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Elle alla jusqu’à s’incliner devant lui, à la façon des Seanchanes, c’est-à-dire pliée en deux, ses grands yeux brun pleins d’espoir. Teslyn déglutit et serra sa cape trempée sur sa poitrine. Elle n’avait certes pas surmonté sa peur des sul’dams, malgré son air capable de mastiquer des clous. Joline, hautaine comme toujours, se redressa, les yeux flamboyants. Qu’elle ait ou non la sérénité d’une Aes Sedai, la foudre pouvait aussi bien frapper quand les yeux de Joline se mettaient à flamboyer. C’était souvent le cas avec les jolies femmes.

— Non, dit vivement Mat. C’est inutile. Donnez-moi ces colliers et je m’en débarrasserai.

Par la Lumière, pourquoi s’était-il mis ces femmes sur le dos ? Parfois, ce qui semblait une bonne idée sur le moment pouvait se révéler d’une stupidité totale rétrospectivement.

— Vous n’avez qu’à être toutes très prudentes. Nous ne sommes pas encore à trente miles d’Ebou Dar. Les routes sont truffées de ces maudits Seanchans.

Il lança un regard d’excuse aux trois Seanchanes. Elles étaient de son côté après tout. Façon de parler. Elles n’avaient pas d’autre endroit où aller, sauf Egeanin, et elles savaient qui détenait l’argent. Bethamin haussa les sourcils d’étonnement. Les nobles seanchans ne s’excusaient jamais, même d’un regard.

— Des soldats seanchans ont traversé le village hier, dit Teslyn, avec un accent de l’Illian particulièrement appuyé.

Joline déplaça sur elle ses yeux flamboyants, mais elle n’eut aucune réaction, si ce n’est de se retourner pour suspendre sa cape.

— Sur la route, ils ont posé des questions sur les étrangers. Et certains se sont plaints d’être envoyés dans le Nord.

Teslyn regarda les sul’dams par-dessus son épaule, puis détourna les yeux et prit une profonde inspiration.

— Il semble que le Retour soit dirigé vers l’est. Les soldats croyaient que l’Armée Toujours Victorieuse livrerait l’Illian à leur Impératrice avant la fin du printemps. La Cité proprement dite et tout le reste.

Quand elles allaient à la Tour Blanche, les Aes Sedai renonçaient à leur pays natal, mais pour toutes les Illianeres, la cité d’Illian était simplement la Cité.

— C’est bon, dit Mat, à moitié pour lui-même, réfléchissant.

Les soldats parlaient tout le temps à tort et à travers. C’était l’une des raisons pour lesquelles on ne leur révélait les plans qu’à la dernière minute. Teslyn haussa ses fins sourcils, et il ajouta :

— La route de Lugard sera dégagée sur la plus grande partie du trajet.

Teslyn hocha sèchement la tête, pas très satisfaite. Entre ce que les Aes Sedai étaient censées faire, et ce qu’elles faisaient effectivement, il y avait parfois un monde…

— Nous n’avons parlé à personne, mon Seigneur, seulement surveillé les filles, dit Bethamin, encore plus lentement que d’habitude.

En général, les Seanchans parlaient à la vitesse du miel coulant au milieu d’une tempête de neige. À l’évidence, c’était elle qui commandait dans le groupe des sul’dams. Elle regarda cependant les deux autres avant de poursuivre.

— À Ebou Dar, dans le quartier des sul’dams, on ne parlait que de l’Illian. Pays riche et riche cité où beaucoup gagneraient de nouveaux noms. Et la richesse.

Elle ajouta cela comme si la richesse comptait peu comparée à un nouveau nom.

— Nous aurions dû réaliser que vous aviez besoin de savoir ces choses-là.

Une inspiration profonde faillit faire jaillir ses seins hors de son décolleté.

— Si vous avez des questions, mon Seigneur, nous sommes toutes prêtes à y répondre et à vous dire ce que nous savons.

Renna s’inclina une nouvelle fois, le visage plein de zèle, et Seta dit d’une voix flûtée :

— Nous pourrions écouter dans les villes et les villages où nous nous arrêtons, mon Seigneur. Contrairement à certaines qui pourraient, à juste titre, vous paraître peu fiables, à nous, vous pouvez faire confiance.

