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2) Qu’obliger ces quatre-là à tweeter sur la demande de rançon indiquait que le ou les ravisseurs savaient sur eux quelques petites choses qui les contraignaient à l’obéissance.

3) Que le choix de cette somme hautement symbolique suggérait qu’on n’avait pas affaire à des professionnels du crime.

Ce tour d’horizon étant fait, la juge tapa deux messages sur le clavier de son portable.

Le premier, destiné au capitaine Adrien Titus* de la BRB, disait : Mon cher Titus, à propos de Lapietà, mettez-vous en quête d’intuition. Quand vous serez branché, rendez-moi compte.

Le deuxième était adressé au commissaire divisionnaire Joseph Silistri* : Puisque vous rentrez de vacances, Joseph, vos oreilles sont neuves. Pourriez-vous les ouvrir à l’assemblée générale ? Comme si c’étaient les miennes, n’est-ce pas ?

Sur quoi, la juge estima venu le moment de souhaiter le bonjour à Ludovic Talvern*, son mari. La juge Talvern, qui n’avait pas encore mis ses lunettes, ni aplati et graissé ses cheveux, ni ombré d’un fin duvet sa lèvre supérieure, ni vissé autour de sa taille le kilt qui la rendait inapprochable, la juge tendit les bras à la masse floue qui s’avançait vers elle. Ludovic Talvern enleva le corps nu de sa femme, que les draps libérèrent en un glissement soyeux, et la juge au teint rose, à la peau ardente, à la lèvre gonflée, à la chevelure nocturne et au regard consentant, la juge toute chaude encore de sa nuit moelleuse, se laissa empaler, les jambes enroulées autour de son homme, les mains à son cou, le regard dans son regard, l’un et l’autre s’appliquant à ne pas ciller. La chose se passa si lentement qu’on eût dit l’accouplement d’un paresseux avec son arbre pour la saison entière.

*

Pendant cette même éternité, un dénommé Jacques Balestro*, agent sportif de son état, s’offrait un dernier briefing entre copains avant de se rendre à une convocation de la juge Talvern.

— Écoutez, les gars, moi, comme recruteur, je me suis farci le Venezuela, la Tanzanie et le Burkina de la grande époque. Je me suis fadé les Chinetoques sur les paris, je me suis fait chauffer les pieds par les Russes sur le transfert des Brésiliens (parce que j’étais sur le coup des frères brésiliens, si vous vous souvenez !), et j’ai jamais rien lâché ! Jamais ! C’est pas pour m’allonger devant une juge made in France à peine sortie de sa mère ! Nelson Netto, c’est moi, je vous le rappelle. J’ai pris soixante pour cent sur Nelson ! Olvido, c’est moi, quarante pour cent ! Paracolès, c’est moi ! Encore quarante pour cent ! Je suis pas un perdreau de l’année !

— Fais gaffe quand même, Jacky.

— Quoi, fais gaffe quand même ? Le patron se la cogne trois fois par an, cette naine, il en est pas mort !

— Le patron c’est le patron. Tu te compares ?

— C’est pas ce que je veux dire mais c’est jamais qu’une gonzesse, merde. Qu’est-ce qu’elle y connaît ?

— Margaret Thatcher aussi c’était une gonzesse. Demande aux Argentins ce qu’elle y connaissait.

— Jacky, c’est une fille qui a jamais rien lâché aux journalistes, rappelle-toi ça.

— Et alors ?

— Putain, explique-lui, toi, il est trop…

— Je suis trop quoi ?

— Jacky, mon Jacquot, ce qu’on veut te dire, c’est que malgré la pression de sa hiérarchie, celle des lobbies et des politiques, avec toutes les tentations imaginables elle a jamais fuité. Pas un mot. Jamais. À personne. Le secret de l’instruction, c’est elle. Un coffre. Et personne n’a trouvé la combinaison. C’est pas pour rien qu’on l’appelle la juge muette ! Tu sais pourtant combien ça s’achète ce genre de renseignements, t’es allé à la pêche toi aussi ! Crois-moi, dans le monde comme il va, résister à ces tentations-là quand t’es une fonctionnaire à trois balles c’est autre chose que de la fermer devant tes Popofs chauffeurs de pieds.

