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Perrin se retourna sur sa selle pour suivre la créature des yeux, jusqu’à ce que l’éclat du soleil lui fasse détourner la tête.

— Quels qu’ils soient, ils n’ont rien à voir avec nous, dit-il.

Si Neald avait fait une erreur, il l’étranglerait de ses mains.

26

À So Habor

Neald, qui avait dû rester en arrière pour maintenir le portail ouvert jusqu’à ce que Kireyin et les Ghealdanins soient passés, avait placé l’ouverture très près de sa cible. Lui et Kireyin rattrapèrent Perrin juste comme il arrivait sur un promontoire et tirait sur ses rênes, So Habor devant lui, sur l’autre rive d’une petite rivière enjambée par deux ponts de bois. Bien que Perrin ne soit pas soldat, il comprit immédiatement pourquoi Masema n’avait pas attaqué la ville. À proximité de la rivière s’élevaient deux massives murailles dotées de tours, celles de la muraille intérieure plus hautes que celles de l’extérieure. Deux barges étaient amarrées à la longue jetée qui longeait les remparts côté rivière, d’un pont à l’autre. Les larges portes des ponts, étroitement fermées, semblaient les seules ouvertures dans cette étendue de murs aux pierres grises grossièrement taillées. Construit pour repousser les nobles cupides du voisinage, So Habor n’avait rien à craindre de la racaille du Prophète, même s’ils étaient venus par milliers. Tout homme, prédateur ou chef de guerre, qui voulait assiéger la ville devait s’armer d’engins lourds et de patience. Or Masema préférait terroriser les villages et les villes sans défense.

— Eh bien, ça me fait plaisir de voir des gens sur les remparts, là-bas, dit Neald. Je commençais à croire que tous les habitants de la région étaient morts et enterrés.

Il semblait ne plaisanter qu’à moitié. Son sourire était forcé.

— Tant qu’ils nous vendent du grain, murmura Kireyin de sa voix nasale et blasée.

Débouclant son casque argenté à plumes, il le posa sur le pommeau de sa selle. Son regard passa sur Perrin, se posa brièvement sur Berelain, avant qu’il ne se retourne sur sa selle pour s’adresser aux Aes Sedai du même ton las.

— On prend racine ici ou on descend ?

Berelain l’observa, haussant un sourcil, d’un regard meurtrier. Kireyin ne parut pas s’en apercevoir.

Perrin avait les cheveux dressés sur la nuque, d’autant plus depuis qu’il avait vu la ville. Peut-être était-ce juste la partie loup de son être, celle qui détestait l’enfermement. En haut des remparts, les gardes, dont certains possédaient des longues-vues, les montraient du doigt. Ceux-là, au moins, verraient clairement les bannières. Tous pourraient voir les soldats, avec les rubans de leurs lances flottant dans la brise matinale, et les premières charrettes de la file qui s’étirait sur la route à perte de vue. Peut-être que tous les fermiers s’étaient réfugiés en ville.

— On n’est pas venus là pour se croiser les bras, dit-il.

À elles deux, Berelain et Annoura étaient convenues de la façon d’aborder So Habor. La dame ou le seigneur local avait sûrement entendu parler des déprédations des Shaidos, à quelques miles de là, et peut-être aussi de la présence du Prophète en Altara. C’était suffisant pour inspirer la méfiance ; peut-être assez pour que les gardes lâchent des volées de flèches avant de se préoccuper de savoir sur qui ils avaient tiré. Dans les deux cas, il était hautement improbable qu’ils accueillent des soldats étrangers. Les lanciers restaient déployés le long du promontoire, pour montrer que ces visiteurs possédaient des hommes d’armes, même s’ils choisissaient de ne pas s’en servir. Non que So Habor se laisse impressionner par une centaine d’hommes, mais les armures des Ghealdanins et les armures rouges des Gardes Ailés attestaient que les visiteurs n’étaient pas des bandits de grand chemin. Les hommes des Deux Rivières n’impressionneraient personne tant qu’ils ne banderaient pas leurs grands arcs. Ils restaient donc près des charrettes, pour soutenir le moral des cochers. La mise en scène était absurde, tout en trompe-l’œil. La Première de Mayene et une Aes Sedai devaient savoir quoi faire dans cette situation.

