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Si, elle, réalisa-t-il soudain. Il n’y avait aucune senteur de sueur ou de crasse sous son léger parfum floral. Cela l’irrita d’avoir remarqué qu’elle portait du parfum, ou qu’elle sentait le propre. Un sentiment de trahison.

Les yeux de Berelain se dilatèrent un instant de stupeur – pourquoi ? –, puis elle soupira à travers son sourire, qui commençait à paraître figé, et un soupçon d’irritation s’immisça dans son odeur.

— Faites monter votre tente. Je sais qu’il y a une bonne baignoire en cuivre dans l’une de vos charrettes.

Vous avez forcément dû la garder. Les gens veulent qu’un noble ait l’air digne, Perrin, et cela inclut d’être présentable, même si c’est un effort supplémentaire. C’est un marché entre vous et eux. Vous devez leur donner ce qu’ils attendent, ou vous perdrez leur respect. Franchement, aucun de nous ne peut se permettre un tel luxe. Nous sommes tous loin de chez nous, entourés d’ennemis, et je crois sincèrement que vous, Seigneur Perrin les Yeux-d’Or, êtes notre seule chance de vivre pour retourner dans nos foyers. Sans vous, tout se désintègre. Maintenant, souriez, parce que nous sommes censés nous séduire.

Perrin s’exécuta. Les Mayeners et les Sagettes les regardaient à cinquante pas de là, et dans cette pénombre, cela pouvait passer pour un sourire. Perdre le respect ? Berelain avait contribué à le dépouiller du respect que lui portaient autrefois les gens des Deux Rivières, sans parler des serviteurs de Faile. Pis, Faile lui avait déjà servi plusieurs fois une version de ce sermon sur le devoir d’un noble de donner à ses gens ce qu’ils attendaient de lui. Il lui en voulait car ses paroles faisaient écho à celles de Faile.

— Qu’avez-vous à me dire de si grave pour que vous soyez ainsi préoccupée à l’idée que vos gens puissent entendre ? Vous n’avez pas confiance en eux ?

Son visage demeura lisse et souriant, malgré le courant de peur sous-jacente qui s’accentuait dans son odeur. C’était très loin de la panique, mais elle se sentait en danger. Ses mains gantées étaient crispées sur ses rênes.

— J’ai envoyé mes preneurs-de-larrons fouiner dans le camp de Masema pour s’y faire des « amis ». Ils ne sont pas aussi efficaces que des yeux-et-oreilles, mais ils y ont emporté du vin, qu’ils étaient censés m’avoir volé, et ils ont appris certaines choses en laissant traîner leurs oreilles.

Un instant, elle le regarda, dubitative, penchant la tête. Par la Lumière ! Elle savait que Faile se servait de Selande et des autres idiots pour espionner ! C’était Berelain qui l’avait averti de leurs activités. Sans doute que Gendar et Santés, ses preneurs-de-larrons, avaient vu Haviar et Nerion au camp de Masema. Balwer devait être averti avant qu’il ne lâche Medore sur Berelain et Annoura. Sinon, ça ferait un beau sac de nœuds.

Comme il ne disait rien, elle poursuivit.

— J’ai mis quelque chose dans ce panier en plus du pain et de la bécasse. Un… document… que Santés a trouvé hier de bonne heure, enfermé à clé dans le bureau de campagne de Masema. L’imbécile n’a jamais pu voir une serrure sans vouloir découvrir ce qu’elle protégeait. S’il voulait savoir ce que Masema gardait sous clé sans l’alerter, il aurait dû le mémoriser au lieu de l’emporter, mais ce qui est fait est fait. Faites attention à ce que personne ne vous voie le lire après que je me suis donné tant de mal pour le cacher ! ajouta-t-elle sèchement comme il soulevait le couvercle, révélant un paquet enveloppé d’un linge et dégageant des odeurs plus fortes d’oiseau rôti et de pain chaud.

— J’ai déjà vu des hommes de Masema vous suivre. Ils pourraient être en train de nous surveiller !

— Je ne suis pas idiot, grommela-t-il.

