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Masuri descendit de cheval, elle aussi, mais à peine eut-elle touché terre qu’elle s’immobilisa, les rênes de sa jument pommelée à la main, et regarda avec hésitation vers les trois Aielles hâlées par le soleil. Quelques Mayeners marmonnèrent, mal à l’aise devant cette attitude, pourtant ils auraient dû y être habitués maintenant. Annoura enfonça la tête dans sa capuche grise, comme si elle ne voulait pas voir la pierre, et secoua énergiquement la servante de Berelain ; la femme la regarda, les yeux exorbités d’étonnement. Masuri attendait près de sa jument, dans un calme apparent, qu’elle démentait en lissant nerveusement les jupes rouille de sa robe d’équitation en soie. Les Sagettes se regardèrent en silence, aussi impassibles que les sœurs elles-mêmes. Nevarin se tenait entre Carelle, maigrichonne aux yeux verts, et Marline, brune aux yeux bleu nuit, les rares, parmi les Aiels, à ne pas être complètement cachées par leurs châles. Toutes les trois étaient grandes, aussi grandes que certains hommes, et semblaient n’avoir que quelques années de plus que Perrin. Mais personne n’aurait pu arborer ce calme et cette assurance sans bien davantage d’années que n’en attestaient leurs visages. Malgré leurs longs colliers et leurs lourds bracelets d’ivoire et d’or, elles ressemblaient à des paysannes avec leurs grosses jupes noires, leurs châles et leurs blouses blanches. Cependant, entre elles et les Aes Sedai, il n’y avait pas le moindre doute quant à celles qui commandaient.

Finalement, Nevarin hocha la tête. Et eut un sourire approbateur et chaleureux. Jusque-là, Perrin ne l’avait jamais vue sourire. Nevarin n’avait jamais un visage renfrogné, mais elle semblait toujours chercher quelqu’un à réprimander.

Masuri attendit ce hochement de tête, et sourit chaleureusement. Son Lige n’était nulle part en vue. Ce devait être sur l’ordre des Sagettes. En général, Rovair la suivait comme son ombre. Retroussant ses jupes divisées, elle pataugea dans la neige, plus profonde à mesure qu’elle approchait de la pierre, et se mit à passer les mains au-dessus des traces, canalisant manifestement, sans que Perrin s’aperçût d’aucune manifestation. Les Sagettes la surveillaient étroitement. Les tissages de Masuri étaient visibles pour elles. Bien qu’Annoura n’exprimât aucun intérêt particulier, les tresses de la Sœur Grise frémissaient comme si elle secouait la tête dans sa capuche. Elle écarta son cheval de la servante, largement hors du champ visuel des Sagettes, bien que cela l’éloignât de Berelain dont n’importe qui pouvait penser qu’elle avait besoin de ses conseils. En fait, Annoura évitait les Sagettes autant qu’elle le pouvait.

— Contes de la veillée en marche… marmonna Gallenne, éloignant son hongre de la pierre avec un regard en coin à Masuri.

Il respectait les Aes Sedai. Pourtant, peu d’hommes aimaient se trouver près de l’une d’elles en train de canaliser.

— Je ne sais pas pourquoi je m’étonne encore après tout ce que j’ai vu depuis que j’ai quitté Mayene.

Concentrée sur les traces, Masuri ne parut pas le remarquer.

Une légère agitation parcourut les rangs des lanciers à cheval, incrédules avant que leur commandant ne leur en donne confirmation. Quelques-uns émirent des odeurs de peur et de malaise, comme s’ils pensaient que les Chiens Noirs allaient sortir des ombres pour leur sauter dessus. Perrin ne pouvait pas facilement isoler les odeurs individuelles dans un groupe aussi important, mais les relents étaient trop forts pour émaner d’un seul d’entre eux.

Gallenne semblait sentir la même chose que Perrin ; il avait ses défauts, mais il avait une longue expérience du commandement. Suspendant son casque à la poignée de son épée, il eut un grand sourire, auquel le couvre-œil donna quelque chose de macabre, celui d’un homme qui pouvait comprendre une plaisanterie face à la mort, et attendait des autres qu’ils en fassent de même.

