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— A-t-elle dit qu’elle détruirait ce document, ou que, si vous le lui donniez, elle pouvait le détruire ?

Berelain fronça pensivement les sourcils, et il lui fallut un moment avant de répondre.

— Elle a dit qu’elle le détruirait.

L’alezan piaffa d’impatience, mais elle le contrôla facilement, machinalement.

— Je ne vois pas pour quoi d’autre elle le voudrait, dit-elle après une nouvelle pause. Il est peu probable que Masema soit sensible à… des pressions.

Elle voulait dire « chantage ». Perrin non plus ne voyait pas Masema sensible à un chantage. Surtout venant d’une Aes Sedai.

Faisant mine d’arracher une autre cuisse à la bécasse, il parvint à replier le papier en quatre et à le glisser dans sa manche, où son gantelet l’empêcherait de tomber. C’était toujours une preuve. Mais de quoi ? Comment cet homme pouvait-il être à la fois un fanatique du Dragon Réincarné et un traître ? Pouvait-il avoir volé ce document à… ? À qui ? Mais pourquoi Masema l’aurait-il gardé sous clé s’il ne lui était pas destiné ? Il avait rencontré des Seanchans. Et comment avait-il l’intention de l’utiliser ? Qui pouvait dire ce que ce document permettrait à un homme d’exiger ? Perrin poussa un profond soupir. Il y avait trop de questions en suspens. Les réponses exigeaient un esprit plus vif que le sien. Maître Balwer aurait peut-être une idée.

Mis en appétit par la première cuisse, son estomac lui réclamait celle qu’il tenait à la main, et le reste de la volaille, mais il ferma le couvercle et s’obligea à manger à petites bouchées. Il y avait une chose qu’il pouvait trouver tout seul.

— Annoura a-t-elle dit autre chose ? Sur Masema.

— Rien, à part qu’il était dangereux, et que je devais l’éviter. Comme si je ne le savais pas ! Elle ne l’aime pas et n’aime pas parler de lui.

Nouvelle brève hésitation, puis Berelain ajouta :

— Pourquoi ?

La Première de Mayene avait l’habitude des intrigues, et elle prêtait l’oreille aux non-dits.

Perrin mordit une nouvelle bouchée de bécasse pour se donner le temps de réfléchir pendant qu’il mastiquait et avalait. Lui, il n’avait pas l’habitude des intrigues, pourtant il avait été mêlé à suffisamment d’entre elles pour savoir qu’en dire trop était dangereux. En dire trop peu également, quoi qu’en pensât Balwer.

— Annoura a rencontré Masema en secret. Masuri aussi.

Le sourire figé de Berelain était toujours là, mais une nuance d’inquiétude s’immisça dans son odeur. Elle s’apprêtait à se retourner sur sa selle pour regarder les deux Aes Sedai, quand elle s’immobilisa, s’humectant les lèvres du bout de la langue.

— Les Aes Sedai ont toujours leurs raisons, dit-elle simplement.

Était-elle alarmée que sa conseillère rencontre Masema, ou que Perrin le sache, ou… ? Il détestait toutes ces complications, qui se mettaient en travers des choses importantes. Par la Lumière, il avait déjà fait un sort à la seconde cuisse ! Espérant que Berelain ne l’avait pas remarqué, il jeta vivement les os par terre. Son estomac grogna, exigeant la suite.

Les gens de Berelain avaient gardé leurs distances, mais Aram s’était rapproché d’eux, et se penchait pour les regarder à travers les arbres. Les Sagettes étaient debout sur le côté, bavardant entre elles, apparemment indifférentes à la neige qui leur arrivait aux chevilles et au vent froid qui avait suffisamment forci pour faire claquer leurs châles. De temps en temps, l’une ou l’autre des trois regardait aussi en direction de Berelain et Perrin. La discrétion n’empêchait jamais une Sagette de fourrer son nez où elle voulait. En cela, elles ressemblaient aux Aes Sedai. Masuri et Annoura les observaient, elles aussi, tout en paraissant garder leurs distances entre elles. Perrin aurait parié que, sans la présence des Sagettes, les deux sœurs auraient utilisé le Pouvoir Unique pour les écouter, lui et Berelain. Naturellement, les Sagettes savaient sans doute le faire aussi, et elles avaient autorisé Masuri à rendre visite à Masema. Les deux Aes Sedai grinceraient-elles des dents si elles voyaient les Sagettes écouter avec le Pouvoir ? Annoura semblait presque aussi méfiante que Masuri à l’égard des Sagettes. Par la Lumière, il n’avait pas de temps à perdre avec ce buisson d’épines ! Pourtant, il devait vivre en plein milieu.

