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Le bandit qui sans cesse jouait le rôle de diverses personnalités et qui ne savait jamais s’il conserverait l’un ou l’autre de ces rôles, quelques heures ou plusieurs semaines, avait estimé, avec juste raison, qu’il n’était pas naturel qu’un savant professeur intéressé à la géologie possédât une automobile !

Et, dès lors, soucieux de la vraisemblance jusque dans les plus infimes détails, Fantômas avait décidé d’amener à Grenoble une certaine berline traînée par deux robustes et rapides chevaux, conduite par un homme à sa dévotion.

De l’extérieur, cette voiture paraissait normale, nullement surprenante.

Mais si, d’aventure, quelqu’un avait été amené à la visiter de près, à en examiner l’intérieur, il aurait certainement été des plus surpris, voire quelque peu épouvanté.

Tout d’abord, les panneaux de la voiture, au lieu d’être faits de simple tôle ou encore de bois vernis, étaient constitués par de solides parois d’acier qui, certainement, pouvaient résister aux plus brutales attaques.

C’était une voiture blindée, à l’intérieur de laquelle on se trouvait en sécurité contre les agressions extérieures et les coups de feu !

C’était une véritable casemate !

L’intérieur du véhicule était aménagé, non point comme une voiture ordinaire, mais comme une véritable redoute, une forteresse en miniature.

Au fond, il y avait un siège, une banquette médiocrement rembourrée, où pouvaient s’asseoir trois personnes, mais en face se trouvait tout un assortiment d’armes pendues à un râtelier, et des caissons dans lesquels étaient des munitions.

Au milieu, enfin, fixé au plancher, se trouvait une sorte de support dont, à première vue, on ne concevait pas bien l’utilité.

Quiconque était renseigné sur la destination de ce support savait, par contre, qu’il avait pour but de recevoir une mitrailleuse, qu’en l’espace d’une seconde on l’y pouvait fixer et que, pivotant sur une charnière, articulée dans tous les sens, elle permettait, de l’intérieur de la voiture, de viser tous les gens que l’on voulait atteindre au passage.

Cette voiture blindée, cette forteresse roulante, c’était la dernière invention de Fantômas !

Or, une demi-heure à peine après la violente altercation du Génie du crime avec le notaire Gauvin, un quart d’heure après le moment où celui-ci avait été ligoté par le Bedeau, sur les ordres du bandit, les grelots des chevaux avaient retenti dans la nuit et le véhicule était venu se ranger devant le perron de la demeure que l’on désignait communément dans le pays pour être la maison de M me Verdon.

Dès lors, la porte de la propriété s’ouvrait, deux hommes drapés dans les manteaux noirs apparaissaient, portant un corps ligoté, qu’ils jetaient dans le véhicule.

Les deux hommes y montaient également ; l’un d’eux disait au cocher :

— Conduis-nous à Sassenage et vivement !

Les chevaux, sollicités d’un violent coup de fouet, démarraient en bondissant.

Quelques instants avant, dans l’intervalle du temps qui s’était passé entre le ficelage de Gauvin et le départ de la voiture, Fantômas était remonté auprès de M me Rambert.

Le bandit était dans une violente colère, mais il dissimulait ses sentiments dès lors qu’il était en face de la vieille dame.

Et de ce ton doucereux et aimable qu’il savait si bien prendre pour donner le change et duper les gens, Fantômas avait déclaré à M me Rambert :

— Excusez-moi de vous quitter subitement, j’espérais passer la nuit à votre chevet, la chose est malheureusement impossible. Je viens d’avoir une importante conversation avec le notaire Gauvin, il en résulte que j’ai diverses pièces à signer avant de pouvoir entrer en possession de la fortune dont vous êtes propriétaire, mais que vous me transmettez, pour que je puisse sauver Jérôme Fandor.

» Je pars à l’instant, dormez tranquille… et soyez assurée que, vu mon activité, notre enfant ne court aucun danger !

Fantômas s’était éclipsé sans écouter les remerciements que lui prodiguait M me Rambert, laquelle, quelques instants après, s’assoupissait heureuse d’avoir, du moins elle le croyait, retrouvé son cher mari Étienne Rambert, confiante dans l’avenir, confiante dans le lendemain qui allait être une journée bénie pour elle, puisqu’elle allait enfin revoir son fils !

