Fandor, instinctivement, mettait la main sur la crosse de son revolver qu’il sentait dans sa poche, ses doigts se crispaient sur l’arme toute prête, puis son regard lentement se fixa sur l’homme que sa mère venait de lui désigner comme étant son père… alors qu’il savait que son père était mort !
Le journaliste regardait ce vieillard des pieds à la tête.
Il lui trouvait malgré son air humble, une silhouette robuste, un aspect autoritaire et impérieux.
Les yeux noirs vifs et cruels brillaient dans l’encadrement clair des sourcils et de la barbe blanche.
Oh ! Fandor avait l’habitude de ces sortes de physionomies et sur ce point nul ne pouvait le tromper. Ce n’était pas un vieillard qu’il avait en face de lui, c’était un homme dans la force de l’âge. Quelqu’un habilement maquillé, quelqu’un qui, malgré l’apparence frêle et vieillotte qu’il voulait se donner, était un homme robuste, solide et puissant.
M me Rambert cependant, de sa voix douce, répéta lentement.
— Charles !… Jérôme Fandor !… Mon petit Charles !… N’as-tu donc pas entendu ce que je viens de te dire ? Ne comprends-tu pas que c’est ton père, qui se trouve en face de toi ?
Le journaliste poussait un cri rauque, et bondissait en avant.
Soudain, le voile s’était déchiré, la lumière s’était faite dans son esprit. Instinctivement, il allait sortir son revolver de sa poche, et tirer à bout portant, sur le mystérieux personnage qui lui faisait face.
En même temps, d’ailleurs, Fandor se rendait compte que l’homme qui passait pour être le professeur Marcus ne perdait pas un seul de ses mouvements.
Et si Fandor avait porté la main à sa poche dans le but d’y prendre son revolver, il apparaissait que le faux vieillard avait fait de même, et nourrissait la même intention.
Fandor cependant était devenu livide, une sourde colère lui montait au cerveau et, après avoir proféré ce cri qui exprimait toute sa surprise et toute son angoisse, il commença, les dents serrées :
— Fant…
Mais il s’arrêta !
— Fantômas ! allait dire Fandor.
Le journaliste, en effet, avait reconnu le Génie du crime, le Roi de l’effroi, qui se trouvait en face de lui et qui jouait désormais le rôle le plus odieux qu’il soit possible d’imaginer.
Fantômas qui avait choisi pour dupe de cette ignominie, pour victime de ses turpitudes, la femme que Fandor devait chérir et respecter le plus au monde, M me Rambert, sa mère !
Oh ! désormais le journaliste était résolu ! Il ne se passerait pas une minute de plus que la tragique poursuite à laquelle il se livrait, depuis des années contre Fantômas, ait sa solution !
Le hasard et l’audace du bandit les mettaient tous les deux face à face ; Fandor comprenait qu’ils allaient se livrer à un duel sans merci, il en était satisfait, s’en réjouissait !
Longtemps, à maintes reprises, le journaliste s’était dit qu’il serait bien heureux de trouver Fantômas dressé devant lui, Fantômas auquel il pourrait dire toute sa haine et son mépris, Fantômas qu’il pourrait abattre, comme un chien, à ses pieds !
Or, Fantômas était là, souriant, énigmatique, plein d’ironie, Fantômas, narquois et triomphant, semblait-il, Fantômas paraissait défier Fandor, et désormais sortant la main de sa poche, tenant son revolver, croisant les bras sur sa poitrine.
— Son audace, pensa le journaliste, n’a décidément plus de limites ! Fantômas brave jusqu’aux balles du browning ! Eh bien, soit ! Il saura ce que ça lui coûte de ne pas se défendre, lorsqu’il est en face de Fandor !…
Mais pourquoi donc le journaliste ne tirait-il pas son revolver ?
Pourquoi donc ne se précipitait-il pas sur son terrible adversaire ?
Pourquoi Fandor, résistant à l’incommensurable désir qu’il éprouvait de se jeter à la gorge de Fantômas et de l’étreindre dans le cercle contracté de ses doigts, oui, pourquoi Fandor ne bougeait-il pas ?
En l’espace de quelques secondes le journaliste cependant avait envisagé toutes les hypothèses !