Il savait que Masema le faisait surveiller. Beaucoup de ses partisans étaient des citadins, et la plupart des autres étaient assez maladroits dans les bois pour faire honte à un enfant des Deux Rivières. Ce qui ne voulait pas dire qu’un ou deux n’étaient pas camouflés quelque part dans les arbres, assez près pour espionner dans l’ombre. Ils gardaient toujours leurs distances, car ses yeux leur faisaient croire qu’il était une sorte d’Engeance de l’Ombre à moitié apprivoisée, alors il détectait rarement leurs odeurs, et il avait d’autres choses en tête ce matin.

Écartant le linge, il découvrit la bécasse grosse comme un petit poulet, avec une peau dorée et croustillante. Il en arracha une cuisse tout en tâtonnant sous le paquet, glissant vers lui un morceau d’épais papier de couleur crème plié en quatre. Sans se soucier des taches de graisse, il le déplia sur l’oiseau, un peu gauche dans ses gantelets, et lut tout en mangeant la cuisse de bécasse. Vu de loin, il semblait reluquer le prochain morceau de gibier auquel il allait s’attaquer. Un épais sceau de cire verte, brisé d’un côté, représentait trois mains, chacune avec l’index et l’auriculaire levés et les autres doigts repliés. Les lettres écrites en cursive étaient bizarrement formées, certaines indéchiffrables, mais le texte restait lisible avec un peu d’effort.

« Le porteur de ce message est sous ma protection personnelle. Au nom de l’impératrice, puisse-t-elle vivre à jamais, donnez l’aide qu’il requiert au service de l’Empire et n’en parlez à personne sauf à moi.

Par son sceau
Suroth Sabelle Meldarath
d’Asinbayar et Barsabba
Haute Dame »

— L’Impératrice, dit-il doucement, d’une voix crissante comme du fer frôlant de la soie.

Cela confirmait que Masema traitait avec les Seanchans, bien qu’il n’ait jamais eu besoin de confirmation. Ce n’était pas le genre de chose à propos de quoi Berelain aurait menti. Suroth Sabelle Meldarath devait être quelqu’un d’important pour envoyer ce type de message.

— Ce document la conduira à sa perte, quand Santés révélera l’endroit où il l’a trouvé.

Au service de l’Empire ? Masema savait que Rand avait combattu les Seanchans ! L’arc-en-ciel explosa dans sa tête et fut balayé aussitôt. Masema était un traître !

Berelain gloussa comme s’il avait dit quelque chose de spirituel, sauf que maintenant, elle riait jaune.

— Santés m’a dit que personne ne l’a vu au milieu de l’agitation qui régnait quand ils montaient le camp. Alors, je les ai autorisés, lui et Gendar, à y retourner avec mon dernier tonneau de bon Tunaighan. Ils étaient censés revenir une heure après la tombée de la nuit, mais je n’ai revu ni l’un ni l’autre. Je suppose qu’ils pourraient être en train de cuver quelque part, mais ils n’ont jamais…

Elle s’interrompit avec un petit cri, le fixant avec stupéfaction, et il réalisa que, d’un coup de dents, il venait de casser l’os de la cuisse. Par la Lumière, il avait mangé toute la chair sans s’en apercevoir !

— Je suis plus affamé que je ne pensais, marmonna-t-il.

Crachant les éclats d’os dans son gantelet, il jeta le reste par terre.

— On peut raisonnablement penser que Masema sait que vous avez ce document en votre possession. J’espère que vous avez de nombreux gardes autour de vous, jour et nuit, et pas seulement quand vous sortez du camp.

— Gallenne a détaché cinquante hommes pour dormir autour de ma tente depuis hier soir, dit-elle, le fixant toujours.

Il soupira. On aurait cru que c’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un briser un os en deux d’un coup de dents.

— Que vous a dit Annoura ?

— Elle voulait que je lui donne ce papier pour le détruire, afin que, si on me questionnait, je puisse dire que je ne l’avais pas et que j’ignorais où il était, et que, de son côté, elle puisse certifier que je disais vrai. Mais je doute que cela aurait satisfait Masema.

— Peu probable, en effet.

Annoura devait le savoir aussi. Les Aes Sedai pouvaient être entêtées ou même écervelées à l’occasion, mais elles n’étaient jamais stupides.