— Putain, qu’est-ce que tu fous ?
— Je me fume un petit pétard.
— Tu déconnes ?
Le claquement du zippo répondit que non. Titus tira sa première taffe, puis tendit le joint à la hiérarchie.
Qui refusa.
— Tu crois que tu vas pouvoir nous faire chier comme ça encore longtemps ?
— Tant qu’on vendra du chocolat dans la rue, j’imagine.
Les yeux du chauffeur riaient dans le rétro.
— Toi, je t’en propose pas, tu conduis.
Le chauffeur avait encore les oreilles rosées de la jeunesse. Titus lui demanda :
— Claudia Cardinale, ça te dit quelque chose, à toi, Claudia Cardinale ?
Non, fit la tête du chauffeur.
— Et Visconti ? demanda Titus.
— Qui ça ? demanda le chauffeur.
— Baisse les vitres ! ordonna Menotier.
— Et Sergio Leone ? Ça te rappelle quoi, Sergio Leone ?
Non, le chauffeur ne voyait pas. Ses yeux montraient qu’il aurait bien voulu aider, mais non.
— Baisse les vitres, merde ! gueula Menotier.
— Et Mitterrand ? demanda Titus au chauffeur.
Cette fois, le chauffeur eut le sourire qui sait :
— C’était un président de la République ! Juste après la guerre, ajouta-t-il… Après la Libération et tout ça.
— Putain tu vas baisser ces vitres, oui ?
— T’affole pas, Menotier, conclut Titus en montrant le chauffeur, on est morts. Tu vois bien, on n’existe plus. Il n’y a que lui qui soit vivant dans cette bagnole !
Au chauffeur, il demanda :
— Comment tu t’appelles ?
— Manin*.
— T’es avec nous depuis longtemps ?
— C’est ma première semaine, répondit Manin.
Feu rouge.
— Baisse les vitres, mon p’tit Manin.
Au nuage qui s’élevait de cette voiture de police, un gamin, sur le trottoir, crut rêver.
— Ariana, moi je pense que tu as peur.
Ariana Lapietà démentit.
— Titus, avec Georges on en voit de toutes les couleurs, je t’assure. On est blindés, Tuc et moi.
— Quel genre de couleurs ?
Elle sourit.
— Oh ! C’est pas ce que tu crois. Il n’y a pas moins battue que moi comme femme dans la vie. Et si ça te regardait je te dirais même qu’il n’y a pas de femme plus…
— Ariana, tu as peur de quelque chose et tu ne le dis pas.
Il la vit jeter un œil vers la cuisine de Liouchka.
Il demanda :
— Penses-tu que ton homme se soit enlevé lui-même ? C’est la thèse de mon collègue.
— Non.
— Pourquoi ? À cause du déguisement ? On ne se déguise pas en pêcheur de carnaval quand on veut disparaître ? C’est ça ?
— Non. Oui, bien sûr, mais non.
— C’est autre chose ?
Cette sensation d’enfiler des perles, toujours, dans les interrogatoires… Une par une.
— Faut pas avoir peur de moi, mon p’tit cousin. Je suis un flic qui peut la fermer si on le lui demande. Je sais beaucoup plus de choses que je n’en ai dites dans ma vie.
Elle eut un sursaut joyeux.
— Georges dit tout, lui, sans arrêt !
Ça va être plus long que prévu, estima Titus.
— Tu pourrais nous commander deux autres cafés ?
Ce qu’elle fit.
— Il est bon, le café de Liouchka, dit-elle en revenant de la cuisine. Georges en a bu quatre, jeudi, avant d’y aller.
Elle avait besoin de parler de Georges.
— Il était nerveux ?
— Non, il voulait juste faire poireauter les administrateurs. Il les imaginait en train de l’attendre. Il s’amusait et il m’amusait. Ça l’amuse de m’amuser.
— Et toi, ça t’amuse ?
La réponse fut éblouissante :
— Oh ! Ouiiii ! Follement !
Titus offrit à l’incroyable sourire le temps de retomber. Puis, il enfila la perle suivante.
— Tu les as comptés ?
— Quoi donc ?
— Les cafés qu’il a bus avant d’y aller.
— Comment ça, comptés ?
— Tu me dis qu’il en a bu quatre. Tu ne me dis pas trois ou quatre, tu me dis quatre.
Elle fronçait les sourcils, elle ne comprenait pas. Il insista.
— Combien avons-nous bu de cafés, hier, mon collègue et moi, pendant l’interrogatoire ?
Elle essaya de compter mentalement. Il l’attendit, comme s’il l’aidait encore à faire ses devoirs. Mais elle n’y arrivait pas trop.
— Ariana, une femme qui compte les cafés que prend son homme avant de sortir est une femme qui attend quelque chose.
Il s’abstint d’ajouter ou quelqu’un.
— Tu étais pressée qu’il s’en aille ?
— Non, ce n’est pas ça !
L’exclamation lui avait échappé.
— Qu’est-ce que c’est, alors ?
Regard désemparé :
— Il devait revenir très vite !
— Vous aviez quelque chose à faire de particulier ? Une urgence ?
— …
— N’aie pas peur, bon Dieu…
— Il comptait revenir très vite, il fallait qu’il revienne, il…
Mais non, ça ne passait pas.
— Ça ne regarde pas la police, dit-elle tout à coup, ça ne regarde personne, ça n’a rien à voir avec l’enlèvement, c’est un truc qui dure depuis longtemps, qui ne regarde que Georges, ça ne concerne pas sa vie professionnelle et il ne veut absolument pas que ça se sache.
— Et toi ?
C’était pour lui laisser le temps de reprendre son souffle.
— Moi, quoi ?
— Toi non plus, tu ne veux pas que ça se sache ?
— Il ne faut pas que ça se sache, Titus ! Pour Georges ce serait…
— Il y a un rapport entre le fait qu’il ait bu ces quatre cafés et l’obligation de revenir vite ?