— Nous avons donné suffisamment matière à commérages aux mauvaises langues, dit-il.

Non que lesdites langues aient eu besoin de matière. Accrochant l’anse du panier au pommeau de sa selle, il talonna les flancs de Steppeur. Le fait de manger un oiseau n’était pas une infidélité.

Berelain ne le suivit pas tout de suite, mais avant qu’il rejoigne Aram, elle le rattrapa et ralentit son alezan près de lui.

— Je vais découvrir ce qu’Annoura mijote, dit-elle d’un ton ferme, braquant ses yeux droit devant elle, le regard dur.

Perrin aurait plaint Annoura s’il n’avait pas été résolu lui-même à lui soutirer des réponses. Mais les Aes Sedai ont rarement besoin qu’on les plaigne, et donnent exceptionnellement les réponses qu’elles veulent garder pour elles. L’instant suivant, Berelain était de nouveau tout sourires, mais l’odeur de la détermination continuait à l’entourer, étouffant presque celle de la peur.

— Le jeune Aram nous a tout raconté sur le Fléau-du-Cœur traversant ces bois avec la Chasse Sauvage, Seigneur Perrin. Est-ce possible, à votre avis ? Je me rappelle avoir entendu ces histoires à la nursery.

Elle parlait d’une voix légère, amusée, et qui portait. Aram rougit, et derrière lui, quelques soldats s’esclaffèrent.

Ils cessèrent quand Perrin leur montra les traces sur les tables de pierre.

7

Puzzle de forgeron

Quand les rires se turent, Aram arbora un sourire suffisant, sans l’odeur de crainte qu’il émettait un peu plus tôt. N’importe qui aurait pensé qu’il avait déjà vu les traces lui-même et qu’il connaissait tout ce qu’il y avait à savoir. Pourtant, personne ne prêta guère attention à lui, ni même à Perrin qui leur disait que les Chiens Noirs étaient passés depuis longtemps. Ils avaient les yeux rivés sur ces énormes empreintes imprimées dans la pierre. Naturellement, il ne pouvait pas leur dire comment il le savait, mais personne ne sembla remarquer ce détail. Un rayon de soleil matinal tombait en plein sur la dalle de pierre, l’éclairant nettement. Steppeur s’était habitué à l’odeur de soufre très atténuée à présent, se contentant de s’ébrouer et de coucher les oreilles, mais les autres chevaux bronchaient devant la pierre inclinée. Aucun des hommes, sauf Perrin, ne pouvait détecter cette odeur, et la plupart grondaient devant la nervosité de leurs montures et scrutaient la pierre aux marques étranges comme si c’était une curiosité proposée par un cirque.

La servante dodue de Berelain hurla en voyant les marques, et chancela, menaçant de tomber de sa jument qui piaffait nerveusement. Berelain demanda d’un air distrait à Annoura de s’occuper d’elle, puis elle fixa les traces, aussi impassible que si elle était elle-même Aes Sedai. Pourtant, elle crispa les mains sur ses rênes au point que le cuir s’éclaircit au-dessus des phalanges. Bertain Gallenne, le Seigneur-Capitaine des Gardes Ailés, en casque rouge orné de trois ailes en relief et de trois fines plumes cramoisies, qui commandait en personne la garde de Berelain, força son grand hongre noir à s’approcher de la pierre, descendit de cheval, s’enfonçant dans la neige qui lui arrivait jusqu’aux genoux, ôta son casque pour observer les traces de son unique œil. Un couvre-œil en cuir écarlate cachait son orbite vide, la courroie partageant ses cheveux gris tombant jusqu’aux épaules. Sa grimace signifia qu’il ne voyait là rien de bon, mais il commençait toujours par le pire. Chez un soldat, Perrin supposait que c’était préférable à trop d’optimisme.