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— Pourquoi a-t-il reproduit la plaque sur votre mur, monsieur Salcon ?

— Vous pensez que je ne l’ai pas vu faire ! Juste le petit Coindet, le fils à Jules Coindet, de la Barbonnière, le grand boiteux qu’est marié à une Rivière de Bonprantoux, est venu chercher son vélo dont j’avais rebrasé la fourche. Le temps de rejoindre mon salopiot de Thomas, il m’avait fait ce cadeau au mur. « Faut pas te gêner ! je l’ai engueulé, ma parole tu m’écrirais aussi bien sur les fesses ! »

« Il s’est excusé, continue le vieux mécano. Et puis il m’a demandé que je veule bien faire les recherches pour lui, comme quoi les écritures, les coups de téléphone, tout ça, c’était pas sa partie. « Je te dédommagerai, Léonce. » Mon œil ! Les communications, elles ont été pour mes pieds. »

— Car vous avez fait les recherches qu’il réclamait ?

— Pas moi, l’Adélaïde, ma fille qui faisait serveuse dans un café de Montmélian à l’époque. Elle se trouvait ici avec deux jours de congé et, comme c’est une débrouillarde, je lui ai demandé de s’occuper de la petite affaire à Thomas. Ça m’a coûté un saladier en téléphone et ce vieux ladre n’a jamais voulu me rembourser sous prétexte que ça n’a rien donné.

— Votre fille avait obtenu les coordonnées du type à la voiture américaine ?

— Bien sûr. Démerdarde comme Adélaïde, vous pouvez courir ! Elle est même allée à bicyclette porter le renseignement à Dugadin. Pour tout remerciement, il lui a foutu la main aux fesses, ce vieux dégoûtant. Parce que, lui, tout ce qui bronchait, il sautait dessus ! Le bruit courait que sa chèvre passait à la casserole plus souvent que sa femme ! (Il rit.) Enfin, dit-il, mourir de cette façon, le Bon Dieu doit vous accorder la remise de vos péchés, tel que je Le connais.

— Elle vous les a montrés, à vous, les résultats de ses démarches, Adélaïde ?

— Pourquoi fiche ? C’était point mon affaire !

Il sort de sa poche le chiftir huileux auquel il essuie ses pattounes cambouiseuses et l’utilise cette fois pour torcher son front en sueur.

M. Blanc a naturellement noté le numéro de la plaque ornant le mur immaculé du marchand (et réparateur) de vélocipèdes. Il exulte intérieurement, le brave garçon. Me brandit dans le dos du gros vieux mec son énorme pouce de noirpiot surmembré.

On en découvre des choses. Et mon pote Bavochard qui ne sait même pas que nous sommes à pied d’œuvre ! Il nous attend toujours, l’écluseur de mominettes !

Simulacre… six mulâtres…

six mille acres… six mules âcres

et un aborigène arboricole !

La propriété accaparait toute la colline. Au pied de celle-ci, une haute barrière électrifiée, elle-même sommée de quatre fils barbelés clôturait l’ensemble. Venait ensuite une espèce de no man’s land planté d’arbustes épineux, où erraient en permanence une douzaine de dingos féroces, ces chiens sauvages d’Australie que deux dresseurs spécialisés seulement avaient le pouvoir de neutraliser. Puis il y avait un mur ordinaire, crépi de chaux blanche qui scintillait au soleil. A l’intérieur de cette seconde enceinte s’étalait la propriété de « l’homme en noir ». Un vaste jardin tropical parcouru par un ruisseau artificiel, un tennis, et une très vaste et très belle construction à un seul étage, couverte de tuiles romaines aux tons pain brûlé. La maison, de style andalou, comprenait plusieurs patios, et quatre ailes qui lui donnaient la forme de deux « U » accolés. Une vaste piscine au revêtement de marbre occupait tout l’arrière.