Gallenne prit la tête de la colonne pour descendre vers la rivière, son casque écarlate posé sur sa selle, le dos très droit. Perrin et Berelain chevauchaient derrière lui, avec Seonid entre eux, et Masuri et Annoura de chaque côté. Les trois Aes Sedai avaient rabattu leurs capuchons en arrière pour pouvoir être reconnues depuis les remparts. Les Aes Sedai étaient bien accueillies pratiquement partout, même là où les gens auraient préféré les voir ailleurs. Derrière, après les Liges, venaient les quatre porte-bannière et Kireyin, son casque en équilibre sur la cuisse, vexé d’être relégué au niveau des Liges et foudroyant dédaigneusement Balwer, qui traînait à l’arrière avec ses deux compagnons. Personne n’avait dit à Balwer qu’il pouvait venir, mais on ne le lui avait pas interdit non plus. Il s’inclinait chaque fois que le noble le regardait, puis se remettait à observer les remparts.

Perrin ne parvenait pas à se débarrasser d’un sentiment de malaise à mesure qu’ils approchaient de la ville. Les sabots des chevaux claquèrent sur le pont le plus méridional, une large structure assez haute au-dessus de la rivière pour que des barges, semblables à celles amarrées à la jetée, passent facilement dessous à la rame. Aucune de ces embarcations n’était équipée pour accueillir un mât. L’une des barges était assez basse sur l’eau, tirant sur ses amarres, et l’autre avait l’air abandonnée. Une odeur aigre et fétide lui fit se frictionner le nez, mais personne d’autre ne sembla la percevoir.

Non loin du pied du pont, Gallenne s’arrêta. Les portes closes, bardées de barres de fer d’un pied de large, auraient imposé une pause, de toute façon.

— Nous avons entendu parler des troubles affectant ce pays, cria-t-il à l’adresse des gardes, parvenant à être cérémonieux quoique beuglant à pleins poumons. Mais nous ne sommes que de passage, et nous venons faire du commerce, pas la guerre ; pour acheter du grain et d’autres articles utiles, pas pour nous battre. J’ai l’honneur d’annoncer Berelain sur Paendrag Paeron, Première de Mayenne, Bénie de la Lumière, Défenseur des Vagues, Haut Siège de la Maison Paeron, venue pour s’entretenir avec le seigneur ou la dame de ce pays. J’ai l’honneur d’annoncer Perrin t’Bashere Aybara…

Pour Perrin, il ajouta Seigneur des Deux Rivières, et plusieurs autres titres auxquels Perrin ne pouvait prétendre et dont il n’avait jamais entendu parler, puis il enchaîna sur les Aes Sedai, donnant à chacune son titre honorifique et ajoutant aussi son Ajah. La présentation était très impressionnante. Quand il se tut, ce fut… le silence.

En haut sur les créneaux, des hommes aux visages sales échangeaient des regards sombres et des murmures véhéments, agitant nerveusement leurs arcs et leurs haches. Seuls quelques-uns portaient un casque ou une pièce d’armure. La plupart étaient en grossières tuniques, mais sur l’un d’eux, Perrin crut distinguer de la soie sous une bonne couche de crasse. Difficile d’être sûr, sous cette épaisseur de saleté. Même ses oreilles ne parvenaient pas à saisir ce qu’ils disaient.

— Comment savoir si vous êtes vivants ? cria finalement une voix enrouée.

Berelain cligna des yeux de surprise, mais personne ne rit. C’était une croyance populaire, mais Perrin sentit vraiment ses cheveux se dresser sur sa nuque. Quelque chose n’allait pas. Les Aes Sedai ne semblaient pas y être sensibles. Mais il faut dire que les Aes Sedai pouvaient dissimuler n’importe quoi derrière leur masque de froide sérénité. Annoura branla du chef. Les perles de ses tresses cliquetèrent.

— Ne m’obligez pas à vous prouver que je suis vivante, vous risqueriez de le regretter, annonça tout haut Seonid avec son accent cairhienin, le ton plus véhément que le visage. Et plus encore si vous continuez à me viser avec cet arc.