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En face de lui se trouvait un grand lit, dans lequel était couchée une vieille dame, aux cheveux blancs comme de la neige.

Tout d’abord, en voyant cette brusque apparition, il avait sursauté : les yeux au vif regard, à l’expression si douce, s’étaient fixés dans les yeux de Fandor.

Et dès lors, le journaliste s’était senti remuer jusqu’au plus profond de son être.

Qu’elle était cette digne et noble vieille femme, aux mains diaphanes, au visage pur, aux traits beaux et distingués ?

Le journaliste sentit des sanglots lui étreindre la gorge, des larmes brûlantes lui monter aux yeux.

Il avait enlevé son chapeau d’un geste machinal, il joignait les deux mains, s’avançant lentement et tombant à genoux au chevet du lit, il articula d’une voix indistincte, ces mots simples :

— Ma mère !… ma mère !… ma mère !

Mais au même instant, Fandor sentait que deux bras tièdes se nouaient autour de son cou, puis il entendit à nouveau cette voix si douce et si touchante, qui murmurait sur le ton d’une indicible émotion :

— Jérôme Fandor !… Charles !… mon petit Charles !… mon enfant !

Une seconde ne s’écoulait pas que l’enfant embrassait sa mère, que la mère étreignait dans ses bras son enfant.

Ils restaient ainsi, serrés l’un contre l’autre, sans songer à s’arracher à cette douce étreinte.

Leurs larmes se confondaient, et ils échangeaient de tendres paroles :

— Ma mère !

— Fandor !…

— Charles !… Charles !…

— Maman !…

Puis, M me Rambert, doucement, écartait Fandor de sa poitrine. Elle appuya ses mains tremblantes sur les mains du jeune homme.

— Laisse-moi te regarder, dit-elle, Fandor.

Fandor, sans mot dire, reculait, fixait sa mère, qui ne se lassait pas de le contempler.

— Oh ! murmura-t-elle de sa voix grave et harmonieuse, comme je te reconnais bien, mon petit ! Je te retrouve tel que tu étais autrefois, avec tes boucles blondes en moins ! Regarde, mon petit Charles, regarde ce portrait…

Et levant sa main vers le mur à côté de son lit, M me Rambert désignait à Fandor une petite photographie, toute passée, très jaunie, le portrait d’un bébé de quatre ou cinq ans, dans lequel le journaliste avait grand’peine à se reconnaître, lorsqu’il était enfant.

M me Rambert levait les yeux au ciel, elle soupira profondément.

— Mon existence, fit-elle, a été terrible, affreuse. Tu sauras tout ce que j’ai souffert. Mais peu importe, du moment que je te retrouve, que tu es vivant, que tu es beau, et que tu es digne de ton nom. Car je sais, Jérôme Fandor, articulait-elle avec un sourire, que tu es un héros !

Hélas ! M me Rambert pâlissait soudain.

Elle portait les mains à sa poitrine.

— Ma mère… ma mère, interrogeait Fandor alarmé, qu’avez-vous donc ?

M me Rambert balbutiait quelques paroles inintelligibles, puis, exhalant une légère plainte, elle retombait en arrière.

— Mon Dieu ! hurla le journaliste…

Et, dès lors ses yeux s’écarquillaient, ses cheveux se dressaient d’épouvante sur sa tête.

Il se précipitait vers sa mère inerte.

Il lui tâtait le pouls.

— Elle est évanouie ! Que faire ?

Sur un guéridon voisin du lit, Fandor aperçut une ordonnance de médecin.

Il regardait l’ordonnance, voyait un numéro de téléphone. Le journaliste cherchait autour de lui. Encore qu’il fût effroyablement troublé, il ne perdait point son sang-froid, il découvrait un appareil téléphonique à l’extrémité de la pièce ; il décrocha le récepteur :

— Le 7, donnez-moi le 7, à Domène ! demanda-t-il.

C’était le numéro qu’il avait vu sur l’ordonnance.

On répondait presque aussitôt.

— Allô ! c’est vous, docteur ? fit Fandor.

Une voix inconnue du journaliste répondit, à l’autre bout du fil :

— C’est moi. Qui m’appelle ?