L’homme était en train d’admirer sa collection de monnaies anciennes lorsque l’interphone jeta son signal modulé. Il appuya sur la touche du récepteur. Une voix de femme susurra :

— Stephen Black vient d’arriver, monsieur.

— Qu’on l’introduise ! répondit l’homme.

Il pressa un bouton placé sous son bureau. L’épais plateau du meuble coulissait et sa chère collection se trouvait dans le cœur dudit plateau, chacune des pièces occupant un petit logement carré, à son module, aménagé au sein du bois. Son sous-main et différentes paperasses posées sur la partie amovible du plateau se rapprochèrent rapidement de l’homme. Le bureau avait retrouvé son aspect normal lorsqu’on sonna à sa porte.

Le timbre était à la fois grave et léger, feutré mais très présent. Une nouvelle touche pressée accorda aux arrivants l’autorisation d’entrer, en même temps qu’elle libérait l’ouverture de la double porte.

Une jeune Asiatique, pareille à celles qu’on peut admirer sur les gravures chinoises (yeux en amande, teint de pêche, lèvres sensuelles au rouge délicat, vêtue d’une robe de soie chamarrée) escortait un grand type, à gueule d’acteur pour film d’action. Stephen Black était d’un blond intense, il avait les cheveux bouclés serré comme les effigies sur les monnaies grecques anciennes, avec des yeux noirs atteints d’un léger strabisme convergent. La première impression était plutôt flatteuse, mais quand on s’attardait à l’examiner, on finissait par être incommodé par l’expression de dureté délibérée marquant son mâle visage. Il avait des mains menues pour sa taille et s’appliquait sans cesse à les dissimuler, comme d’autres dérobent leur regard. Son complet prince-de-Galles beige, bien coupé, avait dû lui coûter dans les mille dollars. L’homme en noir nota qu’aucune boursouflure insolite ne le déformait dans la région de la poitrine. D’ailleurs, un détecteur placé dans le porche d’entrée aurait signalé la présence d’une arme.

La Chinoise murmura :

— Voici M. Black.

Puis elle se retira.

L’homme noir regarda posément l’arrivant à travers les verres teintés de ses lunettes, puis il articula de sa voix lente, un peu chantante :

— Asseyez-vous !

Aucune formule de bienvenue, voire de simple politesse. Pour lui, c’eût été du temps perdu.

Stephen Black avait le choix entre trois chaises disposées en arc de cercle face au bureau. Il opta pour celle du milieu, croisa les jambes, noua ses mains sur le genou supérieur et attendit. Calquant son comportement sur celui de son vis-à-vis, il ne l’avait même pas salué, ce dont l’autre lui sut gré.

Le maître des lieux demanda :

— Vous parlez français ?

— Pas suffisamment bien pour traduire Flaubert en anglais, mais assez pour me commander des steacks-frites dans les restaurants de Paris, répondit l’arrivant en français.

Il avait un accent, mais très léger ; l’homme aux lunettes teintées se dit que ce n’était pas l’accent américain, cela faisait plutôt Europe centrale.

— Parfait, approuva-t-il, également en français.

Et, tout naturellement, la conversation se poursuivit dans cette langue. Il ne s’agissait plus d’un test, non plus que d’un exercice d’entraînement, plutôt d’une espèce de confuse rivalité, chacun des deux hommes voulant s’assurer qu’il maniait mieux que son interlocuteur la langue de Montaigne.

— Je ne sais de vous que ce qu’on m’en a dit, prévint l’homme en noir.

Stephen Black eut un pâle sourire :

— Ravi de voir que ç’a été suffisant pour que vous me convoquiez.

Ils s’observèrent rudement, hardiment, comme s’ils entendaient se défier, tels deux coqs prêts à se bondir contre.

— Je vous préviens que c’est une affaire délicate et surtout bizarre.

— Vous me mettez l’eau à la bouche.

— Avant que vous n’interveniez, un garçon en qui j’avais la plus grande confiance s’y est cassé les dents.