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Egwene profita de l’occasion pour consulter les rapports remis par Siuan, mais elle ne put pas se concentrer sur les rumeurs venues de l’Illian et les insinuations en provenance du Cairhien. Là-dedans, rien ne semblait justifier les propos de Theodrin au sujet d’une affaire qui affolait les représentantes jaunes. Et si elle avait su quelque chose, Siuan en aurait parlé.

Comme si la regarder feuilleter des documents était un spectacle fascinant, Maigan et Myrelle ne quittèrent pas Egwene des yeux. Elle aurait bien fichu dehors les deux sœurs, mais pas avant de savoir ce que Myrelle pensait du jour où Shadar Logoth avait disparu de la surface du monde. Et en congédier une sans congédier l’autre aurait été fort maladroit. Que les Ténèbres les emportent !

Quand Siuan revint avec l’infusion et le miel à la menthe de Maigan, un jeune soldat en cuirasse et cotte de mailles entra derrière elle. Originaire du Shienar, le garçon avait le crâne rasé à l’exception d’un toupet, au sommet.

Jeune, peut-être, mais plus vraiment dans la jeunesse… Sur une joue, Ragan portait une cicatrice laissée par une flèche, et son visage avait la dureté typique des hommes qui vivent chaque seconde en compagnie de la mort. Pendant que Siuan faisait le service, il s’inclina, son casque à crête sous un bras et sa main libre sur le pommeau de son épée. Dans son expression, rien n’indiquait qu’il avait déjà rencontré Egwene.

— Te servir est un honneur, mère. C’est le seigneur Bryne qui m’envoie. Il te fait savoir que les maraudeurs adverses ont traversé le fleuve, la nuit dernière. Avec des Aes Sedai… Le seigneur a doublé la garde et les patrouilles. Et il conseille que les sœurs ne s’éloignent pas trop du camp, pour éviter des incidents.

— Mère, puis-je me retirer ? demanda Siuan avec la voix pincée d’une femme prise d’un besoin pressant.

— Oui, oui, fit Egwene, agacée.

Sans attendre que la sœur bleue soit sortie, elle enchaîna :

— Soldat, tu diras au seigneur Bryne que les Aes Sedai vont où elles veulent quand elles veulent.

Egwene ferma la bouche avant de donner du « Ragan » au militaire. Une manœuvre qui réussit surtout à accentuer son air sévère, ce qui n’était pas si mal, après tout.

— Je le lui dirai, mère, fit Ragan en s’inclinant de nouveau. Cœur et âme à ton service.

Avec un petit sourire, Maigan regarda le soldat quitter la tente. Si elle jugeait les Champions bienfaisants et nécessaires, elle n’aimait pas les militaires – des types qui faisaient des dégâts et laissaient les autres les réparer. En revanche, elle appréciait tout ce qui semblait éloigner Egwene de Gareth Bryne. Ou devait-on dire que Lelaine appréciait ces choses-là ? Sur ce point, Maigan était sa marionnette.

Myrelle parut perplexe. Elle savait qu’Egwene et le général s’entendaient bien…

Egwene se leva et alla se servir une tasse d’infusion, puisque Siuan était partie avant d’avoir terminé le service. Elle y ajouta un peu de miel à la menthe et se réjouit de voir que ses mains ne tremblaient pas.

Les bateaux étaient en position… Dans quelques heures, Leane sortirait du camp avec Bode et s’en éloignerait sans avoir expliqué ce qu’elles allaient faire. Larine devrait accepter un châtiment mérité, et Bode s’acquitterait de la mission qui lui revenait. Après tout, quand on l’avait envoyée traquer des sœurs noires, Egwene était plus jeune qu’elle.

Cœur et âme, les héros du Shienar luttaient contre les Ténèbres le long de la frontière avec la Flétrissure. Les Aes Sedai et les femmes qui voulaient devenir des sœurs, elles, servaient la Tour Blanche. Une arme plus dévastatrice pour les Ténèbres que n’importe quelle lame, et pas moins dangereuse pour une main imprudente.

Quand Romanda arriva, Theodrin la précédant pour lui tenir le rabat, elle se fendit d’une révérence millimétrée. Exactement ce qu’on attendait d’une représentante quand elle se trouvait devant la Chaire d’Amyrlin. Cependant, elles n’étaient pas au Hall… Si la dirigeante y était la première parmi des égales, dans son bureau, elle aurait dû être traitée avec plus d’égards, même par Romanda.