— Venez d’urgence, hurla Fandor, chez M me Rambert…

Mais le journaliste se reprenait :

— Je veux dire chez M me Verdon !…

— Eh bien, docteur ?

— Eh bien, monsieur, ce ne sera rien. Mais cependant la situation est grave ; depuis quelques jours, M me Verdon, qui est d’une santé délicate et qui supporte mal les émotions, vient d’avoir son existence singulièrement troublée, par le fait de diverses allées et venues de personnes étrangères dans sa maison.

» Je n’ai pas à juger l’attitude de M me Verdon qui reçoit qui elle veut, mais j’estime que cette agitation lui est très nuisible.

» Voilà la deuxième crise cardiaque dont elle est victime en deux jours, et il ne faut pas qu’une troisième survienne. Puisque vous êtes de sa famille, monsieur, je vous recommande le plus formellement de lui éviter la moindre émotion !

Le docteur avait parlé au moment où il quittait la chambre à coucher de celle qu’il prenait pour M me Verdon. L’interlocuteur auquel il s’adressait, et qui le reconduisait en silence jusqu’au bas de l’escalier, c’était Fandor.

Le journaliste remonta lentement vers sa mère ; il soupira profondément.

— Ce docteur vient de la sauver, fit-il, mais je me rends compte qu’il dit vrai et que la moindre émotion pourrait la tuer.

» Mon Dieu ! mon Dieu ! faites qu’il ne survienne rien qui soit de nature à lui faire du mal !

Le journaliste, non sans inquiétude, songeait à l’avenir !

Il rentra dans la chambre, M me Rambert, désormais remise de sa crise, lui souriait tendrement.

— Mon enfant, dit-elle d’une voix reposée, presque joyeuse, un bonheur n’arrive jamais tout seul, tu viens de m’être rendu ; or, je viens d’entendre le bruit des grelots d’une voiture qui m’est familière, et qui ramène quelqu’un que j’aime, que tu aimes également…

Fandor frissonna sans comprendre.

M me Rambert lui annonçait :

— Charles, mon enfant, dans un instant tu vas…

M me Rambert s’arrêtait de parler mais ses yeux se tournaient instinctivement dans la direction de la porte qui venait de s’ouvrir.

M me Rambert, dont le visage s’animait et se colorait par moments, regardait également dans la direction de l’entrée.

La porte de la chambre qui s’était ouverte, quelques instants après l’arrivée de la voiture, livrait passage à un homme aux épaules voûtées, à la grande barbe blanche, que Fandor au premier abord, estimait ne point connaître.

Ce personnage, qui s’avançait, s’arrêta net, en apercevant le journaliste et parut tressaillir.

Toutefois, après ce court moment d’hésitation, il continua à se rapprocher du lit dans lequel était étendue M me Rambert.

Fandor regardait, interloqué, l’homme qui s’avançait.

M me Rambert prit la main de son fils, et l’attirant auprès d’elle, murmura à son oreille :

— Mon cher enfant, je te disais bien, tout à l’heure, qu’un bonheur ne vient jamais seul ! Certes, tu ne connais et tu n’as pas de raison de connaître M. le professeur Marcus, savant géologue qui passe aux yeux de tous pour être le pensionnaire de M me Verdon…

» Mais, de même que tu sais que M me Verdon n’est autre que ta mère, M me Rambert, le professeur Marcus obligé, pour des raisons que je t’expliquerai plus tard, de dissimuler ici provisoirement sa personnalité… ce n’est autre, mon cher enfant, que ton père, ton cher père !

Fandor qui s’était agenouillé au chevet de sa mère, se releva brusquement…

Ses yeux hagards fixaient M me Rambert, avec une expression de stupeur terrifiée.

— Mon père ?… balbutia Fandor, vous dites que c’est mon père ?

Et dès lors le journaliste se demandait s’il n’était pas définitivement devenu fou, s’il ne perdait point la tête ou alors s’il ne vivait pas un cauchemar affreux, et s’il n’était pas tombé dans un guet-apens épouvantable dont sa mère était la complice ou alors la victime…