Выбрать главу

— Merci, dit-elle à contrecœur.

— Je ne vous demande pas de gratitude, dit-il doucement. Ne me regardez pas comme si vous alliez me mordre parce que vous n’avez pas pu mordre Nadric.

Elle parvint à ne pas lui montrer les dents – elle n’aurait pas pu feindre la docilité en cet instant, même si elle l’avait voulu – avant de se détourner et de retourner dans la rue. Ses jambes tremblaient encore assez pour qu’elle ait l’air de tanguer. Les gai’shains qui passaient jetaient à peine un coup d’œil dans sa direction en peinant lourdement sous leurs baquets d’eau. Peu de captifs avaient envie de partager les problèmes des autres. Ils avaient assez des leurs.

Retrouvant son panier de linge sale, elle soupira. Il avait été renversé, les blouses de soie blanche et les jupes de soie noire divisées s’étaient répandues sur les cendres de la chaussée. Au moins, personne n’avait marché dessus, semblait-il. Redressant son panier, elle se mit à ramasser les vêtements, secouant la terre et les cendres qui n’étaient pas incrustées dans certains, prenant grand soin de ne pas en mettre sur les autres. Contrairement à Someryn, Sevanna s’était mise à aimer la soie. Elle ne portait plus rien d’autre. Elle était aussi fière de ses soies que de ses bijoux. Elle serait très mécontente si certains de ces vêtements ne revenaient pas propres.

Comme Faile ramassait la dernière blouse, Rolan passa près d’elle et souleva le panier d’une main. Prête à le rabrouer – elle pouvait porter seule ses propres fardeaux, merci bien ! – elle ravala ses paroles. Son cerveau était sa seule arme véritable, sans se laisser emporter par la colère. La présence de Rolan n’était pas due au hasard. Cela aurait dépassé les limites de la crédulité. Elle l’avait rencontré trop fréquemment depuis sa capture, il l’avait suivie. Qu’est-ce qu’il avait dit à Nadric ? Qu’il ne l’avait pas donnée à Sevanna, pas plus qu’il n’avait offert de la lui vendre. Bien qu’il l’ait capturée, elle pensait qu’il désapprouvait qu’on transforme ceux des Terres Humides en gai’shains – c’était l’avis de tous les Sans-Frères – mais apparemment, il revendiquait toujours ses droits sur elle.

Elle était certaine de ne pas avoir à craindre qu’il n’abuse d’elle. Rolan en avait déjà eu l’occasion, quand elle s’était retrouvée nue et ligotée, mais il l’avait regardée sans plus d’intérêt qu’un poteau. Peut-être n’aimait-il pas les femmes. En tout cas, les Sans-Frères étaient presque aussi étrangers que ceux des Terres Humides au monde des Shaidos. Aucun Shaido n’avait vraiment confiance en eux, et les Sans-Frères eux-mêmes se comportaient souvent comme des hommes qui se bouchaient les yeux, acceptant ce qu’ils considéraient comme un moindre mal, mais plus très sûrs de ce qu’était ce moindre mal. Si elle pouvait s’en faire un ami, peut-être accepterait-il de l’aider. Non pas pour l’évasion – ce serait trop demander – quoique… Après tout… La seule façon de le savoir, c’était d’essayer.

— Merci, répéta-t-elle, cette fois avec un sourire.

À sa surprise, il lui répondit d’un léger petit sourire, à peine perceptible, les Aiels n’étant généralement pas démonstratifs. Ils arboraient plutôt un visage dur comme la pierre quand on ne les connaissait pas.

Ils firent quelques pas côte à côte en silence, lui portant le panier d’une main, elle retroussant ses jupes. On aurait pu croire qu’ils se promenaient. Certains gai’shains les regardaient, surpris, puis baissaient vite les paupières. Faile ne voyait pas comment aborder la question – elle ne voulait pas qu’il pense qu’elle cherchait à le séduire ; il aimait peut-être les femmes après tout. Ce fut lui qui prit l’initiative.

— Je vous ai observée, dit-il. Vous êtes forte, farouche et vous n’avez pas peur, je crois. La plupart de ceux des Terres Humides ont une peur bleue. Ils tempêtent jusqu’à ce qu’on les punisse, et après ils pleurnichent et tremblotent. Je pense que vous êtes une femme de beaucoup de ji.

— J’ai peur, répondit-elle. J’essaie juste de ne pas le montrer. Pleurer ne sert jamais à rien.

C’est ce que croient la plupart des hommes. Les pleurs sont envahissants parfois, mais quelques larmes versées le soir peuvent vous aider à atteindre le lendemain.

