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— Tout le monde, dit-il.

Tuon hocha-t-elle légèrement la tête, comme se parlant à elle-même ? Pourquoi l’aurait-elle fait ?

— Allons-y, dit-il à Harnan.

Ils durent mettre les chevaux au pas pour traverser la foule jusqu’à la sortie, mais une fois sur la route, Mat lança Pips au galop, sa cape ballonnant derrière lui, et la tête baissée pour empêcher son chapeau de s’envoler. Ce n’était pas une allure qu’un cheval pouvait soutenir très longtemps. L’itinéraire contournait des collines et franchissait des crêtes, et devenait rectiligne quand l’éminence n’était pas trop élevée. Ils franchirent, dans de grandes gerbes d’eau, des rivières où les chevaux avaient de l’eau jusqu’aux chevilles, et foncèrent sur des ponts en bois pour traverser les rivières profondes. Des arbres commençaient à réapparaître sur les pentes, pins et lauréoles verts au milieu des branches dénudées. Des fermes s’accrochaient à quelques collines, des maisons basses en pierre couronnées de tuiles, et des granges plus hautes, avec, de temps en temps, un hameau d’une dizaine de maisons.

À quelques miles du cirque, Mat repéra un gros homme devant lui, assis sur sa selle comme un sac de saindoux. Son cheval isabelle aux jambes déliées avalait le terrain à un trot rapide et régulier. Il était logique qu’un voleur de chevaux soit doté d’un bon animal. Entendant des bruits de sabots, Vanin se retourna et ralentit, mettant sa monture au pas. C’était mauvais signe.

Quand Mat ralentit Pips à côté de lui, Vanin cracha par terre.

— Le mieux pour nous, ce serait de trouver son cheval mort d’épuisement, parce que je pourrais alors la traquer à pied, marmonna-t-il. Elle va plus vite que je ne l’imaginais, surtout à cru. En se dépêchant, on la rattrapera peut-être au coucher du soleil. Si son cheval n’est pas blessé ou crevé, c’est à peu près à ce moment-là qu’elle devrait arriver à Coramen.

Mat renversa la tête en arrière pour regarder le soleil, pratiquement au-dessus de leurs têtes. C’était une longue distance à couvrir en moins d’une demi-journée. S’il tournait bride, il pouvait être à bonne distance de Jurador, dans l’autre sens, d’ici le coucher du soleil, en compagnie de Thom, Juilin et des autres. Avec Tuon. Et les Seanchans aux trousses, avertis qu’ils devaient pourchasser Mat Cauthon. L’homme qui avait kidnappé la Fille des Neuf Lunes n’aurait pas assez de chance pour s’en tirer simplement en étant fait da’covale. Et demain ou après-demain, les Seanchans empaleraient Luca. Luca et Latelle. Petra, Clarine et les autres. Une forêt de pals. Les dés cliquetaient et rebondissaient dans sa tête.

— On peut réussir, dit-il.

Il n’y avait pas d’autre choix.

Vanin cracha.

Il n’existe qu’une façon d’avancer rapidement et sur une longue distance à cheval, si l’on veut préserver sa monture. Il faut le mettre au pas sur un demi-mile, puis au trot sur un autre demi-mile. Même chose au petit galop puis au grand galop, et retour au pas. Le soleil commença à décliner, et les dés tournoyaient. Ils contournaient des collines clairsemées, et longeaient des crêtes couronnées d’arbres. Ils franchissaient des rivières en trois foulées, mouillant à peine les sabots des montures, et des cours d’eau de trente pas de large sur des ponts en bois et en pierre. Le soleil déclina, et les dés tournèrent de plus en plus vite. Presque de retour à l’Eldar, et toujours pas trace de Renna, à part des traces sur la terre battue, que Vanin montrait du doigt comme si c’était des panneaux indicateurs.

— On approche maintenant, marmonna le gros homme.

Mais au ton, il n’avait pas l’air heureux.

Puis ils contournèrent une colline qui dominait un pont en contrebas. Au-delà, la route s’incurvait vers le nord pour franchir une crête par un col. Le soleil rasant les éblouissait. Coramen était de l’autre côté de la crête. Tirant son chapeau sur ses yeux pour se protéger de la lumière, Mat chercha du regard une femme, n’importe laquelle, à cheval ou à pied, et son cœur s’emballa. Vanin jura et montra quelque chose du doigt.

