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— Vous savez peut-être distinguer un fil blanc d’un fil noir, mais pour moi, il ne fait pas encore jour. Je ne vois rien qui puisse nous aider.

— Rengainez ça, lui dit Perrin. C’est inutile.

Il dut caresser Steppeur qui tremblait, pour le faire avancer. Il suivit l’odeur fétide, scrutant devant lui le sol couvert de neige. Il la connaissait déjà, et pas seulement en rêve.

Il ne mit pas longtemps à en trouver l’origine. Steppeur eut un hennissement de reconnaissance quand il l’arrêta à bonne distance d’une crête de pierres plates et grises, de deux toises de large, avançant en saillie sur sa droite. Tout autour, la neige était immaculée, mais des traces de chiens couvraient les pierres inclinées, comme si toute une meute en fuite était passée par là. Malgré l’obscurité, les traces étaient bien visibles pour Perrin : des pattes, plus larges que ses paumes, s’étaient enfoncées dans les pierres comme dans de la boue. De nouveau, il flatta l’encolure de Steppeur. Pas étonnant que l’animal eût peur.

— Retournez au camp et trouvez Dannil, Aram. Dites-lui d’annoncer à tous que des Chiens Noirs sont passés ici il y a environ une heure. Et, encore une fois, rengainez votre épée. Croyez-moi, ce n’est pas avec une telle arme que vous viendrez à bout d’un Chien Noir.

— Des Chiens Noirs ? s’exclama Aram, scrutant les ombres entre les arbres.

Il y avait une nuance de frayeur et d’anxiété dans son odeur. La plupart des gens se seraient esclaffés, pensant à des fables de colporteurs ou de contes pour enfants. Mais les Rétameurs qui parcouraient la campagne en connaissaient les dangers. Aram remit son épée dans son fourreau dorsal avec une répugnance évidente, mais sa main droite resta à moitié levée, prête à en saisir la poignée.

— Comment est-ce qu’on tue un Chien Noir ? Est-il même possible de les tuer ?

Peut-être qu’il n’avait pas beaucoup de bon sens en l’occurrence.

— Félicitez-vous simplement de ne pas avoir à le faire, Aram. Maintenant, partez comme je vous l’ai dit. Tout le monde doit être très vigilant au cas où ils reviendraient. Il y a peu de risques, mais il vaut mieux être prudent.

Perrin se rappelait avoir rencontré une meute, un jour, et en avoir tué un. Du moins le croyait-il, après l’avoir frappé de trois larges flèches. Les Engeances de l’Ombre ne meurent pas facilement. Moiraine avait dû achever la meute avec le malefeu.

— Assurez-vous que les Aes Sedai, les Sagettes et les Asha’man sont prévenus.

Il y avait peu de chances qu’aucun d’entre eux sût faire du malefeu – les femmes, si c’était le cas, n’avoueraient pas plus que les hommes sans doute qu’elles connaissaient un tissage interdit – mais peut-être connaissaient-ils d’autres moyens aussi efficaces.

Aram se montra très réticent à quitter Perrin jusqu’à ce que celui-ci élève la voix. Alors, il fit pivoter sa monture en direction du camp, laissant derrière lui des odeurs de susceptibilité froissée et de rancœur, comme si deux hommes auraient été plus en sécurité qu’un seul. Dès qu’il fut hors de vue, Perrin tourna Steppeur vers le sud, dans la direction que les Chiens Noirs avaient prise. Il ne souhaitait aucune compagnie, pas même celle d’Aram. Même si les autres avaient remarqué sa vue perçante et son odorat développé, ce n’était pas une raison pour en faire étalage. Il y avait déjà assez de motifs de le fuir sans en rajouter.

