, dépositaire de sa fortune, à remettre tous ses biens entre les mains de cet Étienne Rambert dont j’incarne aujourd’hui la personnalité.

» Oublie donc que je suis Fantômas, et partons pour ta boutique : dans une heure, j’aurai l’argent ; tu n’as rien à craindre, car je te laisserai en échange l’autorisation que je t’ai montrée. Obéis !

Mais Fantômas s’arrêtait, car Gauvin s’effondrait à terre.

— Grâce !… grâce ! articulait-il, en proie à une émotion inexprimable.

Il se tordait les bras, sanglotait éperdument.

Fantômas le secoua brusquement.

— Imbécile, tu n’as donc rien compris ! Je viens de te dire qu’il ne te serait point fait de mal, et que tu n’avais qu’à me donner la fortune de M me Verdon…

Mais c’était précisément cela qui terrifiait et désespérait l’infortuné notaire.

— Hélas ! balbutia-t-il, c’était justement au sujet de cette fortune que je voulais voir M me Verdon !

— Qu’avais-tu donc à lui dire ? demandait Fantômas qui commençait à s’inquiéter.

Son regard était si terrible que Gauvin frissonna.

— Parle ! ordonna impérieusement le bandit, qui sortait un poignard de sa poche.

— Grâce !… supplia Gauvin.

— Parle ! poursuivit Fantômas.

Faisant un suprême effort, Gauvin articula :

— Eh bien… je voulais… dire à M me Verdon, que sa fortune… sa fortune… je ne l’ai plus…

— Malédiction ! jura Fantômas. Et cette fortune où est-elle ?

D’une voix presque imperceptible, le notaire répondit :

— Entre les mains de Juve !

Dès lors la colère de Fantômas éclatait, épouvantable et terrifiante.

— Dans les mains de Juve !… répétait le bandit avec un ricanement sinistre… Ah ! misérable Gauvin !… Tu avais donc juré de me trahir !… Tu savais donc quelles étaient mes intentions !… Tu t’es fait le complice de cet ignoble policier !

— Grâce ! suppliait Gauvin, ce n’est pas vrai… et pour tout dire, c’est moi qui ai voulu voler la fortune de M me Verdon. Juve est survenu qui m’en a empêché ; à l’heure actuelle il est peut-être à mes trousses, et je venais dans le but de tout dire à M me Verdon…

— Ah ! par exemple ! hurla Fantômas, il ne manquerait plus que cela !

Dans l’espace d’un instant, le sinistre bandit voyait tous ses projets détruits, son programme anéanti, Gauvin disant à M me Verdon que sa fortune était entre les mains de Juve. Juve survenant… et tout le monde se mettant d’accord pour reconnaître que le savant Marcus n’était pas Étienne Rambert, mais bien tout simplement Fantômas !

Non, non, les choses ne se passeraient pas ainsi ! Fantômas n’était pas un homme à se laisser faire !

Gauvin se traînait sur le parquet, terrifié, ivre de peur.

Fantômas cria :

— Le Bedeau ! pendant qu’il appuyait le pied sur l’épaule du notaire et l’immobilisait au ras du sol.

Aux cris poussés par Fantômas, son complice apparaissait aussitôt.

— Le Bedeau ! ordonna Fantômas, ficelle-moi cet homme… qu’il ne puisse faire un geste, qu’il ne puisse dire un mot…

Chapitre XXIV

Un baiser filia

l

Dans la nuit silencieuse et sombre, un bruit de grelots retentissait, dissimulant le galop des chevaux et le bruissement sourd des roues caoutchoutées, roulant, ou pour mieux dire, bondissant sur les cahots de la route et les pavés des villages.

De temps à autre on percevait le claquement sec d’un coup de fouet stimulant les bêtes, et les cris rauques d’un cocher qui excitait, de la voix, ses chevaux.

Ceux-ci, deux fortes bêtes, à la robe mordorée, tramaient un lourd véhicule dont la forme extérieure rappelait celle des berlines d’autrefois.

C’était, en réalité, une sorte de calèche qui n’avait point de fenêtres, hormis deux glaces, qui s’élevaient et s’abaissaient à volonté au-dessus des portières occupant le milieu de la voiture.

Depuis cinq ou six jours, ce véhicule, peint de couleur sombre, était remisé à Domène, tout à côté de la propriété de celle qui passait pour être M me Verdon.

Cette voiture était arrivée couverte de poussière, à peu près en même temps que le vieillard à barbe blanche, qui s’était donné pour être un savant géologue nommé le professeur Marcus.

Ce véhicule, conduit par un cocher taciturne, au regard sombre et sournois, était la voiture de Fantômas…