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ALCESTE : Ah ! Quand même ! Enfin un peu de spontanéité !

*

Remonter à Paris pour retrouver ce cirque…

Pourquoi ?

Pourquoi ne pas prendre ma retraite, tout bonnement.

Hein ?

Zabo m’en doit au moins deux : retraite d’employé et retraite de personnage. Ça devrait chiffrer un peu.

Allez, restons ici. Laissons la Reine se démerder avec ses plumes suicidaires.

Le soleil est tout à fait couché à présent. Le Grand Veymont n’est plus que sa masse nocturne et l’hiver alpin s’insinue, aiguisé déjà, dans l’automne à peine entamé.

Frisquet, frisquet.

— Julie, on rentre ?

Bien entendu, Julius le Chien nous précède.

IV

LA PETITE

« En fait, j’y suis allé comme un chien truffier, sur cette affaire ; j’ai mis dans le mille au premier coup de pif. Un instinct, décidément ? Se peut-il qu’on soit flic à ce point-là ? »

Adrien Titus

13

Le soleil se couche sur le Vercors et Paris s’embrase. Musique à tous les carrefours. Les orchestres jaillissent du bitume. La course aux décibels brouille les communications téléphoniques. Son portable à l’oreille, le capitaine Adrien Titus hurle :

— C’est la petite, ça, non ? C’est pas la petite ?

Il vient d’envoyer la photo de la fille de la pharmacie à Silistri.

— Comment veux-tu que je te dise ? Elle devait avoir douze ans la dernière fois que je l’ai vue. Et puis, c’est toi, le parrain, c’est pas moi.

— Demande à Hélène* ! hurle Titus. Ma main au feu que c’est la petite !

— Hélène ne décroche plus quand je l’appelle. Tu n’as qu’à leur demander à eux !

— Pas sans en être sûr ! Je te rappelle qu’on s’est déjà gourés une fois avec eux.

Tout autour de Titus, l’incendie musical fait des ravages. La fiesta des mômes à crête : tecktonik, hip-hop, breakdance, et que je m’autofilme la prouesse, selfie, selfie ! Et que je la mette aussi sec en ligne.

— Et toi, tu es où, là ?

C’est une question que le capitaine Adrien Titus pose au divisionnaire Joseph Silistri.

— À Créteil. Chez LAVA. Une bande d’allumés ont cru malin de coincer Ménestrier, Ritzman, Vercel et Gonzalès dans leur salle de réunion. Ils les soupçonnent d’avoir exfiltré Lapietà, tu t’imagines ? Il va falloir qu’on sorte ces quatre cons de là, mes gars et moi. Pour le reste le ramier fait fouiller tous les entrepôts et vider tous les containers. Il est à cran. On a embastillé suffisamment de délégués du personnel pour obstruer les couloirs de la PJ jusqu’au week-end. Aucune trace de Lapietà, bien sûr.

— Comment tu vas t’y prendre pour libérer tes grossiums ?

— J’attends des renforts. Une compagnie de CRS. Ça va être chaud. Écoute !

Le divisionnaire Silistri a dû tendre son portable par une fenêtre ouverte parce que le capitaine Adrien Titus entend nettement le monde du travail souhaiter la mort des financiers, l’extermination des actionnaires et la sodomie de la police nationale. Un temps, la fureur de Créteil couvre la musique de Paris.

— Bon et toi, qu’est-ce que tu vas faire avec ta photo ?

— Je vais suivre mon pressentiment en espérant me gourer.