— Il y a un temps pour pleurer et un temps pour rire. J’aimerais vous voir rire.

Elle rit, d’un rire sans joie.

— Je n’ai pas beaucoup de raisons de rire tant que je porte le blanc, Rolan.

Elle le regarda du coin de l’œil. Est-ce qu’elle allait trop vite en besogne ? Mais il se contenta de hocher la tête.

— J’aimerais quand même voir ça. Le sourire convient à votre visage. Le rire lui irait encore mieux. Je n’ai pas d’épouse, mais je peux faire rire une femme de temps en temps. J’ai entendu dire que vous avez un mari ?

Stupéfaite, Faile trébucha et se rattrapa à son bras. Elle retira vivement sa main, l’observant à la dérobée. Il s’arrêta, juste le temps qu’elle retrouve son équilibre, puis se remit à marcher. Il semblait modérément curieux, sans plus. Chez les Aiels (en dépit du comportement de Nadric), la coutume voulait que la femme prenne les devants, quand un homme avait suscité son intérêt. Lui faire des cadeaux était un moyen d’éveiller cet intérêt. La faire rire en était un autre.

— J’ai un mari, Rolan, que j’aime beaucoup. Vraiment beaucoup. Il me tarde de le retrouver.

— Ce qui arrive en tant que gai’shaine ne peut pas être retenu contre vous quand vous quittez le blanc, dit-il avec calme, mais vous ne voyez peut-être pas les choses ainsi, vous autres des Terres Humides. Quand même, on peut se sentir bien seul quand on est gai’shaine. Nous pourrions peut-être bavarder ensemble de temps en temps.

Il voulait la voir rire, et elle ne savait pas si elle devait rire ou pleurer. Il lui annonçait qu’il n’avait pas l’intention de renoncer à elle. Les Aielles admiraient la persévérance chez un homme. Mais si Chiad et Bain ne pouvaient pas, ne voulaient pas l’aider autrement qu’en l’accompagnant jusqu’aux arbres, Rolan était sa meilleure chance. Elle pensa pouvoir le convaincre, avec le temps. Bien sûr qu’elle le pouvait ; qui ne risque rien n’a rien ! Il était un exclu méprisé, uniquement toléré parce que les Shaidos avaient besoin de sa lance. Mais pour ça, elle allait devoir lui donner une raison de persister.

— Ça me ferait plaisir, dit-elle prudemment.

Peut-être devrait-elle lui conter fleurette. Comme elle venait de lui dire qu’elle aimait beaucoup son mari, elle ne pouvait pas jouer les aguicheuses tout de suite après. Non qu’elle eût l’intention d’aller aussi loin – elle n’était pas une Domanie ! –, pourtant, il serait peut-être nécessaire d’en passer par là. Pour le moment, un léger rappel que Sevanna avait usurpé ses « droits » serait peut-être utile.

— Mais j’ai un travail à faire maintenant, et je doute que Sevanna apprécierait que je perde mon temps à bavarder avec vous.

Rolan hocha la tête. Faile soupira. Il savait peut-être faire rire une femme, comme il le prétendait, mais il n’était pas très loquace. Elle allait avoir du travail pour le faire sortir de sa coquille et obtenir de lui autre chose que des blagues qu’elle ne comprendrait pas.

Même avec l’aide de Chiad et Bain, l’humour des Aiels lui restait incompréhensible.

Ils étaient arrivés à la grande place devant la forteresse, à la limite nord de la cité, masse imposante de pierre grise qui n’avait pas mieux protégé les habitants que les murailles. Faile crut voir la dame qui avait gouverné Malden et les terres environnantes dans un rayon de vingt miles, une veuve élégante et digne dans la force de l’âge, parmi les porteuses d’eau. La place pavée grouillait d’hommes et de femmes en blanc portant des seaux. Sur le côté est, se dressait ce qui ressemblait à une section du mur d’enceinte, grise et haute de trente pieds. C’était en réalité le mur d’une immense citerne alimentée par un aqueduc. De quatre pompes, chacune actionnée par deux hommes, jaillissait l’eau pour remplir les seaux, dont une partie se répandait sur les dalles. Faile avait envisagé la possibilité de ramper dans le conduit de l’aqueduc pour s’évader. Or comme elle n’avait rien pour protéger leurs vêtements, si elle et ses compagnes y parvenaient, elles seraient trempées et auraient plus de chances de mourir de froid que de parcourir un mile ou deux dans la neige.