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Un par un, ils s’évanouirent délibérément de sa conscience, jusqu’au moment où il ne resta plus que Chasseuse de Feuilles. La Dernière Chasse est proche, dit-elle enfin, puis elle aussi disparut.

Vous ai-je offensés ? demanda-t-il. Si c’est le cas, c’était par ignorance. Mais il n’y eut pas de réponse. Ces loups-là ne lui parleraient plus de sitôt.

La Dernière Chasse est proche. C’est ainsi que les Loups appelaient la Dernière Bataille, la Tarmon Gai’don. Ils savaient, sans pouvoir l’expliquer, qu’ils assisteraient à la dernière confrontation entre la Lumière et l’Ombre. Pourquoi ? Était-ce écrit par la destinée ? Il était prévu que des loups mourraient au cours de la Dernière Chasse. Mais ils redoutaient autre chose. Perrin aussi avait l’intuition qu’il y serait, mais si la Dernière Bataille se livrait bientôt, il n’y serait pas. Il avait une tâche à accomplir, qu’il ne pouvait pas – qu’il ne voulait pas ! – manquer, même pour la Tarmon Gai’don.

Écartant de son esprit les peurs sans nom et la Dernière Bataille, il ôta ses gantelets et fouilla dans ses poches à la recherche du cordon de cuir qu’il y conservait. Comme tous les matins, ses doigts firent machinalement un nouveau nœud, puis glissèrent le long du cordon, en comptant. Vingt-deux nœuds. Vingt-deux matins depuis l’enlèvement de Faile.

Au début, il n’avait pas jugé utile d’en tenir le compte. Le premier jour, il avait pensé qu’il était transi et engourdi, mais, à la réflexion, il voyait qu’il s’était laissé submerger par une rage aveugle et le besoin dévorant de trouver les Shaidos aussi vite que possible. Des hommes d’autres clans se trouvaient parmi les ravisseurs de Faile, pourtant, d’après les indices, la plupart étaient des Shaidos. Il en était convaincu. Le besoin de leur arracher Faile avant qu’ils ne lui fassent du mal l’avait pris à la gorge. Il sauverait aussi ses compagnes d’infortune, bien sûr, mais parfois, il s’obligeait à en faire la liste pour s’assurer qu’il ne les oubliait pas complètement. Alliandre Maritha Kigarin, Reine du Ghealdan, qui lui avait juré allégeance. Il lui semblait toujours contre nature que quelqu’un lui jure allégeance, surtout une reine – il avait été forgeron autrefois ! –, mais il avait des responsabilités envers Alliandre, et elle n’aurait jamais été en danger si elle ne l’avait pas suivi. Bain, des Shaarads de Roche Noire, Vierge de l’Épée des Aielles, tout comme Chiad, des Goshiens de la Rivière des Pierres, qui avaient suivi Faile au Ghealdan et en Amadicia. Elles avaient aussi affronté les Trollocs aux Deux Rivières, quand Perrin avait eu besoin de toutes les mains capables de tenir une arme. Il leur était donc redevable. Et encore Arrela Shiego et Lacile Aldorwin, deux jeunes écervelées qui espéraient devenir Aielles, ou avaient même l’étrange conviction qu’elles l’étaient déjà. Elles avaient prêté serment à Faile, de même que Maighdin Dorlain, une réfugiée sans le sou que Faile avait prise sous son aile en en faisant sa femme de chambre. Il ne pouvait pas abandonner les gens de Faile. Faile ni Bashere t’Aybara.

La litanie revint. Sa femme, le souffle de sa vie. Avec un grognement, il serra le cordon si fort que les nœuds s’incrustèrent douloureusement dans sa paume durcie par les longs jours passés à manier le marteau à la forge. Par la Lumière, vingt-deux jours !