Même si c’était peut-être un coup de chance que ces créatures soient passées si près du camp, depuis ces dernières années, les coïncidences le mettaient très mal à l’aise. Trop souvent, ça n’en était pas vraiment. Si c’était une nouvelle manifestation de sa nature de ta’veren qui provoquait le Dessin, il aurait pu s’en passer. La chose semblait avoir plus d’inconvénients que d’avantages, même si elle paraissait jouer en sa faveur. La chance, qui vous favorisait dans l’instant, pouvait se retourner contre vous au suivant. Et il y avait toujours une autre possibilité. Être ta’veren vous faisait ressortir dans le Dessin, et certains Réprouvés pouvaient se servir de cette particularité pour vous retrouver ; c’est du moins ce qu’on lui avait dit. Peut-être que les Engeances de l’Ombre le pouvaient aussi.

La piste qu’il suivait était relativement fraîche, pas plus d’une heure, pourtant il ressentait une certaine raideur entre ses omoplates, un picotement dans son cuir chevelu. Le ciel était toujours gris foncé, même à ses yeux, là où il était visible. Le soleil n’était pas encore monté au-dessus de l’horizon. C’était le pire moment pour rencontrer la Chasse Sauvage, celui où l’obscurité faisait peu à peu place à la lumière sans avoir encore pris possession du monde. Heureusement il n’avait repéré aucun carrefour ni aucun cimetière dans les parages. Mentalement, il enregistra qu’une rivière coulait à proximité, où les habitants du camp puisaient l’eau après avoir cassé la glace. Elle n’avait que dix ou douze toises de largeur, et son niveau était peu profond, pas plus haut que le genou, mais on disait souvent que l’eau arrêtait les Chiens Noirs. Mais Perrin savait d’expérience que les affronter les arrêtait aussi. Il flaira le vent, cherchant à y déceler l’odeur plus ou moins fraîche de leur passage pour éviter de se faire surprendre, la pire des situations qui puissent être pour les affronter.

Steppeur percevait les odeurs aussi facilement que Perrin, souvent même il les reconnaissait avant lui. Mais chaque fois qu’il s’arrêtait, Perrin le forçait à avancer. De nombreuses traces étaient disséminées dans la neige ; des sabots de patrouilles montées, quelques traces de lapins et de renards, mais les seules marques laissées par les Chiens Noirs se trouvaient sur les pierres enneigées. L’odeur d’œuf pourri y était plus forte qu’ailleurs. Les énormes empreintes de pattes se chevauchaient, rendant impossible le décompte des Chiens Noirs. La meute était plus nombreuse que celle des dix monstres qu’il avait vue en Illian. Beaucoup plus. Est-ce la raison de l’absence de loups dans la région ? Il était sûr que la sensation de mort imminente de son rêve était quelque chose de réel. Il avait été un loup dans le rêve.

Comme la piste commençait à s’incurver vers l’ouest, il éprouva une suspicion croissante qui se transforma bientôt en certitude quand il vit qu’elle continuait à tourner. Les Chiens Noirs avaient fait le tour complet du camp, en passant par le nord du camp où plusieurs immenses arbres à moitié déracinés s’appuyaient sur leurs voisins, exhibant la blessure d’une grosse branche arrachée sur leur tronc fendu. Les traces couvraient un affleurement rocheux plat et lisse comme un sol de marbre, excepté une fine rainure droite, comme tirée au cordeau. Rien ne résistait à l’ouverture d’un portail par un Asha’man. Or deux avaient été ouverts ici. Un gros pin abattu avait une partie du tronc brûlée, mais les sections calcinées étaient aussi nettes que si elles avaient été pratiquées à la scie. Pourtant, il semblait que ces manifestations de l’usage du Pouvoir Unique n’aient guère intéressé les Chiens Noirs. La meute ne s’était pas arrêtée là plus qu’ailleurs, et n’avait apparemment pas ralenti. Les Chiens Noirs pouvaient courir aussi vite que des chevaux, et plus longtemps, et leur odeur ne semblait pas s’être évaporée davantage dans un endroit que dans un autre. En deux points de leur parcours, Perrin avait remarqué que la piste formait une fourche, mais c’était seulement parce que la meute, arrivée par le nord, était partie vers le sud. Après un tour du camp, ils avaient repris leur course derrière ce qu’ils pourchassaient.