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— Taim devra attendre, dit-il avec lassitude.

Combien de temps Taim attendrait-il ? Il n’entendit pas Lews Therin rager qu’il devait le tuer, ce qui le surprit. Il aurait voulu en ressentir un soulagement.

— Êtes-vous venu juste pour vous assurer que Logain arrivait jusqu’à moi sans encombres, Bashere ? Ou pour me dire que quelqu’un a poignardé Dobraine ? Ou avez-vous une tâche urgente pour moi, vous aussi ?

Au ton de Rand, Bashere haussa un sourcil et il serra les dents en regardant Logain. Au bout d’un moment, il renifla si fort que ses moustaches avaient dû en frémir.

— Deux hommes ont mis ma tente à sac, dit-il, posant sa coupe sur une table sculptée bleue contre le mur, dont l’un porteur d’une note que j’aurais juré avoir écrite moi-même si je n’avais pas su qu’il n’en était rien. C’était un ordre d’emporter certains « articles ». Loial me dit que les individus qui ont poignardé Dobraine avaient le même genre de note. Avec un peu de réflexion, un aveugle aurait compris ce qu’ils cherchaient. Dobraine et moi étions les candidats les plus probables pour garder les sceaux. Vous en avez trois, et vous dites que tous les trois sont brisés. Peut-être que l’Ombre sait où se trouve le quatrième.

Tandis que le Saldaean parlait, Loial s’était détourné de la cheminée, les oreilles rigides.

— Ça, c’est sérieux, Rand. Si quelqu’un brise tous les sceaux de la prison du Ténébreux, ou même seulement un ou deux de plus, le Ténébreux pourrait se libérer. Même vous, vous ne pouvez pas affronter le Ténébreux. Je veux dire, je sais que les Prophéties affirment que vous l’affronterez, mais ce doit juste être une façon de parler.

Même Logain eut l’air inquiet, observant Rand comme s’il l’évaluait par rapport au Ténébreux.

Rand se renversa dans son fauteuil, prenant bien soin de dissimuler sa fatigue. Les sceaux de la prison du Ténébreux d’une part, Taim divisant les Asha’man de l’autre. Le septième sceau était-il déjà brisé ? L’Ombre effectuait-elle les premiers mouvements de la Dernière Bataille ?

— Vous m’avez dit quelque chose, un jour, Bashere. Si votre ennemi vous propose deux cibles…

— Frappez la troisième, termina vivement Bashere, et Rand hocha la tête.

Il avait déjà décidé, de toute façon. Le tonnerre secoua les vitres à faire trembler les cadres. La tempête forcissait.

— Je ne peux pas combattre l’Ombre et les Seanchans en même temps. Je vous envoie tous les trois négocier une trêve avec les Seanchans.

Bashere et Logain se turent, comme frappés de stupeur. Jusqu’au moment où ils se mirent à argumenter, parlant tous les deux en même temps. Loial semblait juste au bord de l’évanouissement.

Elza s’agitait, écoutant Fearil lui rapporter ce qui s’était passé au Cairhien depuis qu’elle l’avait laissé là-bas. Ce n’était pas la voix dure de son Lige qui l’irritait. Elle détestait les éclairs et aurait voulu pouvoir instituer une garde contre la violente lumière qui fulgurait aux fenêtres, comme elle en avait établi une contre les écoutes. Personne ne trouverait étrange ce désir d’intimité, vu qu’elle avait passé vingt ans à convaincre tout le monde qu’elle était mariée avec lui. Malgré sa voix, Fearil avait le physique d’un homme que les femmes peuvent épouser, grand, mince et assez beau. La dureté de sa bouche ne le faisait paraître que plus bel homme. Naturellement, à la réflexion, certains pouvaient trouver bizarre qu’elle n’ait jamais eu qu’un seul Lige à la fois. Un homme compétent était difficile à trouver, mais peut-être devait-elle commencer à chercher. De nouveau, des éclairs illuminèrent les fenêtres.

— Oui, oui, assez, finit-elle par l’interrompre. Vous avez fait ce qu’il fallait, Fearil. Il aurait paru bizarre que vous soyez le seul à refuser de rejoindre votre Aes Sedai.

Une impression de soulagement fulgura dans le lien. Elle était stricte pour ce qui concernait l’exécution de ses ordres, et tout en sachant qu’elle ne pouvait pas le tuer – qu’elle ne le tuerait pas, en tout cas –, une punition exigeait simplement qu’elle masque le lien afin de ne pas partager sa souffrance. Ça, et une garde pour étouffer ses cris. Elle détestait les cris presque autant que détestait les éclairs.