Après le départ de Manin, le pressentiment du capitaine Adrien Titus l’a conduit à la pharmacie de Youssef Delage. Titus a bloqué le rideau du bout du pied à la seconde de la fermeture. Protestation du pharmacien. Carte de police. Le pharmacien rouvre. Caméra de surveillance, s’il vous plaît, vite ! Le capitaine Adrien Titus s’est offert une projection privée. Il a voulu voir la fille au duffel-coat en mouvement. Il l’a vue. Cette façon de bouger… merde. Il a voulu entendre sa voix. L’accent british est bidon, pseudo-shakespearien. Ça sent son théâtre amateur. Merde de merde de merde, elle est anglaise comme je suis malgache ! Il ne la reconnaît pourtant plus. Plus vraiment. Plus tout à fait. Moins. Un peu quand même. C’est elle ? Ce n’est pas elle ? Il faut dire qu’avec ces nattes et ce duffel-coat… Moins conforme à son look habituel, on ne peut pas imaginer. Il a filmé sur son portable la séquence entière. Dans le métro, il se la repasse en boucle. La fille entre dans la pharmacie, elle baratine Youssef en jouant les Ophélie au bord de la noyade. Youssef la bouffe des yeux. Se taper Ophélie pour son quatre heures, ça devient son projet de vie. La fille ressort avec les sondes. Dix secondes passent, Youssef la suit. Et Titus, soudain, pense à autre chose : Dire que je lui ai filé une rallonge pour ses vacances ! Non, ce n’est pas elle, ça ne peut pas être elle ! Je la reconnaîtrais, quand même ! La dernière image qu’il garde de la petite date de la fin juin. Elle est à des années-lumière de ce qu’a filmé cette caméra de surveillance. Il la revoit avec ses tifs en fusée d’artifice. Comme elle lui saute au cou !

— Oh ! Merci parrain ! Mais va pas croire que tu me fais la charité, hein ? Considère ça comme un investissement. Je vais te le rendre au centuple !

Comme elle est joyeuse en empochant les billets ! Et lui, une fois de plus sous l’effet du ravissement, qui fait tout son possible pour ne pas regarder ses seins. Lui qui se morigène : Arrête ! On ne plonge pas entre les seins d’une enfant qu’on a vue naître !

Tiens, à propos, qu’a-t-elle fait de ses seins ? Sur le noir et blanc de la vidéo la fille est sans formes. Cylindrique. Mais quelle poitrine survivrait à un duffel-coat ? Non ce n’est pas elle, non. Et ces nattes… non, ça ne peut pas être elle.

*

Ariana Lapietà lui ouvre sa porte pour la deuxième fois en deux jours.

— Tituuuuuus ! Tu es sans manteau ? Avec ce froid ? Entre, entre.

(Par réflexe de coquetterie il a caché le Burberry de Manin dans une poubelle avant de sonner.)

Il réclame la salle de bains de toute urgence, s’y enferme à clé, ouvre le placard, constate que les sondes y sont encore, en éprouve du soulagement, tire une chasse d’eau ostensible et ressort.

— On ne s’est pas vus depuis trente-quatre ans et tu viens pisser en passant ?

Ariana est surprise mais pas vraiment étonnée. Titus se rappelle que c’était une de ses caractéristiques. Adolescente déjà elle ne s’étonnait de rien. Ça flanquait la trouille à son frère. Elle a tout à apprendre, expliquait le Gecko, et rien ne l’étonne. Je te jure Titus, j’ai peur qu’elle prenne un mauvais coup à force.

— Ton fils est là ?

— Tuc ? Il cuisine.

Va savoir pourquoi, cette nouvelle aussi le rassure.

— Je peux lui parler ?

Titus colle la vidéo sous les yeux de Tuc :

— Tu connais cette fille ?

Tuc s’essuie les mains, jette le torchon sur son épaule, baisse le feu sous un machin qui mitonne, prend le portable, regarde attentivement, fronce les sourcils, hoche la tête de droite à gauche.

— Non.

— Regarde encore.

Nouvelle séance. Tuc passe la vidéo, puis porte l’appareil à son oreille. Il écoute très attentivement.

Un lièvre à la royale… Aucun doute sur le fumet de la cocotte… Le lièvre qui a rissolé, le sang que le môme vient de verser dans le vin, on ne peut pas se tromper. Tuc est un cordon-bleu, il ne fait pas dans la cuisine bâclée. Son argent de vie est bien gagné.