Sa conviction était faite.
Il se savait en face de Fantômas. Il était bien sûr que le soi-disant professeur Marcus n’était autre que le sinistre bandit.
Cet homme-là, son père ?
Allons donc !
Hélas, Fandor, mieux que personne, savait qu’Étienne Rambert était mort, mort dans ses bras, mort malheureusement, d’ailleurs, sans avoir pu confier à son fils le secret qui lui permettrait, à volonté, d’anéantir la puissance de Fantômas !
Fandor, cependant, s’était insurgé, révolté, contre l’audacieuse attitude de Fantômas, qui non seulement dupait audacieusement M me Rambert de ses mensonges, mais encore commettait le plus effroyable sacrilège en prenant pour s’assurer la sympathie de la malheureuse femme dont il avait été le tortionnaire, le nom béni et respecté, de M. Étienne Rambert.
Oui, Fandor comprenait tout cela, il sentait dans sa poitrine son cœur battre d’indignation, il avait des révoltes qui le faisaient tressaillir des pieds à la tête, il crispait ses poings comme pour se retenir… mais Fandor ne se jetait pas sur Fantômas, ne se précipitait pas sur cet implacable ennemi !
Pourquoi donc ?
Alors que s’écoulaient ces instants formidables, que cette scène tragique, au plus haut point, se déroulait dans la modeste chambre occupée par M me Rambert, la voix de cette dernière avait doucement retenti à nouveau aux oreilles du journaliste…
Et sur un ton de surprise qui commençait à s’angoisser, M me Rambert avait répété :
— Eh bien, mon enfant, qu’attends-tu donc puisque je te dis que c’est ton père qui est là ?
Dès lors Fandor avait compris…
S’il révélait à sa mère la véritable identité de celui qui passait à ses yeux pour être Étienne Rambert, s’il se précipitait sur Fantômas, l’arme au point, et démasquait l’effroyable bandit, peut-être aurait-il raison du monstre, mais à coup sûr il paierait cette victoire de la mort de sa mère !
Le docteur n’avait-il pas dit, quelques instants auparavant, qu’il fallait éviter à la vieille dame les moindres émotions ?
Elle venait d’avoir deux crises cardiaques coup sur coup ; il ne lui en fallait pas une troisième !
Or, en l’espace de quelques secondes, Fandor avait envisagé tout cela dans son esprit…
Sans quitter Fantômas du regard, il s’approcha de lui.
Les deux hommes se considéraient fixement. M me Rambert les regardait, les enveloppant tous deux d’une même expression de tendresse et de félicité…
— Mon Dieu ! Mon Dieu ! balbutia-t-elle, vous m’avez donné bien des souffrances au cours de ma triste vie, mais je vous remercie, car désormais je suis heureuse, oui, bien heureuse, d’avoir à la fois retrouvé mon fils et mon mari !
Si Fandor ne bougeait pas, dissimulant à grand’peine le tremblement nerveux qui l’agitait, Fantômas demeurait immobile, les bras croisés…
Cette situation, cependant, ne pouvait se prolonger, et M me Rambert commençait, d’ailleurs, à s’en étonner.
— Eh bien ? interrogeait-elle, regardant alternativement Fantômas et Fandor, me suis-je donc mal expliquée ? N’avez-vous pas compris ? Qu’y a-t-il donc entre vous ?
» Mon cher mari, pourquoi n’embrassez-vous pas votre enfant ? Mon fils pourquoi n’es-tu pas dans les bras de ton père ?
Fandor comprit que c’était l’instant suprême. Il ne pouvait plus reculer, il fallait adopter un parti, quel qu’il fût…
Le journaliste blêmit. Il considéra successivement sa mère, puis Fantômas.
— Non ! non ! pensa-t-il fermement, je ne veux pas qu’elle meure, je ferai tout pour la sauver !
Alors Fandor tendit sa main ouverte à Fantômas, Fantômas prit la main de Fandor ! Puis les deux hommes se rapprochèrent et devant M me Rambert qui les considérait avec des yeux mouillés de larmes, ils s’étreignirent, poitrine contre poitrine, haletants tous les deux, sans proférer une parole !
… Pour ne point faire du mal à sa mère, Fandor avait embrassé Fantômas !