La voiture cependant traversait Grenoble à toute allure, puis, à l’extrémité de la ville, après avoir franchi le pont suspendu qui réunit les deux rives du Drac, elle s’engageait sur la route de Sassenage.

Il y avait, à l’intérieur du véhicule, les deux hommes drapés de manteaux noirs, et au milieu d’eux, un malheureux être ligoté si étroitement, qu’il ne pouvait faire un mouvement.

Il ne pouvait également prononcer une parole, ayant un bâillon serré sur les lèvres.

Les deux gardiens de ce prisonnier, c’étaient Fantômas et le Bedeau ; le prisonnier ligoté n’était autre que Gauvin, le notaire.

Au bout d’une vingtaine de minutes, le véhicule qui avait ralenti sa marche, car il montait une rampe fort abrupte, s’arrêta sur le bord du chemin.

— Allons ! ordonna Fantômas qui jusqu’alors n’avait pas prononcé une parole, descends, Gauvin !

Et comme le malheureux ne pouvait pas bouger, Fantômas faisait un signe au Bedeau, qui, d’un coup sec de la lame de son couteau, tranchait les liens qui empêchaient le notaire de marcher.

Celui-ci descendit ou pour mieux dire, tomba hors de la voiture.

Il trébuchait, en effet, il s’écorcha les genoux sur les pierres du chemin.

Fantômas raillait :

— As-tu donc si peur, Gauvin, fit-il, que tu ne peux mettre un pied devant l’autre ?

Le malheureux notaire était livide. Fantômas dénoua le bâillon qui maintenait ses lèvres closes.

— Et maintenant, dit-il, en sortant son revolver pour interdire à Gauvin toute velléité de fuite, marche devant moi !

Le notaire, en titubant d’épouvante, faisait quelques pas.

Il s’arrêta soudain, face à la montagne.

— Où dois-je aller ? demanda-t-il, d’une voix qui tremblait.

Celle de Fantômas retentit plus tonitruante, plus ironique que jamais.

— Tu le vois bien, droit devant toi !

Devant Gauvin se trouvait, percée dans la montagne, une sorte de cavité obscure, d’où provenaient des rumeurs étranges.

On était à l’entrée des fameux souterrains connus sous le nom de Cuves de Sassenage.

Par un petit orifice haut de quatre-vingts centimètres et large d’autant on pouvait s’introduire dans une sorte de grotte souterraine constituée par un long couloir insinueux, bordé, de part et d’autre, d’énormes roches, jetées là comme dans un chaos, et sans cesse semblait-il, sur le point de choir les unes sur les autres.

Gauvin eut un sursaut d’épouvante.

— Faut-il donc que j’entre là ? demanda-t-il.

Et, instinctivement, il faisait un pas en arrière.

Mais Fantômas le poussait d’un coup de pied dans les reins.

— Avance donc ! ordonna-t-il. Depuis quand se permet-on de discuter les ordres de Fantômas ?

Le bandit sortait une lanterne électrique de sa poche, dont il tournait le commutateur ; des rayons lumineux et blafards éclairèrent l’intérieur de la grotte.

Il s’agissait de descendre d’innombrables degrés, formés par des pierres roulantes.

Gauvin s’avança, les jambes fléchissant, la tête courbée pour ne point se heurter à la voûte très basse du souterrain. Fantômas était derrière lui, l’incitant à marcher plus vite, toujours plus vite.

À un moment donné, le notaire dut se mettre à plat-ventre pour passer sous une roche ; Fantômas le suivit, le Bedeau venait par derrière.

Après avoir franchi cet étroit passage, les trois hommes parvenaient dans une sorte de cirque beaucoup plus large, beaucoup plus élevé que le reste du souterrain.

C’était une immense salle aux allures de nef d’église, dont les parois étaient formées par des roches aux couleurs chatoyantes, passant du vert sombre au rouge le plus vif.

Il y faisait un froid terrible et, par le milieu, le sol tourmenté de cette salle était coupé d’un torrent tumultueux qui roulait des ondes aux panaches blancs, jusque dans les profondeurs d’un insondable précipice.