— Si les Chiens Noirs nous ennuient, nous leur salerons les oreilles, annonça-t-il à haute et intelligible voix. C’est ce qu’on fait dans les contes, n’est-ce pas ? On leur saupoudre les oreilles de sel, et ils s’évanouissent.

Quelques lanciers rirent, mais l’odeur de peur ne diminua pas vraiment. Les histoires racontées au coin du feu, c’était une chose, les personnages en chair et en os de ces mêmes histoires, c’en était une autre.

Gallenne dirigea son hongre noir vers Berelain et posa une main gantée sur l’encolure de l’alezan. Il gratifia Perrin d’un regard entendu, qu’il lui retourna comme s’il ne comprenait pas l’allusion. Quoi que l’homme ait à dire, il pouvait le faire devant lui et Aram. Gallenne soupira.

— Ils ne craqueront pas, ma Dame, dit-il doucement, mais le fait est que notre situation est précaire, avec des ennemis de tous les côtés et des provisions qui s’épuisent. Ces Engeances de l’Ombre ne peuvent qu’empirer la situation. Je suis votre obligé et celui de Mayene, ma Dame, et avec tout le respect dû au Seigneur Perrin, vous pouvez modifier vos plans.

La colère crépita en Perrin – cet homme voulait abandonner Faile ! –, mais Berelain parla avant qu’il ne puisse le suggérer.

— Il n’y aura pas de modifications, Seigneur Gallenne.

Parfois, il était facile d’oublier que Berelain était une souveraine, même d’un tout petit État, mais il y eut dans sa voix une nuance digne d’une Reine d’Andor. Très droite sur sa selle, elle semblait assise sur un trône. Elle parla assez fort pour s’assurer que tout le monde connaisse sa décision.

— Si nous avons des ennemis tout autour de nous, continuer n’est pas plus dangereux que revenir sur nos pas. Pourtant, si la retraite était dix fois plus sûre, je continuerais quand même. J’entends que Dame Faile soit sauvée, même si nous devons combattre un millier de Chiens Noirs et des Trollocs en prime. Cela, je l’ai juré !

Des rugissements d’acclamations lui répondirent, les Gardes Ailés braillant et brandissant leurs lances dont les rubans rouges dansaient. L’odeur de peur demeura, mais les hommes semblaient prêts à se tailler un chemin à travers les Trollocs plutôt que se dévaloriser aux yeux de Berelain. Gallenne les commandait, mais ils ressentaient plus que de la tendresse pour leur souveraine, malgré sa réputation de séductrice. Peut-être en partie à cause d’elle. Berelain avait empêché Tear d’avaler Mayene en jouant un homme qui la trouvait très belle, contre un autre. Perrin eut du mal à ne pas en rester bouche bée de surprise. Elle semblait aussi déterminée que lui ! Gallenne inclina sa tête grise, acceptant à contrecœur, et Berelain eut un petit hochement d’approbation avant de tourner son attention sur l’Aes Sedai proche de la pierre.

Masuri avait cessé de passer les mains au-dessus de la dalle et fixait maintenant les empreintes de pattes, tapotant pensivement ses lèvres de l’index. Elle était jolie sans être belle, et il fallait peut-être attribuer cela à l’éternelle jeunesse des Aes Sedai, avec une grâce et une élégance qui venaient peut-être aussi de sa nature d’Aes Sedai. Il était parfois difficile de distinguer une sœur née dans une ferme misérable d’une autre née dans un palais. Perrin l’avait vue rouge de fureur, épuisée et au bout du rouleau. Pourtant, malgré les difficultés du voyage et la vie dans les tentes des Aielles, ses cheveux noirs et ses vêtements étaient aussi soignés que si elle avait eu une femme de chambre.

— Qu’avez-vous appris, Masuri ? demanda Berelain. Masuri, s’il vous plaît ? Masuri ?

Ce dernier mot fut prononcé un peu plus sèchement, et Masuri sursauta, comme étonnée de s’apercevoir qu’elle n’était pas seule. Elle était sans doute stupéfaite ; à bien des égards, elle tenait plus de l’Ajah Verte que de la Brune, plus attirée par l’action que par la contemplation, directe et précise. Pourtant, elle était capable de se perdre complètement dans ce qui la passionnait. Croisant les mains à la taille, elle ouvrit la bouche, mais au lieu de parler, elle hésita et lança un regard interrogateur aux Sagettes.