Travailler le fer lui avait appris que la hâte ruine le métal. Mais au début, il s’était précipité, Voyageant vers le sud à travers des portails créés par Grady et Neald, les deux Asha’man, jusqu’à l’endroit où les dernières traces des Shaidos avaient été repérées. Puis il avait suivi les traces des autres portails que les Asha’man avaient créés. Il s’était rongé d’impatience à chaque heure qu’ils devaient passer à se reposer après avoir créé le premier portail et l’avoir maintenu ouvert le temps que tous le franchissent, l’esprit dévoré du désir de libérer Faile quel qu’en soit le prix. Il avait vécu des jours de souffrances croissantes, à mesure que les éclaireurs se dispersaient de plus en plus loin dans des terres sauvages et inhabitées, sans relever la moindre trace, jusqu’au moment où il avait dû revenir sur ses pas, gaspillant des jours à couvrir un terrain que les Asha’man lui avaient fait franchir en un pas, cherchant des indices d’un changement de direction des Shaidos.

Il aurait dû savoir qu’ils changeraient de direction. Au sud, le climat était plus clément, sans cette neige qui paraissait si étrange aux Aiels, mais cela les aurait rapprochés d’Ebou Dar et donc des Seanchans. Puisque lui-même était au courant pour les Seanchans, et il aurait dû se douter que les Shaidos l’étaient aussi et que, avides de rapines, ces derniers éviteraient tout affrontement ouvert avec les Seanchans et les damanes. Il avait perdu des jours entiers à avancer lentement, derrière les éclaireurs déployés à l’avant, affrontant des tempêtes de neige qui les aveuglaient lui et ses compagnons, les contraignant parfois à s’arrêter, jusqu’à ce qu’enfin Jondryn Barran repère un arbre éraflé par un chariot, et qu’Elyas déterre une hampe de lance brisée enfouie sous la neige. Et Perrin avait enfin tourné vers l’est à deux jours maximum au sud de l’endroit d’où il avait Voyagé la première fois. Réalisant cela, il avait eu envie de hurler, mais il s’était dominé. Il ne pouvait pas céder, pas même d’un pouce, alors que le sort de Faile dépendait entièrement de lui. C’est alors qu’il s’était obligé à contenir sa colère, à la forger.

Les ravisseurs avaient pris beaucoup d’avance parce qu’il s’était montré impatient, mais depuis, il avait retrouvé ses capacités de concentration acquises à la forge. Sa colère s’était durcie et modelée. Depuis qu’il avait retrouvé la piste des Shaidos, il avait borné chaque Voyage à la distance que les éclaireurs pouvaient, d’un saut, effectuer aller et retour entre le lever et le coucher du soleil. Bien lui en avait pris, car les Shaidos changeaient souvent de direction, zigzaguant comme s’ils n’arrivaient pas à se fixer sur une destination. Pour se guider, les éclaireurs utilisaient de vieilles pistes, dénichaient d’anciens camps enfouis sous la neige. Mais tous tombaient d’accord pour dire que le nombre des Shaidos avait démesurément gonflé. Ils devaient être au moins deux ou trois tribus, peut-être davantage, une proie formidable. Pourtant il avait commencé à les rattraper, lentement mais sûrement. C’était là l’important.

Les Shaidos couvraient plus de terrain qu’il n’aurait cru possible, étant donné leur nombre et la neige, pourtant ils ne semblaient pas se soucier qu’on les suive à la trace. Peut-être pensaient-ils que personne ne s’y risquerait. Parfois, ils avaient campé plusieurs jours au même endroit. Villages, petites villes et domaines en ruines marquaient leur passage, comme autant de sauterelles humaines : entrepôts vidés, objets de valeur emportés, hommes et femmes enlevés avec le bétail. Souvent il ne restait personne le temps qu’il arrive, seulement des maisons désertes, les habitants partis ailleurs chercher leur nourriture pour survivre jusqu’au printemps. Il avait traversé l’Eldar en Altara, là où un bac, utilisé par les colporteurs et les fermiers locaux, assurait le passage entre deux villages des rives opposées. Comment les Shaidos avaient-ils traversé, il ne le savait pas, mais il fit ouvrir des portails par les Asha’man. Du bac, il ne restait que les débarcadères désertés où erraient trois chiens sauvages efflanqués qui se sauvèrent à la vue des humains. La colère de Perrin se durcit et prit la forme d’un marteau.