— C’est aussi bien que vous soyez avec moi, poursuivit-elle.

Dommage que Fera soit toujours retenue en captivité par les sauvages Aiels, mais elle devrait questionner la Blanche pour savoir exactement pourquoi elle avait juré avant qu’on puisse lui faire confiance. Jusqu’au voyage au Cairhien, elle ne savait pas qu’elle partageait quelque chose avec Fera. Elle regrettait que pas une bribe de son cœur ne soit avec elle, mais elle était la seule à avoir été envoyée au Cairhien. Elle ne discutait pas les ordres qu’elle recevait, pas plus que Fearil avec ceux qu’elle lui donnait.

— Je crois que quelques personnes devront mourir bientôt.

Dès qu’elle aurait décidé lesquelles. Fearil baissa la tête, et un sursaut de plaisir lui parvint par le lien. Il aimait tuer.

— Dans l’intervalle, vous tuerez tous ceux qui menacent le Dragon Réincarné. Tous.

Après tout, cela lui était devenu parfaitement clair après avoir été elle-même captive des sauvages. Le Dragon Réincarné devait arriver jusqu’à la Tarmon Gai’don, sinon comment le Grand Seigneur pourrait-il l’y vaincre ?

25

Quand il faut porter des bijoux

Perrin arpentait avec impatience les tapis à fleurs couvrant le sol de la tente ; gêné aux entournures dans la tunique en soie vert foncé qu’il avait rarement portée depuis que Faile l’avait fait faire. Elle disait que les riches broderies d’argent mettaient son torse en valeur, mais le large ceinturon de cuir soutenant sa hache soulignait qu’il était un roturier cherchant à paraître au-dessus de sa condition. Parfois, il tirait sur ses gantelets ou foudroyait du regard sa cape doublée de fourrure posée sur le dos d’un fauteuil, à portée de sa main. Deux fois, il tira de sa manche une feuille de papier et la déplia pour étudier tout en faisant les cent pas le plan de Malden, la ville où Faile était prisonnière.

Jondryn, Get et Hu avaient réussi à rattraper quelques habitants de Malden en fuite. Il n’avait pas été facile de trouver les bons interlocuteurs car les citadins assez forts pour se battre étaient morts ou portaient la tenue blanche des gai’shains pour les Shaidos ; ceux qui avaient survécu et fui étaient les vieux et les très jeunes, les malades et les infirmes. D’après Jondryn, la seule idée que quelqu’un puisse les forcer à retourner en ville et à combattre les Shaidos leur faisait prendre leurs jambes à leur cou vers le nord, l’Andor et la sécurité. La seule chose utile qu’ils en avaient tiré, c’était ce plan qui représentait un puzzle, avec son dédale de rues, la forteresse de la Dame et la grande citerne dans le coin nord-est. Il semblait prometteur par les possibilités qu’il offrait. Mais encore fallait-il résoudre le problème auquel il n’apportait aucune réponse, à savoir les positions précises de l’immense masse des Shaidos entourant la ville fortifiée, sans parler de quatre ou cinq cents Sagettes Shaidos capables de canaliser. Alors il remit la feuille dans sa manche et continua à faire les cent pas.

La tente rouge à rayures l’irritait autant que le plan. Elle était meublée avec des chaises dorées pliantes, une table fixe en mosaïque, une psyché, une coiffeuse, et même des coffres cerclés de cuivre alignés le long de la paroi. Dehors, il faisait à peine jour. Douze lampes étaient allumées, leurs miroirs étincelant. Les braseros qui avaient un peu dégourdi le froid glacial de la nuit contenaient encore quelques braises. Il avait même fait sortir deux tentures de soie de Faile, brodées de bandes de fleurs et d’oiseaux, accrochées aux piquets du toit. Il avait laissé Lamgwin lui tailler la barbe et raser ses joues et son cou ; il s’était lavé et avait enfilé des vêtements propres. Il avait fait installer la tente comme si Faile devait revenir d’un moment à l’autre d’une promenade à cheval, pour que tous ceux qui le regarderaient voient en lui un valeureux Seigneur, et aient confiance en lui. Mais tout cela ne faisait que lui rappeler que Faile n’était pas partie en promenade. Ôtant l’un de ses gantelets, il mit sa main dans sa poche et fit glisser ses doigts sur le cordon en cuir. Trente-deux nœuds maintenant et autant de jours sans Faile. Il n’avait pas besoin de ça pour le savoir, mais parfois, il restait éveillé toute la nuit dans le lit où elle n’était pas, comptant ces nœuds. D’une certaine façon, ils étaient devenus un lien avec elle. D’ailleurs, il préférait l’insomnie aux cauchemars.