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— Des lanternes, dit Maîtresse Arnon d’une voix fébrile. Il nous faut des lanternes, ou des torches. Si…

Une boule de lumière apparut, flottant au-dessus de la main d’Annoura, assez forte dans le matin gris pour que tous projettent des ombres légères sur les pavés et les murs. Des marchands mirent leur main en visière pour se protéger les yeux. Au bout d’un moment, Maître Crossin ouvrit la porte en tirant sur un anneau de fer.

À l’intérieur, c’était l’odeur familière de l’orge, presque assez forte pour couvrir la puanteur de la ville. Devant la lumière d’Annoura, de petites formes détalèrent dans l’ombre. Perrin aurait mieux vu sans elle, ou plus loin dans l’obscurité. La boule étincelante projetait une large flaque de lumière, obscurcissant tout le reste. Il sentit la présence d’un chat, plus sauvage qu’apprivoisé. Et aussi un rat. Un couinement dans les profondeurs de l’entrepôt lui indiqua qu’un chat et un rat se battaient. Il y avait toujours des rats dans les greniers à grain, et des chats pour les chasser. C’était réconfortant et normal. Presque assez pour apaiser son malaise. Il sentit par ailleurs une odeur connue. Un miaulement féroce venu du fond se transforma en hurlements de douleur qui cessèrent brusquement. Apparemment, les rats de So Habor étaient de bons chasseurs. De nouveau, les cheveux de Perrin se dressèrent sur sa nuque, mais il n’y avait là certainement rien que le Ténébreux voulût espionner.

Inutile de pénétrer très loin dans l’entrepôt. Des sacs grossiers emplissaient la pénombre, en hautes piles posées sur des claies en bois pour qu’ils ne reposent pas directement sur le sol. Il y avait des rangées et des rangées de piles de sacs montant presque jusqu’au plafond, et sans doute la même quantité à l’étage. Ce niveau-là contenait assez de grain pour nourrir ses gens pendant des semaines. S’approchant de la pile la plus proche, il plongea sa dague dans un sac brun clair et coupa jusqu’en bas la solide toile de jute. Un flot d’orge s’en échappa, et, nettement visibles à la lumière d’Annoura, une multitude de taches noires gigotantes. Des charançons. Il aurait voulu que ses cheveux cessent de se dresser sur sa nuque. Le froid aurait pourtant dû suffire pour tuer les charançons.

Le sac était une preuve. À présent, il connaissait l’odeur des charançons. Il éventra un autre sac, puis un troisième. Tous dégorgèrent un flot de grains d’orge jaunes et de charançons noirs.

Les marchands se tenaient debout sur le seuil, recroquevillés les uns contre les autres, la lumière du jour derrière eux, mais la boule d’Annoura éclairait à plein leurs visages soucieux et désespérés.

— Nous nous ferons un plaisir de vanner chaque sac que vous prendrez, dit Maîtresse Arnon d’une voix mal assurée. Pour une modeste augmentation…

— Pour la moitié du prix convenu tout à l’heure, l’interrompit sèchement Berelain.

Fronçant le nez de dégoût, elle écarta ses jupes des charançons qui détalaient sur les pavés au milieu des grains d’orge.

— Vous ne les enlèverez jamais tous.

— Et pas de millet, dit sombrement Perrin.

Ses hommes avaient besoin de nourriture, et les soldats aussi, mais les grains de millet étaient à peine plus gros que les charançons. Ils pourraient vanner tout leur saoul, ils rapporteraient autant de charançons que de millet.

— Nous prendrons davantage de haricots à la place, mais il faudra les vanner aussi.

Soudain, quelqu’un hurla dans la rue. Il ne s’agissait pas d’un chat attaquant un rat, mais d’un homme terrorisé. Perrin ne réalisa pas qu’il avait empoigné sa hache jusqu’à ce qu’il se retrouve avec son manche dans la main, bousculant les marchands debout devant la porte. Ils se blottirent plus étroitement les uns contre les autres, s’humectant les lèvres, sans même tenter de voir qui avait hurlé.

Kireyin était adossé au mur de l’entrepôt d’en face, son casque étincelant à plumes blanches par terre à côté de sa coupe en étain. Son épée était à moitié dégainée, mais il semblait figé, ses yeux exorbités fixant le mur du bâtiment. Perrin venait de sortir. Il lui toucha le bras et Kireyin sursauta.

— J’ai vu un homme, dit le Ghealdanin, hésitant. Il était là. Il m’a regardé et…

Kireyin se passa la main sur le visage. Malgré le froid, il avait le front luisant de sueur.

— Il a traversé le mur. Vous devez me croire.

Quelqu’un gémit. L’un des marchands, se dit Perrin.

— J’ai aussi vu l’homme, dit Seonid derrière lui, et ce fut à son tour de sursauter.

Son nez ne lui servait à rien dans cette ville !

Jetant un dernier coup d’œil sur le mur que Kireyin lui avait montré, l’Aes Sedai s’en éloigna avec une répugnance palpable. Ses Liges étaient grands, la dominant de toute leur hauteur, mais ils ne laissèrent entre eux et elle que l’espace suffisant pour dégainer.

— Il m’est difficile de mentir, Seigneur Perrin, dit Seonid avec ironie, quand Perrin exprima des doutes, mais son ton redevint bientôt aussi grave que son visage et son regard si intense qu’il suffit à mettre Perrin mal à l’aise. Les morts marchent à So Habor, poursuivit-elle. Le Seigneur Cowlin a fui la ville par peur de l’esprit de son épouse. Il semble qu’il y ait des doutes sur la cause de sa mort. Il n’est pas un homme ou une femme en ville qui n’ait jamais vu un mort marcher. Certains disent que des gens sont morts d’avoir été touchés par un défunt. Je ne peux pas le vérifier, mais des gens sont morts de frayeur. Personne ne sort le soir à So Habor, ni n’entre quelque part sans être annoncé. Les gens frappent sur les ombres avec ce qu’ils ont sous la main, et parfois, ils trouvent à leurs pieds un mari, une épouse, ou un voisin sans vie. Ce n’est pas de l’hystérie ou un conte pour enfants, Seigneur Perrin. Je n’avais jamais entendu parler d’une chose pareille, mais c’est vrai. Vous devez laisser ici l’une d’entre nous.