Pourtant, la sœur jaune grisonnante ne fit pas mine d’embrasser la bague au serpent. Une sorte d’affront… Puis elle lorgna Myrelle et Maigan comme si elle envisageait de leur demander de sortir. Voire de le leur ordonner. Un point épineux… Les représentantes entendaient être obéies, mais aucune des deux sœurs n’appartenait à l’Ajah Jaune. Et la scène se déroulait dans le bureau de la Chaire d’Amyrlin.

Romanda ne fit rien, sinon tendre à Theodrin son manteau orné de fleurs jaunes délicatement brodées, puis lui faire signe de servir une tasse d’infusion. Theodrin obéit avec empressement, battit en retraite dans un coin et entreprit de bouder en triturant son châle.

Romanda prit place sur le dernier tabouret. Si branlant qu’il fût, elle parvint à donner l’impression de siéger au Hall, voire d’être installée sur un trône.

— Les pourparlers tournent mal, dit-elle de sa voix aiguë musicale. (Avec elle, tout prenait des allures de proclamation.) Varilin s’en mord les lèvres de rage. Magla est furieuse, et même Saroiya perd son calme. Quand elle grince des dents, la plupart des sœurs en seraient déjà à hurler de colère.

À part Janya, toutes les représentantes en place avant le schisme de la tour s’étaient invitées aux négociations. Puisqu’elles débattaient avec des femmes qu’elles avaient connues au Hall, à Tar Valon, ça semblait logique. Du coup, Beonin en était réduite à des tâches subalternes.

Romanda trempa les lèvres dans sa tasse, puis elle la reposa sur la soucoupe et ne desserra pas les dents. Sans avoir besoin d’un dessin, Theodrin accourut, prit la tasse, alla ajouter un peu de miel, rapporta l’infusion à la représentante et retourna dans son coin. Quand elle goûta de nouveau la boisson, Romanda eut un hochement de tête approbateur et Theodrin en rosit d’aise.

— Les négociations avancent comme elles peuvent, dit Egwene, sans trop se mouiller.

Romanda s’était opposée à toute sorte de pourparlers, ambigus ou pas. Et elle était informée de ce qui arriverait le soir même. Ne rien dire au Hall aurait été un affront inutile.

Quand elle hocha la tête, le chignon de Romanda, plaqué sur sa nuque, oscilla un peu.

— Nous avons déjà appris une chose, dit-elle. Elaida ne laissera aucune marge de manœuvre aux représentantes qui parlent en son nom. À la tour, elle a creusé son trou, comme un rat dans un mur. La seule façon de la déloger, c’est de lui envoyer des furets.

Myrelle émit un bruit de gorge, ce qui lui valut un regard surpris de Maigan. Imperturbable, Romanda continua à fixer Egwene.

— Elaida sera destituée d’une manière ou d’une autre, dit la jeune Chaire d’Amyrlin en posant sa tasse.

Sans trembler, toujours… Qu’avaient donc appris ces femmes ? Et comment ?

Romanda regarda son infusion avec l’ombre d’une grimace, comme s’il n’y avait pas assez de miel, tout compte fait. Ou était-ce la déception qu’Egwene n’en ait pas dit plus long ? Quoi qu’il en soit, elle pivota sur son tabouret comme une escrimeuse qui se préparerait à un nouvel assaut, sa lame levée.

— Mère, il y a ces choses que tu as dites sur la Famille… Plus de mille femmes, au lieu de quelques dizaines. Et certaines âgées de cinq ou six cents ans. (Romanda secoua la tête pour souligner qu’elle n’y croyait pas.) Comment la tour a-t-elle pu passer à côté de tout ça ?

Moins une question qu’un défi…

— Nous savons depuis peu qu’il y a beaucoup de Naturelles parmi les Atha’an Miere, répondit Egwene, faussement conciliante. Et nous n’avons toujours pas idée du nombre exact.

La grimace n’eut plus rien d’une ombre, cette fois. C’était Romanda qui, la première, avait confirmé la présence à Illian de centaines de Naturelles du Peuple de la Mer. Première touche pour Egwene !