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— Bela n’est pas un poney, dit sèchement Egwene. Conduisez-moi à Bode Cauthon.

Jaillissant des ombres, une dizaine d’hommes entourèrent Bela et sa cavalière. À l’évidence, ils croyaient avoir affaire à Siuan, mais ça n’avait aucune importance. Pour eux, toutes les Aes Sedai se valaient, donc ils guidèrent Egwene jusqu’à l’endroit où Bode attendait, perchée sur un cheval à peine plus grand que Bela et enveloppée dans un manteau sombre. Dessous, elle portait une robe noire. En pleine nuit, le blanc se serait trop vu.

Reconnaissant Bela, Bode lui caressa une oreille dès qu’Egwene l’eut rejointe.

— Attends-moi ici, dit Egwene à sa compagne. Quand ce sera fait, tu pourras rentrer avec moi.

Comme si la voix d’Egwene lui blessait les oreilles, Bode retira vivement sa main du crâne de Bela.

— Pourquoi ? lança-t-elle. (Une question, pas un défi – au moins, elle avait appris ça.) Je peux le faire. Leane Sedai m’a expliqué, et je m’en sens capable.

— Je sais, mais tu feras moins bien que moi. Pour le moment…

Une façon de présenter les choses qui ressemblait trop à une critique imméritée.

— Je suis la Chaire d’Amyrlin… Certaines décisions me reviennent, et quand je peux faire quelque chose mieux qu’une novice, je ne dois pas le lui demander.

Ça n’était pas beaucoup plus gentil, mais Egwene ne pouvait pas parler de Larine, de Nicola et du prix que la Tour Blanche exigeait de toutes ses filles. La Chaire d’Amyrlin ne pouvait pas se confier à une novice sur le premier sujet – et Bode n’était pas prête à en apprendre plus sur le second.

Même dans le noir, la posture de la jeune femme indiquait qu’elle ne comprenait pas. Mais elle avait appris à ne pas discuter avec une Aes Sedai. Et désormais, l’idée qu’Egwene était bel et bien une sœur s’était ancrée dans sa caboche. Ce qu’il fallait savoir de plus, elle aurait bien le temps de l’apprendre. Pour le lui enseigner, la Tour Blanche prendrait tout son temps…

Quand elle eut mis pied à terre, Egwene tendit les rênes de Bela à un des soldats, puis elle souleva l’ourlet de sa jupe pour patauger dans la neige jusqu’à l’endroit d’où montaient les sons étouffés.

Comme un traîneau, des hommes poussaient sur la neige une grosse barque qui ne se laissait pas aisément diriger entre les arbres. Dès qu’ils s’avisèrent qu’une sœur les avait rejoints, les hommes mirent une sourdine à leurs jurons. Devant une Aes Sedai, ils préféraient tenir leur langue, et qui d’autre qu’une sœur aurait pu venir au bord du fleuve en pleine nuit ?

Savaient-ils qu’elle n’était pas la femme censée les accompagner à l’origine ? Peut-être, mais aucun n’aurait osé discutailler avec une Aes Sedai.

Attentifs à faire le moins de bruit possible, les types poussèrent la barque dans l’eau. Six d’entre eux montèrent à bord et installèrent les rames dans les dames de nage enveloppées de chiffons. Histoire que le pont ne craque pas sous leurs pas, ces hommes étaient pieds nus malgré le froid. En principe, de plus petites embarcations sillonnaient ces eaux, mais ce soir, il allait falloir maîtriser les courants.

Sur la rive, un type tendit la main à Egwene pour l’aider à embarquer. À la proue, elle s’assit sur un banc, les pans de son manteau serrés sur son torse.

Presque sans bruit, si on oubliait le clapotis de l’eau sous les rames, la barque s’éloigna de la berge.

Egwene regarda devant elle, en direction du sud et de Tar Valon, dont les murs blancs scintillaient à la lueur de la lune et des fenêtres éclairées. À croire que l’île s’était unie au saidar et rayonnait de son aura.

Géante illuminée par l’astre nocturne, la Tour Blanche réussissait à attirer l’œil même dans l’obscurité.

