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— Dites à Nerion de ma part qu’il ne doit suivre personne, dit sèchement Perrin. Et dites la même chose à Haviar. Ils devraient le savoir ! Ils doivent observer, écouter et rapporter ce qu’ils ont vu et entendu, rien de plus. Est-ce bien compris ?

Selande hocha vivement la tête, une pointe de peur parfumant un instant dans son odeur. Elle avait peur de lui, supposa Perrin, peur qu’il soit en colère contre elle. Des yeux jaunes chez un homme, ça rend parfois les gens nerveux. Il lâcha sa hache et croisa ses mains derrière le dos.

Haviar et Nerion faisaient partie des deux douzaines de jeunes imbéciles de Faile, l’un Tairen, l’autre Cairhienin. Faile s’était servi d’eux tous comme de ses yeux-et-oreilles, ce qui l’irritait pour une raison inconnue, bien qu’elle lui ait dit ouvertement que l’espionnage était une affaire d’épouse. Un homme doit toujours être attentif, surtout quand il a l’impression que sa femme plaisante. Car ce n’est pas toujours le cas. L’idée même d’espionnage le mettait mal à l’aise, mais si Faile les utilisait pour ce genre de missions, il pouvait le faire, lui aussi, au besoin. Mais juste avec ces deux-là. Masema semblait convaincu que tout le monde, à part les Amis du Ténébreux, était prédestiné à le suivre tôt ou tard, pourtant il finirait par devenir soupçonneux si trop de gens de son entourage quittaient son camp pour rejoindre celui de Perrin.

— Ne l’appelez pas Masema, même ici, ajouta-t-il avec brusquerie.

Depuis peu, il prétendait que l’homme nommé Masema Dagar était mort et avait ressuscité sous le nom de Prophète du Dragon Réincarné, et il supportait mal qu’on mentionne son ancien patronyme.

— Vous parlez n’importe où à tort et à travers, et vous aurez de la chance si ses hommes de main ne vous fouettent pas la prochaine fois qu’ils vous verront toute seule.

Selande hocha la tête gravement, et cette fois sans aucune odeur de crainte. Par la Lumière, ces jeunes idiots n’avaient pas assez de discernement pour savoir qui craindre !

— Le jour va bientôt se lever, dit Balwer, frissonnant et resserrant sa cape autour de lui. Tout le monde sera bientôt réveillé, et mieux vaut discuter de certaines affaires sans témoin. Si ma Dame veut bien continuer son rapport ?

De nouveau, le ton était plus pressant qu’il n’eût convenu, comme si Balwer semblait vouloir contrarier la jeune fille, laquelle sursauta d’embarras et murmura de vagues excuses. Décidément, songea Perrin, Selande et la bande de parasites de Faile ne lui auraient causé que des problèmes.

Tout à coup, il réalisa que l’obscurité était moins dense à ses yeux. Certes, au-dessus de leurs têtes, le ciel était toujours noir et constellé de brillantes étoiles, pourtant il pouvait presque distinguer les couleurs des six rayures striant le devant de la tunique de Selande. Cette nouvelle preuve qu’il avait dormi plus tard que d’habitude lui arracha un grognement. Même épuisé, il ne pouvait pas se permettre de céder à la fatigue ! Il devait écouter le rapport de Selande – elle ne s’inquiétait sans doute pas que Masema envoie des émissaires hors de son camp ; il le faisait presque tous les jours –, pourtant il chercha anxieusement du regard Aram et Steppeur. Quelques signes d’activité lui parvinrent aux oreilles, venant des rangées de piquets, mais il n’entendait aucune manifestation de son cheval.

— La seconde chose, mon Seigneur, c’est que Haviar a vu un grand nombre de tonneaux de poisson et de bœuf séchés portant les marques de l’Altara. Il dit qu’il y a des Altarans parmi les gens de Mas… enfin, du Prophète. Plusieurs semblent être des artisans, et un ou deux pourraient être des marchands ou des fonctionnaires municipaux. En tout cas, des hommes et des femmes établis, dont certains semblent douter d’avoir pris la bonne décision. Peut-être pourrait-on leur poser des questions pour savoir d’où viennent le bœuf et le poisson. Et peut-être vous gagner ainsi quelques yeux-et-oreilles supplémentaires.

