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— Jacques Balestro, né le 21 janvier 1977 à Nice, profession : agent sportif.

— C’est-à-dire ?

— Quoi, c’est-à-dire ?

— Quoi, c’est-à-dire ?

Il ne s’y fait pas. Il ne se fait pas à cet écho visuel.

— On peut pas arrêter ce cirque ? On peut se parler, non ? On est des êtres humains, quand même !

— On peut pas arrêter ce cirque ? On peut se parler, non ? On est des êtres humains, quand même !

La réponse s’inscrit sur l’écran comme d’elle-même.

— Monsieur Balestro, expliquez-moi calmement en quoi consiste le métier d’agent sportif. Je n’y connais rien dans ce domaine.

Il n’y croit pas. Il ne croit pas qu’elle n’y connaisse rien. Il est même persuadé du contraire. Sinon, il n’aurait pas été convoqué. Au fond, elle n’est peut-être pas si futée que ça. Elle le prend pour un nase. Écran ou pas, ça va pas être trop galère.

Pendant qu’il se dit ça, une suite de chiffres s’égrène sur l’écran, énormes et noirs : 1, 2, 3, 4, 5, au rythme des secondes. Il fronce les sourcils. Ne peut pas s’empêcher de demander une deuxième fois :

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Cliquetis.

— C’est le compte du temps que vous mettez à me répondre. Votre temps de réflexion. C’est si long, pour vous, de réfléchir à la nature de votre travail ?

Il se lève.

— Putain, je me tire. Ça suffit, ces conneries !

Il marche vers la porte.

Et il entend la voix de la juge pour la première fois.

— Préférez-vous une convocation comme témoin assisté ?

Ça le stoppe net. La voix est douce, basse, un peu mélancolique. Et sans menace. Il se retourne. Elle le regarde. Des yeux énormes derrière les lunettes qui font loupe. On dirait une chouette. Un oiseau du genre. La voix ne colle pas avec cette image de rapace. Il l’aurait imaginée aigre.

— Votre avocat est toujours maître Soares ? Quand pouvons-nous fixer l’audience ? Quel jour vous arrangerait, monsieur Balestro ?

Ça le déstabilise, cette prévenance. En même temps, la juge connaît le nom de son avocat… Au lieu de choisir un jour, il désigne l’écran de l’ordinateur :

— Il y aura toujours ce… ?

Elle fait oui de la tête. Elle explique :

— Restriction budgétaire. Ça économise du personnel.

Bon Dieu, ce n’est que ça ? Il se dit qu’il a été con. Rien de tordu là-dedans, alors. On dégraisse dans la justice comme ailleurs, voilà tout. Pourquoi ça lui a foutu une pareille trouille ?

Il dit :

— Non, on peut continuer, on…

Elle lui fait signe de s’asseoir.

Il se rassied.

Et tout à coup c’est elle, la juge, qui a une vision : une buse madeleine tournoie dans le ciel du Vercors. L’oiseau prend de l’altitude, se ramasse sur lui-même, se fait compact comme un poing, fond sur une poule, lui brise l’échine, lui ouvre l’abdomen et s’envole aussitôt, un long collier de tripes au bec. En bas, la poule vit encore.

TALVERN : En quoi consiste votre métier d’agent, monsieur Balestro ?

Balestro dit qu’il a d’abord été scout. L’écran de l’ordinateur l’écrit avec un point d’interrogation : Scout ? Il rit. Pas scout de France ; dans le foot, scout, ça veut dire recruteur. C’est-à-dire ? Ben, c’est-à-dire qu’on court les villes, les quartiers, les stades, les rues, partout où les mômes jouent au foot, quoi, pour repérer les plus doués.

TALVERN : Et ?

1, 2, 3,

BALESTRO : Et on contacte la famille du gamin.

TALVERN : À quelles fins ?

1, 2, 3, 4,

BALESTRO : Pour voir si les parents seraient intéressés à nous le confier.

TALVERN : Vous le confier ? Qui ça, nous ? Qu’entendez-vous par là ?

1, 2,

BALESTRO : Enfin, le confier au club, quoi, pour la formation, vous savez, foot et scolarité, ce genre de…

TALVERN : Qui vous paie pour ce travail ?

BALESTRO : Quand on est scout ?

TALVERN : Oui.

BALESTRO : C’est le club. C’est le club qui nous paie. Le club pour qui on bosse… pour qui on travaille, je veux dire. On est salarié, quoi.

TALVERN : Êtes-vous payé en fonction du nombre de jeunes joueurs que vous recrutez ?

BALESTRO : Pas du tout, non. Le scout est payé à taux fixe. Il a un salaire. De toute façon, on peut pas être payé pour le recrutement d’un mineur. Ce serait un délit.

TALVERN : Merci pour cette précision, monsieur Balestro. Et l’agent ?

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,

BALESTRO : On ne pourrait pas arrêter ces chiffres ? Ça me gonfle.

TALVERN : Ne regardez pas l’écran quand vous me répondez, monsieur Balestro, regardez-moi. Et l’agent ? Comment est-il payé, l’agent ? Aujourd’hui, vous êtes bien agent ?

BALESTRO : Oui, oui.

TALVERN : Depuis quand ?

BALESTRO : Huit ans, je crois.

TALVERN : C’est toujours votre club qui vous paie ?

BALESTRO : Non, maintenant, je suis indépendant.

TALVERN : C’est-à-dire ?

BALESTRO : C’est le mieux offrant qui me paie. Je recrute un joueur, je le propose à un club ou un autre. Et puis, on a des parts.

TALVERN : Des parts ?

1, 2, 3, 4, 5, 6,

BALESTRO : Vous ne savez vraiment pas comment ça marche ?

TALVERN : Non, vraiment pas. Mais si vous voulez bien m’expliquer…

BALESTRO : Ben… (1, 2, 3, 4,) Un joueur c’est des parts de marché, quoi. C’est un investissement, si vous préférez. Un bon joueur ça rapporte. La famille a des parts, le recruteur a des parts, le club a des parts, les sponsors ont des parts…

TALVERN : Les sponsors ? Quel genre de sponsors ?

BALESTRO : Des entreprises, des marques… Celles qui font de la pub sur les maillots… Ils ont des parts sur les plus gros joueurs…

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,

TALVERN : Olvido, vous diriez que c’est un bon joueur ?

1, 2, 3, 4, 5, 6,

BALESTRO : Olvido ? Oui, il commence à chiffrer.

TALVERN : On l’a vu jouer, contre l’Uruguay, mon mari et moi, la semaine dernière. Mon mari le trouve génial. Vous le connaissez ?

BALESTRO : Olvido ? (1, 2, 3, 4,) Oui (1, 2, 3,) c’est moi qui l’ai recruté…