Un alezan couvert d’écume montait péniblement la pente de l’autre côté de la rivière, une femme lui talonnant frénétiquement les flancs, pour accélérer l’allure. Renna avait été trop pressée d’atteindre les Seanchans pour rester sur la route. Elle était peut-être à deux cents pas d’eux, et elle aurait pu être à des miles. Sa monture était sur le point de tomber, mais elle pouvait démonter et courir jusqu’en vue de la garnison avant qu’ils ne la rattrapent. Il ne lui restait plus qu’à atteindre la crête, à une cinquantaine de pieds.

— Mon Seigneur ? dit Harlan.

Il levait son arc, flèche encochée. Gorderan avait sa lourde arbalète à l’épaule, un carreau en place.

Mat sentit quelque chose trembler et mourir en lui. Il ne savait pas quoi. Les dés roulaient comme le tonnerre.

— Tirez, dit-il.

Il avait envie de fermer les yeux. L’arbalète tira ; le carreau décrivit un arc noir dans l’air. Elle était presque parvenue à se relever à l’encolure de l’alezan quand la flèche de Harnan l’atteignit.

Lentement, elle bascula de son cheval, glissant sur la pente, roulant, rebondissant sur les arbustes, de plus en plus vite jusqu’au moment où elle tomba dans la rivière. Un moment, elle flotta sur le ventre contre la rive, puis le courant la saisit et l’emporta, ses jupes ballonnant sur l’eau. Lentement, elle dériva vers l’Eldar. Finalement, elle arriverait peut-être à la mer. Il importait à peine que les dés se soient immobilisés. Cela faisait trois. Jamais plus, pensa-t-il comme Renna disparaissait derrière un coude de la rivière. Même si j’en meurs, jamais plus.

Ils repartirent vers l’est, sans se presser. C’était inutile, et Mat était épuisé. Pourtant, ils ne s’arrêtèrent pas, sauf pour abreuver les chevaux et les laisser souffler. Personne n’avait envie de parler.

Aux petites heures de la nuit, ils atteignirent Jurador, une masse sombre aux portes closes. Des nuages couvraient la lune. Curieusement, le mur de toile du cirque était toujours en place juste au-delà de la ville. Une paire de solides gaillards gardaient l’entrée, enveloppés dans des couvertures, et ronflaient sous la grande banderole. Même de la route et dans l’obscurité, on voyait nettement que les tentes et les roulottes étaient toujours derrière le mur.

— Au moins, je pourrai dire à Luca qu’il n’a plus à s’enfuir, dit Mat avec lassitude, dirigeant Pips vers l’entrée. Peut-être qu’il nous donnera un coin pour dormir un peu.

Pour tout l’or qu’il lui avait laissé, Luca aurait dû lui céder sa propre roulotte, mais le connaissant, Mat n’espérait qu’un tas de paille propre. Demain, il se mettrait en route pour trouver Thom et les autres. Et Tuon. Demain, quand il se serait reposé.

Un plus grand choc l’attendait dans la roulotte de Luca. Elle était grande pour une roulotte, avec une table étroite trônant au milieu et assez d’espace pour circuler autour. La table, le buffet et les étagères cirés brillaient comme des miroirs. Tuon était assise dans un fauteuil doré – Luca avait un fauteuil doré, alors que tout le monde se contentait de tabourets ! –, Selucia debout derrière elle. Luca, rayonnant, regardait Latelle présenter à Tuon un plat de pâtisseries fumantes, que la petite femme noire examinait comme si elle allait vraiment manger un plat préparé par la femme de Luca.

Tuon ne manifesta aucune surprise quand Mat entra dans la roulotte.

— Est-elle captive ou morte ? dit-elle, prenant un gâteau du bout de ses doigts déliés étonnamment gracieux.

— Morte, jeta-t-il. Luca, par la Lumière, qu’est-ce…

— Je l’interdis, Joujou ! dit sèchement Tuon, pointant le doigt sur lui. Je vous interdis de pleurer une traîtresse !