— Je sais d’où viennent le bœuf et le poisson, et vous aussi, dit Perrin irrité.

Il ferma les poings dans son dos. Il avait espéré que leur vitesse de déplacement empêcherait Masema et ses sbires de se livrer à des razzias. Car c’étaient bien une bande de pillards, aussi redoutables que les Shaidos, sinon pires. Ils proposaient aux gens de jurer allégeance au Dragon Réincarné, et ceux qui refusaient, parfois même ceux qui hésitaient trop longtemps, périssaient par le feu et l’acier. En tout cas, qu’ils rejoignent ou non les rangs de Masema, ceux qui cédaient devaient faire des dons généreux pour soutenir la cause du Prophète, alors que ceux qui mouraient, accusés d’être à l’évidence des Amis du Ténébreux, avaient leurs biens confisqués. Selon les lois de Masema, on tranchait la main aux voleurs. Mais ces mêmes lois ne qualifiaient jamais de vol leurs propres exactions. Le meurtre et bien d’autres crimes étaient passibles de la pendaison. Pourtant, bon nombre de ses acolytes étaient plus pressés de tuer que de recevoir des serments d’allégeance. Ils obtenaient ainsi davantage de butin. Pour certains, le meurtre était devenu comme une sorte d’exercice de mise en forme.

— Dites-leur de se tenir à l’écart de ces Altarans, poursuivit Perrin. Masema a réuni autour de lui toutes sortes d’individus, et même si on leur a forcé la main, ils deviendront zélés, comme les autres. Ils n’hésiteront pas alors à éventrer un voisin, ou quelqu’un de trop curieux. Ce que je veux savoir, c’est ce que fait Masema, et quels sont ses projets.

Que cet homme qui affirmait haut et fort que quiconque, à l’exception de Rand, avait recours au Pouvoir Unique commettait un sacrilège, qui proclamait n’avoir d’autre désir que de rejoindre Rand dans l’Est, que cet homme eût un plan, c’était une évidence. Comme toujours chaque fois que l’image de Rand s’imposait à Perrin, un tourbillon de couleurs, plus vives que d’habitude cette fois, lui remplit la tête mais sa colère les dissipa. Quoi qu’il en soit, Masema avait accepté le Voyage, ce qui n’était pas seulement du canalisage, mais du canalisage exécuté par des hommes. Et quoi qu’il prétendît, il l’avait fait pour rester dans l’Ouest le plus longtemps possible, et non pour aider à libérer Faile. Perrin accordait sa confiance aux gens jusqu’à ce qu’ils s’en révèlent indignes. Or, la plus infime odeur de Masema lui avait appris qu’il était plus fou et encore moins fiable qu’un chien enragé.

Au début, Perrin avait cru qu’il pourrait mettre fin à cette folie destructrice et à la litanie de meurtres et d’incendies qu’elle engendrait. Masema avait avec lui dix ou douze mille hommes, peut-être plus – se faisant plutôt discret sur leur nombre, et la pagaille et la crasse de leur campement rendaient toute évaluation précise impossible –, tandis que Perrin disposait du quart de ces effectifs, dont plusieurs centaines de cochers et de palefreniers qui constitueraient plus un poids qu’un avantage en cas de combat. Pourtant, avec trois Aes Sedai et deux Asha’man, sans parler de six Sagettes aielles, il était en mesure d’arrêter Masema. Les Sagettes et deux des Aes Sedai seraient tout à fait d’accord pour collaborer. Elles voulaient la mort de Masema. Mais il avait finalement renoncé à cette idée, songeant que disperser l’armée de Masema risquait de la diviser en petites bandes qui s’éparpilleraient dans tout l’Altara et au-delà, toujours tuant et pillant, mais pour leur compte et non plus au nom du Dragon Réincarné. Disperser les Shaidos aura le même résultat, pensa-t-il, puis il écarta cette pensée. Quoi qu’il en soit, il n’avait pas suffisamment de temps devant lui pour se laisser distraire par Masema. Lorsque Faile serait en sécurité, lorsque les Shaidos auraient été brisés comme du petit-bois, alors il s’occuperait de lui.