— Ah ouais ? J’aurais voulu t’y voir, connard.

— Ne me traite pas de connard.

— Ce qu’on veut te dire Jacky, c’est que c’est pas la peine d’y aller avec tes combines habituelles : dessous-de-table, garanties de promotion rapide, robes de collection, jet privé et petit tour à l’opéra de Manaus, ils sont tous à ma botte, j’encule Machin et Truc me suce, ce genre de bonbons ça prend pas avec la juge muette.

— Vous vous gourez, les gars, suffit d’y mettre le prix. C’est pas de putes qu’on manque, c’est de pognon.

— …

— …

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que j’ai dit ?

— …

— T’as un avocat ? C’est toujours Soares, ton avocat ?

— Pas besoin d’avocat. Je suis pas convoqué comme témoin assisté mais comme témoin tout court.

— N’y va pas seul, Jacky.

— Putain, réfléchissez. Y aller avec un baveux, c’est annoncer que j’aurais quelque chose à me reprocher. Regardez-moi, les gars, j’ai quelque chose à me reprocher ?

— …

— Jacques, moins tu en dis, mieux on se porte. Si notre état s’aggrave, c’est toi qui meurs. Parole de connard !

*

L’heure est venue. Jacques Balestro y est. Seul. Pas d’avocat. Font chier avec ça. Pile à l’heure. On l’introduit dans le bureau de la juge Talvern à la seconde de sa convocation. Sans se lever la juge lui fait signe de s’asseoir. Ce qu’il fait. Pas un mot lui non plus. Il la regarde. Il la voit en vrai pour la première fois. Plus moche, tu meurs. Il se raconte vite fait l’histoire de sa vocation : une frustrée. Fait chier le monde pour oublier sa gueule. La juge tourne vers Balestro un écran d’ordinateur encore blême. Il attend. L’écran devient un miroir. Il s’y voit. Ça le surprend un peu. Sa raie de communiant sur sa belle gueule de baroudeur, sa barbe de trois jours et son costard Armani. Derrière, la tronche moustachue de la juge, peau grasse, cheveux plats et luisants. Puis, Balestro entend un cliquetis de clavier. Le miroir redevient écran. Apparaît la première question de la juge.

— Nom, prénom, date de naissance, qualité ?

Là, il éclate de rire.

— Alors c’est ça, la règle du jeu ? Vous écrivez et je parle ? Vous êtes vraiment muette ? C’est permis dans l’administration ?

Mais son rire s’étrangle. Sur l’écran, apparaît sa phrase. Telle qu’il vient de la prononcer.

— Alors c’est ça, la règle du jeu ? Vous écrivez et je parle ? Vous êtes vraiment muette ? C’est permis dans l’administration ?

Cette duplication le fait sursauter :

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

La réponse de la juge d’instruction s’inscrit elle aussi sur l’écran :

— C’est ce que vous venez de dire.

Il a pris un pain. S’agit de récupérer vite fait. Son regard se durcit.

— Pigé : tout ce que vous direz peut être retenu contre vous. Comme au cinoche, quoi. Aussitôt dit, aussitôt écrit.

— Pigé : tout ce que vous direz peut être retenu contre vous. Comme au cinoche, quoi. Aussitôt dit, aussitôt écrit.

Ce deuxième coup est presque aussi violent que le premier. Balestro se tait. La question réapparaît.

— Nom, prénom, date de naissance, qualité ?

Il se redresse sur sa chaise. Il déclare s’appeler Jacques Balestro, être né le 21 janvier 1977 à Nice, exercer la profession d’agent sportif. Ce que l’écran confirme aussitôt.