Soudain, une ombre passa devant la lune. Retenant son souffle, Egwene crut un instant que c’était un Draghkar – un mauvais présage, en cette nuit plus que toute autre. Mais il devait simplement s’agir d’une chauve-souris. Avec l’approche du printemps, ces animaux recommençaient à s’aventurer dehors. Son manteau bien serré autour d’elle, la jeune femme regarda de nouveau la ville, dont la silhouette grandissait à vue d’œil.

Quand le haut mur du port du Nord se dressa devant eux, les rameurs ralentirent pour éviter que la barque le percute. Surprise, Egwene tendit un bras, comme pour empêcher la collision. Sans nul doute, un tel vacarme n’aurait pas échappé aux sentinelles postées sur les remparts.

La manœuvre réussit à la perfection, la barque s’arrêtant si près de la lourde chaîne qui défendait l’entrée du port qu’Egwene aurait pu la toucher sans difficulté.

Mais elle n’en eut pas besoin, et ne dut pas attendre non plus. Unie à la Source, elle eut à peine conscience du frisson vital qui l’envahit juste avant que le tissage soit en place. De la Terre, du Feu et de l’Air entourèrent la chaîne, seuls les deux premiers Pouvoirs la touchant. Sur toute la largeur de l’entrée du port, le fer noir fut traversé par un éclair blanc.

Egwene eut à peine le temps de comprendre que quelqu’un avait canalisé le Pouvoir, sur les remparts. Puis une onde percuta la barque – frappant en même temps la jeune femme, qui bascula dans le vide.

L’eau froide dans sa bouche et dans ses narines… L’obscurité… Le néant…

Egwene sentit une surface dure sous elle. Puis elle entendit des voix de femmes très excitées.

— Vous savez qui c’est ?

— Tiens, tiens… Le résultat est inespéré, ce soir… Bien meilleur que prévu, en tout cas…

Quelqu’un fit boire Egwene, et un liquide chaud au goût légèrement mentholé coula dans sa gorge. Consciente qu’elle était gelée, la jeune femme avala avidement. Puis elle ouvrit les yeux et les riva sur le visage de la femme qui lui soutenait la tête d’une main et la faisait boire de l’autre.

À la lueur des lampes brandies par des soldats, la jeune Chaire d’Amyrlin reconnut les traits sans âge d’une Aes Sedai.

Apparemment, elle était à l’intérieur du port du Nord.

— C’est ça, ma fille, dit la sœur d’un ton réconfortant. Bois jusqu’à la dernière goutte. La dose suffira, pour le moment…

Egwene voulut écarter la tasse puis s’unir au saidar, mais elle se sentit de nouveau glisser dans le néant.

Des gens l’attendaient… Quelqu’un l’avait trahie. Oui, mais qui ?

Épilogue

Une réponse

Devant une fenêtre, Rand regardait la pluie qui se déversait du ciel gris. Un nouvel orage venu de la Colonne Vertébrale du Monde. Le Mur du Dragon…

Oui, le printemps approchait. De toute façon, il finissait toujours par arriver. Plus tôt ici, en Tear, que dans son territoire natal, même si les signes avant-coureurs manquaient encore.

Des éclairs bleu-argent zébraient le ciel quelques secondes avant que le tonnerre déchire le silence. Une tempête lointaine…

Sur le flanc de Rand, les blessures le torturaient. Et le héron gravé dans chacune de ses paumes lui faisait un mal de chien.

Parfois, murmura Lews Therin, la douleur est le seul signe qu’on est encore vivant…

Rand ignora le bavardage du spectre.

Dans son dos, la porte grinça et il tourna la tête pour regarder l’homme qui venait d’entrer dans le salon. Vêtu d’une veste courte en soie chatoyante, Bashere portait à la ceinture, en sus de son épée, son bâton de Maréchal du Saldaea – un sceptre d’ivoire couronné d’une tête de loup en or. À force d’être cirées, ses bottes à revers brillaient plus que des miroirs.

Rand tenta de ne pas laisser transparaître son soulagement. Ses ambassadeurs étaient restés absents bien trop longtemps…

— Alors ? demanda-t-il.