Quand une femme vous proposait son aide, est-ce qu’elle commençait toujours par vous jeter dans une marmite d’eau bouillante en attisant le feu dessous ? Le visage de Joline devint un masque de glace dédaigneux, comme si les Seanchanes n’étaient pas dignes de son attention. Son regard réfrigérant tomba sur Mat Cauthon. Edesina pinça les lèvres, et son regard tenta de transpercer Mat et les sul’dams. Même Teslyn parut indignée. Elle était reconnaissante, elle aussi, mais elle était Aes Sedai. Et c’est sur lui qu’elle fronçait les sourcils. Il soupçonnait qu’elle sauterait comme une grenouille terrorisée si une sul’dam frappait dans ses mains.

— Ce que je veux, expliqua-t-il patiemment, c’est que vous restiez toutes dans les roulottes.

Il fallait être patient avec les femmes, Aes Sedai comprises. Il commençait à l’apprendre à ses dépens.

— La moindre rumeur d’Aes Sedai dans cette caravane, et nous serons submergés par les Seanchans. Quelqu’un viendra tôt ou tard vérifier ce qu’il y a derrière ces rumeurs, et nous serons tous dans le pétrin. Ne vous montrez pas. Faites profil bas jusqu’à ce que nous approchions de Lugard. Ce n’est pas trop vous demander, si ?

Les éclairs zébrèrent les fenêtres d’une lumière bleue, et le tonnerre gronda, si proche que la roulotte trembla.

Apparemment, c’était trop demander. Bien sûr, les Aes Sedai relevaient leurs capuchons quand elles sortaient, la pluie le justifiant amplement. Mais l’une d’entre elles voyagea sur le siège du cocher et elles ne firent guère d’efforts pour se faire passer pour des servantes aux yeux des artistes. Elles allaient aussi dans les villages, et parfois dans les villes, persuadées qu’il n’y avait pas de Seanchans. Par deux fois, elles durent revenir précipitamment quand elles se retrouvèrent dans une ville grouillant de colons en route vers le nord. Elles lui rapportaient ce qu’elles apprenaient au cours de leurs sorties. Il pensa que c’était sincère. Teslyn semblait reconnaissante, pour une Aes Sedai. Edesina, plus ou moins.

Malgré leurs différences, Joline, Teslyn et Edesina restaient groupées, comme un troupeau d’oies. Si on en voyait une, on les voyait toutes les trois. Sans doute parce que, lorsqu’elles se promenaient, emmitouflées dans leurs capes et encapuchonnées, Bethamin, Renna et Seta apparaissaient derrière elles une minute plus tard, avec le plus grand naturel, mais sans jamais perdre de vue « les filles ». En gardeuses d’oies. Un aveugle aurait vu qu’il y avait des tensions entre les deux groupes, et qu’aucune d’elles n’était une servante ; les sul’dams ayant souvent occupé des positions respectées, des situations d’autorité, leur attitude était aussi arrogante que celle des Aes Sedai. Mais il était coincé.

Bethamin et les deux autres se méfiaient des Seanchans autant que les Aes Sedai, pourtant elles les suivaient systématiquement quand elles allaient au village ou à la ville, et Bethamin lui rapportait toujours ce qu’elles avaient entendu, avec Renna qui arborait un sourire doucereux et Seta minaudant que « les filles » avaient manqué ceci ou cela, ou prétendaient ne pas avoir entendu. On n’était jamais certain avec quelqu’un ayant l’audace de se qualifier d’Aes Sedai ; peut-être devrait-il penser à les remettre à la laisse, au moins jusqu’à ce qu’ils soient en sécurité.

Leurs informations n’étaient guère différentes de ce que les sœurs lui rapportaient. Les indigènes cancanaient sur ce qu’ils avaient entendu des Seanchans de passage. Beaucoup de colons étaient nerveux, la tête pleine de rumeurs sur la sauvagerie des Aiels qui ravageaient l’Altara, même si les indigènes affirmaient que c’était quelque part dans le Nord. Il semblait que quelqu’un de plus haut placé en soit venu à la même conclusion, parce que beaucoup de colons avaient été détournés vers l’est et l’Illian. Une alliance avait été conclue avec quelqu’un de puissant dont on attendait qu’il donne à la Haute Dame Suroth accès à de nombreux pays. Les sul’dams refusèrent de se laisser convaincre de ne pas écouter les rumeurs. Et elles s’arrangèrent aussi pour ne jamais lui remettre les a’dams. En vérité, les laisses d’argent et les sul’dams étaient ses seuls moyens de pression sur les Aes Sedai. La gratitude ? Venant d’une Aes Sedai ! Non qu’il ait eu l’intention de remettre les sœurs à la laisse. Il était totalement et définitivement coincé.